via sfhm
La Société Française d’Histoire de la Médecine (SFHM), association reconnue d’utilité publique, fondée en 1902, a pour but :
• d’étudier et de promouvoir l’histoire de la médecine et des sciences qui s’y rattachent
• de contribuer à la sauvegarde et à la conservation des documents et témoignages du passé des sciences médicales
Elle édite des revues : Histoire des sciences médicales et e.SFHM (supplément illustré)
par les Docteurs J.-J. DUBARRY, J.-J. PENY etJ.-F. HERVIER
Communication présentée á la séance du 16 décembre 1978 de la Société francaise d’histoire de la médecine.
Ce système […] allait assurer aux recrutés un certain nombre de secours qui, avec un recul de trois siècles, nous paraissent extraordinaires
TEXTE INTÉGRAL
On s’imagine que les premières lois sociales remontent aux débuts de la III° République, que les Assurances sociales ont été créées en 1931 et la Sécurité sociale en 1946. Or, pour les « Gens de la Marine » du moins, c’est Colbert qui s’est penché sur ce problème comme ministre de la Marine et qui y a apporté une première solution qui continué d’être adoptée, à quelques petites variantes prés, depuis trois siècles.
Réglementant la situation des gens de mer, Colbert s’est soucié de leur devenir. Jusqu’à lui, les gens de mer n’étaient soumis á aucun contrôle. On désignait ainsi les marins de toutes nationalités, navigant indifféremment sous divers pavillons. Pour le recrutement des flottes du Roy, on utilisait le « s y s t é m e de la p r e s s e » ; selon les besoins, on saisissait les m a r i n s de forcé dans les ports et on les obligeait á embarquer sur les vaisseaux du Roy. Colbert va donc remplacer ce recrutement anarchique et autoritaire par le « système des classes ». Par un Édit du 16 avril 1670, les marins étaient divises en plusieurs classes : tous les ans, on relevait une classe et chaque classe servait á tour de rôle. Ce systéme avait l’avantage d’assurer un recrutement régulier pour la Marine royale, sans nuire pour autant á la marine de commerce et de la peche et, en contre-partie, allait assurer aux recrutés un certain nombre de secours qui, avec un recul de trois siècles, nous paraissent extraordinaires :
l’Édit de Nancy du 23 septembre 1673 crée la retenue sur solde, base du système d’assurance des marins
– en cas d’infirmité, les marins blessés reçoivent un secours viager de 2 écus par mois ;
– l’Édit de Nancy du 23 septembre 1673 crée la retenue sur solde, base du système d’assurance des marins. Cette retenue était de 6 deniers par livre (soit 2,5 %) et devait servir á alimenter un Fonds des invalides de la Marine, destiné á la construction de deux hôpitaux : un pour la Marine du Levant á Toulon, l’autre á Rochefort, pour la Marine du Ponant. Ces hôpitaux devaient permettre de recevoir les marins blessés au service du Roy.
Malheureusement, ce projet ne fut pas mené á terme. Seul, l’hôpital de Rochefort fut bâti; il était destiné á recevoir aussi les veuves et les orphelins des marins militaires et du commerce.
— Par note du 7 août 1675, est institué le « mois des familles » (délégation de solde au profit des familles des marins).
— En 1681, une ordonnance de Colbert crée l’obligation des 4 mois de prise en charge par l’armateur des marins blessés. Cette ordonnance, qui est l’ancêtre de tous les Codes de la Marine marchande, y compris le Code du travail m a r i t i m e de 1926 (articles 79 et suivants), est toujours en vigueur depuis, et constitue une des particularités du régime social des marins.
Les successeurs de Colbert vont perfectionner le régime institué par celui-ci pour les gens de mer. C’est ainsi que Seignelay, qui succède directement á Colbert comme ministre de la Marine, va instituer le régime « demi-solde pensión», destiné aux officiers et marins blessés ou estropiés au service du Roy. C’est la G r a n d e o r d o n n a n c e de 1689, texte fondamental qui i n t r o d u i t la notion d e « c o m p e n s a t i o n » p o u r les m a r i n s « estropiés en service », — notion féconde par la suite en matiére de rentes d’accidents du travail.
