via La réception du modèle juridique français par le Code civil irakien – Persée


Al Dabbagh Harith. La réception du modèle juridique français par le Code civil irakien. In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 57 N°2,2005. pp. 263-290. www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_2005_num_57_2_19351

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Résumé

L’une des premières codifications civiles modernes du Monde arabe, le Code civil irakien, a aujourd’hui cinquante-quatre ans. Bien qu’il soit assez peu abordé dans les études de droit comparé en France, il présente cependant un lien de parenté manifeste avec le droit français dont il a suivi le modèle. Mais contrairement aux autres pays arabes comme le Liban, l’Egypte et la Syrie qui ont largement adopté le système romanogermanique, le Code civil irakien a la particularité d’avoir admis cette réception tout en réservant une place assez notable aux règles juridiques empruntées au droit musulman qui fut sa racine. Par cet effort de synthèse, l’étude du Code civil irakien présente un intérêt considérable pour les comparatistes. En effet, savoir comment a pu se produire cette rencontre fructueuse entre deux systèmes juridiques dont chacun avait son passé distinct, ses traditions, attitudes, et savoir-faire intellectuel propres, ouvre la voie à un dialogue et à un échange prolifique entre civilisations. Cet examen permet également de mettre l’accent sur l’utilisation des droits étrangers comme instrument de la politique législative. Le but de cet article est de retracer les manifestations les plus sensibles de l’influence du droit français sur le Code civil irakien et les efforts d’harmonisation et d’intégration dont elle a fait l’objet.

Plan
Introduction
I. La genèse du Code civil irakien

A. Aperçu historique
B. Les caractéristiques du Code civil irakien
II. Les modalités de la réception du modèle français par le Code civil irakienA. Réception stricte
B. Réception souple
Conclusion


Premières pages

Harith AL DABBAGH

Maître assistant à la Faculté de droit de l’Université de Mossoul (Irak), Doctorant en droit privé à l’Université Aix-Marseille III.

 

Introduction

Le droit n’est pas statique. Il change sans cesse. Ses changements sont dus, pour la plupart, à un phénomène d’imitations : tel modèle, naît dans tel pays, se diffuse dans un deuxième pays. Ce phénomène d’importation et d’imitation n’est pas nouveau, mais il change de dimension en fonction du temps et de l’espace. Cette réception peut être spontanée ou imposée de l’extérieur, mais elle répond en tout état de cause à la nécessité de se moderniser et de maintenir la compétitivité nationale par l’adoption des instruments juridiques les plus performants.

Toute réception implique une rencontre entre un droit reçu ou, «droit-mère » , qui exerce son influence en dehors de sa zone géographique de formation, et un droit recevant ou un «droit-fille » qui subit l’influence du premier. La réception sélective ou ponctuelle permet surtout d’alimenter en règles nouvelles des systèmes de droit qui ne sont pas parvenus encore, notamment en raison de la nouveauté ou de la difficulté de la matière, à se doter d’un arsenal juridique suffisamment développé.

Le droit français a incontestablement représenté, depuis la fin du XVII° siècle, un modèle dont se sont inspirés de nombreux États dans le monde. En avance sur les autres systèmes, il constitue dès cette époque, sur la base d’une tradition juridique forte, et notamment doctrinale, un système juridique cohérent, moderne et intelligible dont les qualités sont aisément reproductibles.

La réception de l’expérience juridique française par les pays du Moyen-Orient est intervenue aux XIXè et XXè siècles du fait d’un conflit entre, d’une part, les exigences d’un profond remaniement des institutions juridiques dues, en particulier, pour le domaine qui nous intéresse, aux besoins nouveaux des échanges et du crédit, et d’autre part, l’inaptitude à y répondre du droit musulman qui régissait alors cette région. Cette réception n’a donc pas été imposée de l’extérieur, elle est la manifestation d’un choix libre et délibéré en faveur d’un modèle claire, prévisible et pertinent.

