via : retronews

Le Volume, 17 octobre 1903, P. 2/12 – La plus grande France

Journal des instituteurs, des institutrices et de leur famille
1 décembre 1888 – 8 septembre 1917

En définitive, l’influence française, en général, avance au lieu de reculer, comme on l’a trop répété

La plus grande France, Le Volume, 17 octobre 1903


https://www.retronews.fr/journal/le-volume/17-octobre-1903/4490/5564158/2


Aux yeux de beaucoup de gens qui se croient des habiles, l’optimisme passe pour un état d’esprit puéril; mais il y a fagot et fagot.

Ici même, mon ami J. Payot a, d une façon charmante, montré que, non seulement, il faut être optimiste, mais encore il faut vouloir l’être. Chacun de nous poursuit le bonheur; cette idée est de celles sur lesquelles nous sommes tous d’accord. Or, le bonheur dépend très peu des conditions extérieures; être heureux, c’est avoir la conviction qu’on l’est. La Fontaine nous montre que la Fortune nous vient en dormant, ce qui est une façon ironique de qualifier le mérite des parvenus; mais la fortune n’est pas le bonheur; celui-ci veut être obtenu de haute lutte; il est surtout une affaire de volonté.

Mais vouloir, sans agir, n’est rien; il faut donc agir, développer sans cesse son activité; ce qui ne signifie pas du tout s agiter. Or, pour agir, il faut avoir des raisons, et être dans certaines conditions. On a classé nos passions – j’entends par là les états de notre sensibilité – en passions dépressives et en passions expansives. Les premières: la richesse, la haine, tuent l’activité ; les passions expansives la favorisent : telles la joie, la confiance. On a dit, avec raison, que le soldat qui va au feu avec la peur d’être battu est vaincu d’avance, au lieu que celui qui se sent invincible est près de litre. Ceci est vrai d’une nation ; elle ne doit jamais désespérer. Les Romains disaient ; il ne faut jamais désespérer de la République.

Après les désastres de 1870, il y a eu en france un courant de désespérance; au lieu de voir une conséquence inéluctable de la haine semée par les guerres de la fin de la Révolution et de Napoléon, et aussi du manque de prévoyance du second empire, on a même inventé le ridicule mot de « décadence latine ». C’est un thème facile à développer, et sans grand fondement d’ailleurs; et tous les hommes faibles de s’écrier: « Vous le voyez, tout est perdu fatalement, à quoi bon agir ? Que peuvent les volontés des individus contre la condamnation d’une race ? »

Eh ! bien, non, rien n’est perdu ; si la race est condamnée, où et quand son jugement a-t-il été prononcé? Et il est tout aussi facile, et plus utile, et plus sain, de soutenir la thèse opposée. Ici, comme bien souvent cela arrive, il y a eu des malentendus. On a confondu — reste des préjugés des anciennes éducations — prospérité avec succès militaires. Longtemps on a cru mesurer la valeur d’une nation au développement de ses armées. Aujourd’hui, nous sommes mieux avertis ; ne voyons-nous pas la grande prospérité de nations qui n’ont presque pas d’armée, comme la Suisse, la Belgique. le Danemark? Que pèsent, dans l’histoire, les innombrables armées des Perses auprès des petits peuples plus ou moins bien agglutines sous le nom général de Grecs ? Souvent le succès des armées et l’influence intellectuelle — qui est la plus durable, et la plus féconde — sont en raison inverse. On a pu dire bien des fois que le vaincu a absorbé le vainqueur. Cela a été vrai pour les Grecs, puis pour les Latins, et il n’est pas téméraire de penser que l’Afrique du Sud va nous en donner un autre exemple.

Il faut nous habituer toujours à des idées nouvelles, et c’est leur don d’effrayer le plus grand nombre. Et cela surtout en France, ou tous les peuples dirigent leurs regards, comme vers le foyer de l’émancipation humaine. Sans chauvinisme, on peut dire que la France est le pays ou les idées générales et généreuses se sont développées le plus tôt, et ont rayonné autour d’elle. Une comparaison s’impose; la Révolution anglaise, qui a précédé la nôtre d’un siècle, a été limitée à l’Angleterre — la notre a débordé sur le monde, et on peut dire qu’elle a fait faire un pas immense a l’affranchissement universel. – Or, quelles conquêtes pourraient être comparées a ce cheminement, à cette infiltration lente et sûre des idées françaises dans tout l’univers ?