Et Ponchartrain va élargir doublement le régime de la demi-solde (Edit de mai 1709):
— en l’étendant á tous les marins du commerce ;
— en assimilant les infirmités liées á l’áge, aux infirmités contractées á bord, pour l’ouverture du droit á pensión ;
— en étendant la retenue sur soldé á tous les marins; mais elle est ramenée á 4 deniers par livre. Le fonds ainsi creé est indépendant; il est géré par un Trésorier general des Invalides á París.
La « Caisse des invalides » verse des pensions, la demi-solde aux marins invalides, des gratifications et des recompenses aux veuves et aux orphelins. Une nouvelle Caisse, distincte de celle des invalides, est fondee par Castries en 1782 : c’est la Caisse des gens de mer « qui prend en charge l’argent, les objets et effets dus á un marin ou lui appartenant et les transmet gratuitement á sa famille ».
En 1784, l’Ordonnance Castries sur les invalides va marquer l’évolution des institutions sociales des gens de mer en créant une véritable pensión de retraite, sans aucune condition d’invalidité ; elle est servie á 60 ans, moyennant un certain temps de service. Est instituée une gratification en faveur des veuves et des orphelins, égale á un an de soldé du marin décédé.
Aprés les efforts de l’Ancien Régime, la Révolution se devait d’en ajouter en faveur de cette catégorie de citoyens. Sous la Constituante, une loi du 13 mai 1791 réglemente l’hospitalisation des invalides de la Marine qui sont admis dans les hópitaux, moyennant l’abandon de leur pensión, et ne gardent avec eux qu’une petite somme destinée á leurs « menus besoins » (ce systéme a nettement inspiré les régimes modernes de Sécurité sociale).
Cette loi precise, en outre, les pensions servies : les veuves touchent la demi-pension avec un supplément par enfant au-dessous de 10 ans, les orphelins et les ascendants touchent le tiers. Cependant, ees pensions ne sont versees que lorsqu’un « réel état de besoin » est constaté.
La loi du 3 Brumaire de l’an IV (25 octobre 1795) va substituer au « systéme des classes » un systéme qui durera 172 ans : l’Inscription maritime , á q u i e l l e fixe d e n o u v e l l e s l i m i t e s t e r r i t o r i a l e s . L e s m a r i n s s o n t repartís en quatre groupes : les célibataires, les veufs sans enfants, les mariés sans enfants, les peres de famille. Chaqué catégorie n’est alors appelée que lorsque la precedente est épuisée.
Ce systéme sera abandonné en 1825 au profit de la levée permanente : tous les marins de 20 á 40 ans effectueront un temps de service dans la Marine militaire.
Ordonnances et décrets se succédent dans un but d’amélioration du sort des gens de mer: l’ordonnance du 10 mai 1841 ne tient plus seulement compte de la derniére soldé recue dans la flotte de guerre, mais des brevets de navigation commerciale. C’est l’amorce de la rupture entre la marine de guerre et la marine civile.
L’évolution sociale genérale de la deuxiéme moitié du XIX e siécle va également influencer la Caisse des gens de mer : une pensión anticipée est instituée par la loi du 11 avril 1881 ; cette pensión est servie sans condition d’áge, sous reserve d’avoir au moins 300 mois de service, done 25 années. La Caisse des gens de mer devient alors réellement un organisme de protection sociale des marins, approuvée par la Commission d’étude nommée en 1882 par l’amiral Jauréguiberry, ministre de la Guerre : « La Caisse des gens de mer a pour utilité principale de s’emparer discrétionnairement, paternellement, des intéréts des marins et de les gérer officieusement sans la lourdeur des formes administratives. »
Par la suite, lois et décrets apporteront toujours des modifications dans le but de perfectionner les avantages sociaux des gens de mer et de les harmoniser avec les avantages conférés aux autres travailleurs. Mais ceci est hors de notre sujet. Ce qui nous a incité à présenter ce travail, c’est de souligner le mérite de Colbert qui, prés de trois siècles avant la Sécurité sociale, a ouvert la voie aux avantages sociaux de certaines catégories de travailleurs dont il avait la charge comme ministre de la Marine.
BIBLIOGRAPHIE
HERVIER J.-F. — Etude sur les cures thermales dans le régime social de la Marine marchande.
Thése méd., Bordeaux, 1976, n » 502 (bibliogr.).