La pénétration du modèle juridique français en Irak remonte à l’époque ottomane et a perduré depuis pour diverses raisons. Elle a atteint, avec des nuances, de nombreuses branches du droit. Étant le coeur du droit privé, nous nous contenterons d’étudier, ici, la réception du modèle juridique français exclusivement par le Code civil irakien. L’enjeu de la présente étude réside dans le fait que le Code irakien, à la différence d’autres pays de la région, n’a pas totalement rompu avec le droit musulman, ni non plus retenu ce droit comme source unique de la législation. Il fournit un extraordinaire exemple d’une volonté de synthèse entre des dispositions d’inspiration musulmane et d’autres empruntées aux droits occidentaux. Dès lors, il serait intéressant de sonder l’interaction qui pourrait se produire entre ces deux sources qui semblent, de prime abord, contradictoires.

La question se pose alors de savoir pourquoi avoir importé le Droit français spécialement ? Comment ce mariage des dispositions a-t-il pu se produire ? Sous quelles formes les règles du droit français sont-elles venues se greffer à une institution musulmane ou l’inverse ? Quelles adaptations pourraient être faites pour garder la cohésion de l’ensemble ? Tant de questions que nous proposons de traiter en deux parties, car il est indispensable d’aborder dans une première la genèse du Code civil irakien avant d’examiner, dans une seconde, la modalité de réception du Droit français par ce même code.

I. La genèse du Code civil irakien

Il est évident qu’aucune codification ne peut naître ex nihilo, elle se rattache nécessairement au droit existant et s’inspire des exemples des autres pays, puisque si les solutions peuvent paraître spécifiques, les problèmes à résoudre sont universels.

Néanmoins, il serait justement étonnant de voir l’influence du droit français dans un pays comme l’Irak dont l’histoire et la culture n’ont pas été spécialement mêlées à celles de la France. Ainsi, afin de mieux comprendre les facteurs qui ont entraîné la réception du modèle juridique français et la portée de cette réception, il est important d’examiner le contexte historique dans lequel le mouvement de codification a été entrepris, contexte qui aboutira à un code dont les caractéristiques attestent, sans aucun doute, de sa parenté avec le système romano-germanique.

A. Aperçu historique

En Irak, comme dans tous les pays du Moyen-Orient, une importante pénétration romaniste était d’ores et déjà intervenue dans le cadre de la législation ottomane. Mais, après l’éclatement de l’empire et la naissance de l’État irakien moderne, l’influence de la Common Law ne prospéra pas, et ce en dépit du mandat britannique, laissant ainsi un terrain propice à l’influence romaniste.

1. L’époque ottomane

Dès 1534 et jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, l’Irak a, comme la plupart des pays du Moyen-Orient, fait partie de l’Empire ottoman. Le droit applicable en matière de transactions pécuniaires était, en principe, le droit musulman tel que conçu notamment par l’école hanafite. Le commerce terrestre et maritime était régi par les coutumes, dont les règles étaient consacrées par des recueils de jugements, alors que le statut personnel et les successions étaient régis par des règles propres à chacune des communautés religieuses reconnues.

Au début du XIX° siècle, la crise politique, économique et sociale de l’Empire imposa des réformes juridiques. L’important monument doctrinal du fiqh, oeuvre des savants et des jurisconsultes du IX° et X° siècles, ne répondait plus aux besoins nouveaux. Les Ottomans, qui entretenaient des relations commerciales avec l’Occident, se devaient de prévoir une codification pour faciliter les relations du commerce international et ainsi les faire reposer sur des bases stables afin de sécuriser les Européens dans leurs rapports d’échange avec les provinces relevant du Califat ottoman. Les puissances européennes avaient fait comprendre à la Sublime Porte que, pour faire partie du Concert européen, elle devait adapter son système juridique aux exigences du siècle.

Les tentatives amorcées en ce sens par le sultan Mahmoud II (1809-1839) s’étant heurtées à l’opposition des puissances conservatrices de l’Empire, il fallut attendre le règne de son successeur Adul-Majid II (1839-1861) pour voir ces réformes aboutir. Cette période inaugure officiellement le 3 novembre 1839, la politique du Tanzimat (réorganisation), dont l’objectif était de régénérer l’empire menacé par les pays européens. Un net souci d’occidentalisation des institutions s’était ainsi manifesté dans l’Empire ottoman et concrétisé par l’adoption de plusieurs codifications inspirées des codes modernes et spécialement des codes français. L’Empire, dans sa volonté de faciliter ses relations commerciales avec l’Europe adopta, en 1850, très largement le Code de commerce français. Par la suite, des emprunts fort importants aux codes napoléoniens seront également effectués. Ainsi, se sont succédés les code pénal (1858), droit maritime (1864), droit de procédures commerciales, civiles, criminelles (1860, 1880, 1881).