Il est bon — je devrais dire urgent — que les Français ne doutent plus d’eux et de leur rôle magnifique; et si la voix de leurs nationaux leur semble manquer ici d’impartialité, et, par suite, d’apponte, nous apporterons le témoignage de nombreux étrangers, et non des moindres. Dans ces quelques années, les Sciences sociales ont réuni beaucoup d’adhérents dans le monde, et il en est résulté aussitôt l’apparition de nombreux ouvrages sur la comparaison entre les nations — il n’est plus question de races, mais d’individus groupés par une langue et des idées communes — et sur leur avenir. Le plus grand nombre croient à l’avenir des Latins, et exposent leurs excellentes raisons. Il y a mieux: un écrivain anglais, très répandu, Wells, expose ses idées sur la supériorité de la France, et un Russe, havicor, connu par de nombreux ouvrages, conclut, apures un expose met obique et clair, à l’avenir de la langue française. 

Ces auteurs font ressortir nos qualités favorables à l’expansion forcée de notre influence. En voici quelques-unes :

La sociabilité, qui fait que l’étranger est admirablement reçu en France, qu’il part avec le désir d’y revenir, et que, nulle pari, il ne lui est plus facile et plus avantageux de se fixer. Or ceci constitue un élément de supériorité et de prospérité, car ici, par la douceur, l’étranger est vite francise, absorbé, et apporte une force de plus.

La clarté, qui explique la diffusion énorme de nos livres dans le monde ; nos livres de pure littérature sont bien composés, remplis d’idées levées, et, cependant, il n’y a que chez nous qu’il y ait une littérature amusante. Nos livres de sciences sont clairs et suffisants et ne tombent pas dans les exagérations — à cause que nous avons un ensemble de qualités moyennes qui constitue le goût. — Or, tout étranger qui achète un livre français est déjà un peu gagné à la France. Pour qu’un pays puisse avoir un outillage intellectuel complet, il faut qu’il soit riche et assez grand. Dès lors, les petits peuples — sans compter les grands — lui achètent les livres qu ils ne pourraient produire eux-mêmes, et, par un juste retour, cela rend davantage possible la publication de ces livres coûteux dans le premier, tout en permettant d’en abaisser le prix. Ces mêmes étrangers demandent que l’on publie de plus en plus, en français, de livres internationaux, comme l’Histoire générale de MM. Lavisse et Rambaud, si appréciée en Allemagne, et la grande géographie de E. Reclus, lue partout.

Pour finir, parlons encore de notre goût des idées générales, qui fait que nos productions peuvent être goûtées en tout pays ; nous pouvons, plus que tous les autres peuples, exposer librement nos idées, et en faire profiter tous les autres. Ce goût de la généralisation va même jusqu’au bout de. ses conséquences, et pas toujours heureusement pour nos intérêts immédiats : comme, par exemple, la reconnaissance des droits de citoyen à tous ceux qui font partie du groupe français, même aux colonies, peu préparées encore. Toutefois, ce défaut est loin de nous aliéner tous ces groupes humains :

Plus fait douceur que violence.

En définitive, l’influence française, en général, avance au lieu de reculer, comme on l’a trop répété. Les nations civilisées de l’Europe éprouvent le besoin d’une langue commune : les Slaves seraient vite disposés à adopter la langue française, langue simple, analytique et claire — cela d ailleurs, n’empêche pas de cultiver la leur. — Mais il est aisé de voir que tout cela étend — mieux que le canon et la violence — l’influence française. Et cette victoire entraîne la victoire commerciale. Tous, nous avons intérêt a y coopérer; dans plusieurs pays d’Europe, les publications françaises sont très répandues; quelques-uns mêmes publient des journaux français, sans le secours de nos nationaux : voyez la Roumanie, la Bohème, la Hongrie, etc., etc. Que serait-ce si nous aidions le mouvement?

N’ayons donc aucune hésitation, et n’ayons pas peur de produire, et surtout de produire pour l’étranger. Combattons — en donnant le goût des idées sérieuses — les stupides publications pornographiques, peu lues par les Français d’ailleurs.

Une association prospère, l’Alliance française, a déjà fait beaucoup de bien; il faut lui permettre d’en faire plus encore. Ici, tous les français sont unis dans une même idée, un but unique : faire pacifiquement une plus grande France. Il n’y a plus ici, ni confession, ni politique — reservons cela, s’il en faut à tout prix, pour nous, entre nous — il n y a que des citoyens français, conscients de leurs droits, de leurs devoirs, et qui, comme leurs grands ancêtres, voudraient être les citoyens du monde.

E. POUTHIER

.

.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :