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Pereira Ana Leonor, Rui Pita João, Loïc Araújo Yann. L’influence française sur la réception de l’homéopathie au Portugal. In: Revue d’histoire de la pharmacie, 93e année, N. 348, 2005. pp. 569-578.

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RÉSUMÉ

Les auteurs montrent comment la France a influencé de façon décisive la réception de l’homéopathie au Portugal. Ils ont étudié la consécration de Hahnemann par la Société des sciences médicales de Lisbonne (1839) et l’importance de la polémique occasionnée par cet événement pour l’histoire institutionnelle de l’homéopathie au Portugal.

Introduction

L’ introduction, la réception et la divulgation de l’homéopathie au Portugal du XIXe siècle au début du XXe sont des thèmes de très grand intérêt pour l’histoire de la pharmacie portugaise. Le Portugal était, comme une grande partie de l’Europe, un pays où l’influence de la culture française s’exerçait dans tous les domaines, de la littérature à l’art culinaire. Sur le plan de l’activité scientifique, le Portugal avait surtout la fonction de « centre récepteur de modèles et de méthodes scientifiques », essayant d’accompagner l’innovation qui était en train de se mettre en place à ce niveau dans tous les centres scientifiques européens, surtout français.

Nous avons comme objectif d’évaluer la façon dont la doctrine de Hahnemann s’est propagée et s’est installée, ainsi que l’impact que la « nouvelle médecine » (c’est comme ça qu’elle était souvent désignée) a eu dans le monde médico-pharmaceutique et sur les élites socio-politiques du pays. Ce sujet a un intérêt spécial pour l’historien, car l’homéopathie n’était pas un système médico-pharmaceutique officiel. Ainsi, il est pertinent de déterminer les relations de savoir et de pouvoir entre le système institué et un système qui, selon ses défenseurs, était un système appelé à succéder à l’allopathie.


Un âge d’or de l’homéopathie au Portugal

Pendant la seconde moitié du XIXe siècle, l’homéopathie a été pratiquée au Portugal, en essayant de chercher sa reconnaissance officielle. En effet, en 1839, le Portugal reconnaissait le père de l’homéopathie, Samuel Hahnemann, au travers de la Société des sciences médicales de Lisbonne. En ce temps-là, Hahnemann vivait exilé à Paris, marié en seconde noces avec la Française Mélanie d’Hervilly.


Les premières années : l’exemple de la France et les influences du Brésil et de l’Espagne

Dans les années 1830, l’homéopathie est introduite au Portugal à partir de Paris, ville considérée dans la Gazette homéopathique de Porto comme « le premier centre scientifique de l’univers ». D’après cette revue, c’était à Paris que se concentraient la « résidence favorite de Hahnemann, ses principaux disciples et les successeurs du célèbre réformateur ». Dans les années 1850, les homéopathes portugais de Porto affirmaient que Paris était le « centre de toute la propagation homéopathique », car, selon ces adeptes de la « nouvelle médecine », c’était à partir de Paris que le mouvement homéopathique s’étendait vers les autres parties du monde.

D’un autre côté, le Brésil (colonie portugaise jusqu’en 1822) et l’Espagne furent aussi des pays décisifs pour le développement de l’homéopathie au Portugal. Dans le cas du Brésil, l’homéopathie y serait arrivée dans les années 1830 grâce au Français Benoît Mure, qui était aussi responsable de sa divulgation à travers beaucoup d’autres pays de l’Amérique du Sud. L’influence de l’homéopathie brésilienne est arrivée au Portugal, comme il apparaît clairement dans les commentaires et les débats autour de la vaste bibliographie léguée par les Portugais vivant au Brésil, tels que les Comendador Gama de Castro et Joâo Vicente Martins, responsables de la création de l’Institut homéopathique du Brésil, qui existe encore de nos jours.

L’influence espagnole a eu aussi un certain poids au Portugal. Nous devons faire remarquer que dans les années 1830, l’homéopathie était connue et cultivée en Espagne, et cela grâce aux efforts de médecins et chirurgiens, comme par exemple Cosme de Horatius, Prudencio Querol, Isaac Lôpez Pinciano, Pedro Rino y Hurtado, Nicolas Britz, José Nunez et Roman Fernandez del Rio, et plus tard de certains pharmaciens n. L’Espagne a eu vingt ans d’avance sur le Portugal. Ce fait en lui-même a permis à l’Espagne d’être une porte d’entrée de l’homéopathie au Portugal. D’ailleurs, il faut considérer deux facteurs articulés entre eux. D’abord l’universalisme des Lumières et les tendances fédéralistes/ibéristes de nombreux éléments de la classe dirigeante portugaise après la « révolution bourgeoise » de 1820-1834. Ensuite, certains de ces personnages étaient liés aux milieux médico-pharmaceutiques pour des raisons professionnelles ou autres. Ces arguments constituent une bonne piste pour une étude particulière de l’influence espagnole de l’homéopathie au Portugal.


Pionniers au Portugal : Lima Leitâo et ses relations en France

En 1832, le médecin Antonio José de Lima Leitâo reçut la traduction de YOrganon de Hahnemann et il étudia attentivement cette œuvre en 1833 12. Il s’agissait d’une traduction faite par Jourdan en 1832. Nous devons nous rappeler que Antonio José de Lima Leitâo avait obtenu le titre de médecin de l’Université de Paris grâce à une thèse sur les pneumonies. Ce médecin appartenait aux corps militaires napoléoniens, étant chirurgien-chef dans les bataillons de la Grande Armée de 1812 et chirurgien-chef au Quartier Général impérial de Napoléon en 1813.


D’autres pionniers : le cas particulier de Furtado Galvâo

Tout semble nous indiquer que le premier médecin à avoir exercé l’homéopathie dans un cabinet au Portugal a été Henrique de Burnay 13, d’origine et formation belge, mais vivant au Portugal.

Florêncio Peres Furtado Galvâo, professeur de la Faculté de médecine de l’Université de Coimbra, a soutenu sa thèse de doctorat en 1835 avec un thème que faisait référence à L’Homeopathica doctrina de medicamentorum actione cautte admitenda 14. En fait, ce fut une approche pionnière, du point de vue institutionnel, du système de Hahnemann au Portugal.

Jusqu’à sa retraite en 1859, Furtado Galvâo, professeur de matière médicale et pharmaceutique enseignait, dans ses cours, les doctrines de Hahnemann. Nous devons nous souvenir que jusqu’à la révolution républicaine portugaise de 1910, et plus exactement jusqu’à la réforme de 1911, la Faculté de médecine était la seule du pays de l’unique Université portugaise, l’Université de Coimbra.

En effet, la connaissance de l’homéopathie arrivait aux médecins non seulement par la pratique, mais aussi grâce à l’enseignement de l’Université de Coimbra. Il est évident que l’homéopathie n’était qu’un des thèmes du vaste programme enseigné par Furtado Galvâo. D’autre part, la discipline de matière médicale et pharmaceutique, destinée aux élèves de médecine, était aussi une des bases de l’enseignement des pharmaciens portugais de l’École de pharmacie de l’Université de Coimbra 15. C’est pourquoi les pharmaciens connaissaient les principes de l’homéopathie 16, autant sur le plan théorique qu’au niveau pratique.


Les appuis de l’homéopathie au Portugal

Beaucoup d’intervenants dans les questions de l’homéopathie au Portugal étaient autodidactes, comme cela arrivait dans l’Allemagne natale de Hahnemann (qui avait la protection du Duc de Armait Cohen), et comme en France et en Espagne. Très souvent, l’intérêt des adeptes les plus enthousiastes était dû à leur santé fragile ; l’homéopathie était un recours thérapeuthique pour alléger leurs maux.

Dans les années 1830-1840, Mélanie d’Hervilly, en tant qu’épouse de Hahnemann, « gagna par ses relations dans les cercles des arts et des lettres la confiance d’une clientèle bourgeoise et mondaine » 17 ; au Portugal également, le processus de divulgation et d’implantation dans la société a suivi une dynamique proche du cas français, avec des protagonistes différents.

Ainsi, l’homéopathie a séduit dans un premier temps deux classes de pratiquants : d’une part, les guérisseurs et charlatans ; d’autre part, les médecins qui, ayant une expérience médicale conventionnelle, ont adopté dans leur activité l’homéopathie comme système complémentaire ou même alternatif.

Cet état de choses entraîna une polémique entre la classe médicale instituée et les défenseurs de la récente doctrine homéopathique. Celle-ci réclamait une suprématie dans l’art de guérir et considérait la médecine officielle – l’allopathie – comme un art médiéval et statique.

Au Portugal, la pression des autorités médico-pharmaceutiques sur les homéopathes a été très forte. Les homéopathes ont résisté, parce qu’ils avaient parmi leurs défenseurs quelques personnages influents de la vie politique, culturelle, artistique et scientifique. Comme nous le savons, en France, Napoléon III s’est intéressé et a donné son appui à l’homéopathie. En Espagne et en Angletene, cet appui est venu directement des maisons royales ; autant l’enseignement que la pratique de l’homéopathie ont eu la protection de la reine Isabel II en Espagne et de la reine Victoria en Angletene – celle-ci étant la grande tante de D. Pedro V, roi du Portugal.


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