Concernant le droit civil, un courant traditionnel au sein de l’Empire parvint à le tenir à l’écart du mouvement d’occidentalisation. Un projet de codification du droit musulman des transactions pécuniaires, tel que l’avait édifié l’école Hanafite, fut entrepris et le Medjellé va voir le jour successivement entre 1869-1876 en seize livres. Il s’agit de la première codification officielle dans l’histoire de l’Islam faite des principes directement tirés de la Chari’a. En dépit de l’effort de classement qu’il représente, le Medjellé ne saurait être comparé aux codifications de type français car on n’y retrouve pas les principes généraux ayant atteint le niveau important d’abstraction qui ont fait la force de ces codifications. Il constitue plus une compilation de solutions données par les jurisconsultes musulmans, qu’un code civil au sens propre du terme, puisque l’on n’y trouve ni théorie générale des obligations, ni règles de formation du contrat, ni réglementation de l’enrichissement sans cause. De surcroît, le droit de la famille n’y était pas inclus.

L’un des défauts majeurs dont souffre le Medjellé dans sa rédaction est que la formulation juridique de nombreux textes ne correspond pas à un style législatif établi selon des règles juridiques générale, mais à un style instructif plus proche du langage de la doctrine que de celui de la législation. Il multiplie les exemples, alors que «la loi a une vocation pour commander, elle n’est pas faite pour instruire, elle n’a pas besoin de convaincre ». Le caractère casuistique du Medjellé présentait ainsi l’inconvénient de ne pouvoir être utilisé comme un texte de référence pour l’application de nouveaux codes ottomans, inspirés des droits occidentaux, particulièrement le Code du commerce. Le Medjellé exercera cependant une grande influence même après la chute de l’Empire et son abrogation en Turquie en 1926, en faveur du Code civil occidentalisé, inspiré du Code suisse. Les pays qui étaient sous domination ottomane continuèrent à appliquer ses dispositions jusqu’à une période relativement récente. Son application en Irak durera un peu moins d’un siècle.

2. Après l’indépendance

L’Irak était une province de l’Empire ottoman. Il appartenait donc au domaine d’application de ses lois. Suite à la ruine de l’Empire et l’instauration du Mandat britannique au lendemain de la Premier Guerre mondiale, le pouvoir mandataire a promulgué certaines lois en matière pénale et administrative, mais pour l’essentiel, la législation héritée des ottomans est demeurée en vigueur. Notons qu’en dépit de l’influence britannique, l’impact de la Common Law fut très limité en Irak : les obligations et les contrats continuent à être régis par le Medjellé jusqu’à son abrogation en 1953.

C’est après l’indépendance, proclamée le 3 octobre 1932, que le jeune Royaume d’Irak éprouva la nécessité d’avoir sa propre codification. C’était également une manière d’affirmer son autorité. Dès lors, en 1933, par souci de codification et de modernisation, le gouvernement irakien constitua une commission de juristes chargée de préparer un projet de Code des biens et des obligations, prenant pour base le droit musulman mais empruntant, également aux législations modernes les dispositions que commandait l’évolution. Une deuxième commission fut constituée, en 1936, mais son travail se limita à l’élaboration d’un projet sur les dispositions relatives au contrat de vente. Partant de la même base, un nouveau groupe fut désigné en 1943, et le projet du Code civil fut achevé trois ans plus tard. Après remaniements et consultations, le texte fut soumis aux organes législatifs qui l’adoptèrent le 8 septembre 1951. Le Code civil entrera en vigueur, deux ans plus tard, le 9 septembre 1953.

L’élaboration du Code irakien s’est déroulée durant une période dans laquelle la plupart des pays arabes, notamment l’Egypte, étaient obsédés par la volonté de codifier. Il faut à ce stade souligner le rôle de El Sanhoury, un juriste égyptien et élève d’Edouard Lambert, qui fut tête de proue de la modernisation des droits arabes. Il adhère au postulat de l’école historique selon lequel la loi évoluerait en symbiose avec le milieu social. S’il accepte l’idée qu’une codification ne doit pas figer ce développement, il se place dans une perspective évolutionniste pour affirmer que l’état de la loi à un moment de son développement doit être enregistré : c’est «un terme inéluctable ». Alors doyen de la Faculté de droit de Bagdad, il a eu l’occasion de contribuer à élaboration du Code civil irakien à travers sa participation à la deuxième commission et sa présidence de la troisième. Il ne serait pas surprenant donc de voir ses empreintes marquer sensiblement le fruit de ce travail dont il est le principal artisan.

El Sanhoury expliquait que la particularité irakienne, par rapport à l’Egypte, réside dans le fait que, depuis des siècles, le droit civil dans ce pays était imprégné du droit musulman; les juges et les praticiens s’étant familiarisés avec les techniques juridiques de ce droit. Il serait alors inopportun, et même malaisé, de répudier ce droit en faveur d’un code tout à fait occidentalisé. «Il n’est pas vrai qu’un droit occidental étranger puisse être arraché de son milieu et donné à l’Irak, un pays qui ne s’est pas accommodé, ni familiarisé à son application, car le droit ce n’est pas la création de la volonté du législateur, il est avant tout le fruit de son milieu et l’enfant de la longue tradition ». D’après lui, le projet devrait renouer avec le passé autant qu’envisager l’avenir.

La solution sera donc de métisser et d’harmoniser les dispositions du droit musulman avec celles empruntées aux droits occidentaux, notamment au droit français, tout en adoptant les instruments juridiques les plus performants. C’est une démarche différente de celle qui a été entreprise en Egypte. En matière civile, la réception du modèle juridique français par ce pays remonte à 1875, date à laquelle l’Egypte se dotait d’un Code mixte, largement calqué sur le Code civil français. C’est pourquoi le nouveau Code civil égyptien promulgué en 1948 est resté fidèle dans sa structure et ses concepts fondamentaux à la technique juridique française ; il a repris pour l’essentiel le droit français des obligations. Le professeur El Sanhoury, principal artisan de ce projet, souligne que « la nouvelle codification égyptienne n’a pas renié ses origines latines et elle leur est restée attachée. Elle a maintenu le système latin comme système de base . Le Code civil égyptien représente aujourd’hui l’exemple type d’un code arabe moderne d’inspiration occidentale.

En revanche, le législateur irakien s’est efforcé de rester dans la ligne et l’esprit du droit musulman, tout en empruntant au droit occidental les dispositions que commande l’évolution. L’exposé des motifs préludant le Code civil explique les deux soucis qui ont alors animé le législateur irakien : un souci technique, améliorer et moderniser les institutions juridiques nationales, et un souci politique, contribuer à l’harmonisation, voire à l’unification des législations des pays arabes. Les deux préoccupations vont entraîner au final une réception sensible du droit français.

Partant, la tendance progressiste au sein de la commission du projet était notable. En effet, sous l’impulsion de El Sanhoury, le regard du législateur irakien s’est tourné vers l’Occident pour chercher un modèle de réforme. La clarté et la commodité du droit français dues à sa codification d’une part, et au fait que ce droit ait fait ses preuves dans d’autres pays arabes comme l’Egypte d’autre part, vont faire pencher la balance en sa faveur. En revanche, le caractère trop pragmatique et jurisprudentiel du système de la Common Law le rendait difficilement transposable en Irak.

Par ailleurs, le rapprochement juridique entre les différents États arabes se révélait important pour faciliter les échanges entre leurs nationaux et permettre, pour le futur, l’unification des règles applicables dans les pays frères. L’aspiration à un « Code civil arabe » a orienté d’une manière ou d’une autre le choix des rédacteurs. Ainsi, l’exaltation du panarabisme, amenant le législateur irakien à s’aligner vers le Code civil égyptien, a eu un résultat inattendu : l’implantation du modèle juridique français dans le Code civil irakien ainsi que dans tous les codes arabes qui sont inspirés du droit égyptien.

Par conséquent, la réception du modèle juridique français s’est réalisée de manière sélective et indirecte au travers du Code civil égyptien. L’Egypte a joué à cet égard un rôle de rediffusion du modèle français vers l’Irak ; cet «effet de relais » se produit chaque fois qu’une loi d’inspiration française élaborée dans un pays a servi ensuite de modèle dans d’autres États. Rencontrant un immense succès, le Code civil irakien va, à son tour, servir de modèle pour le Code civil jordanien (1982) et celui des Émirats arabes unis (1985).

 

B. Les caractéristiques du Code civil irakien

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