UNE AMITIÉ MILLÉNAIRE. LES RELATIONS ENTRE LA FRANCE ET LA SUÈDE À TRAVERS LES ÂGES (Marianne et Jean-François BATALI, 1993)
UNE AMITIÉ MILLÉNAIRE. LES RELATIONS ENTRE LA FRANCE ET LA SUÈDE À TRAVERS LES ÂGES (collectif, 1993, 530p.)

PRÉSENTATION

Depuis la fin du premier millénaire, époque où le Septentrion se christianise, la France et la Suède entretiennent des relations suivies, plus étroites qu’on ne l’imagine d’ordinaire, et empreintes de cordialité. Sans doute les aléas de la politique internationale ont-ils parfois entraîné des refroidissements passagers, mais sans jamais vraiment altérer cette amitié séculaire dont l’ouvrage se propose de montrer la fécondité.
Tous les collaborateurs, comme le note Stig Stromholm dans son Avant-Propos, ont ressenti au cours de leur travail à quel point « les relations franco-suédoises constituaient un domaine où régnait de part et d’autre une bonne volonté, voire un enthousiasme témoignant de la chaleur et de la charge affective qui caractérisent ces rapports ». Une Amitié Millénaire est un livre d’auteurs, chaque spécialiste ayant eu toute latitude pour traiter le thème qui lui était proposé en fonction de sa sensibilité et de ses intérêts propres.

Liberté individuelle, sans doute, mais aussi responsabilité collective, traduite lors de la conception de l’ouvrage par l’élaboration d’un schéma d’ensemble offrant une présentation à la fois chronologique et thématique qui, tour à tour, jette un coup de projecteur sur les domaines de l’histoire, des échanges intellectuels, de la langue, de la littérature, de l’art, de la science, du commerce, des institutions.
A l’heure de l’intégration européenne, il apparaît clairement qu’une collaboration féconde entre les peuples passe par une meilleure compétence interculturelle. Seules, des connaissances plus précises peuvent réduire la part des préjugés. Pour les Suédois et les Français, cette étude montre à l’évidence que les différences, lorsqu’elles sont bien gérées, constituent une source d’enrichissement mutuel fondé sur la complémentarité.


SOMMAIRE

Avant-Propos  S. STROMHOLM
La Suède dans l’imaginaire des Français V. FOURNIER
Regards suédois sur la France M. BAITAIL
Les Vikings et la Normandie J. RENAUD
La « Peregrinatio academica » T. FRANGSMYR et S. SORLIN
Les relations franco-suédoises de Gustave Vasa à la Guerre de Trente Ans J.M. MAILLEFER
De la guerre de Trente Ans à l’époque gustavienne : diplomates et découvreurs entre 1600 et 1800 S. BJORKMAN
Relations intellectuelles et savantes à l’âge classique J.F. BAITAIL
Rayonnement de la langue et de la civilisation françaises en Suède au Siècle des Lumières G. von PROSCHWITZ
Relations et échanges artistiques au XVIIIe siècle D. BERNARD-FOLLIOT
1856-1871 : un âge d’or G.B. NILSSON
Interférences culturelles complexes à l’âge du romantisme W. FOVET
Les relations culturelles franco-suédoises de 1870 à 1900 T. STENSTROM
Des relations commerciales inégales G. de FARAMOND
Les relations littéraires franco-suédoises à l’époque moderne Ph. BOUQUET
Le nouvel élan des relations commerciales: l’heure des multinationales G. de FARAMOND
Des relations courtoises aux échanges institutionnels J.F. de RAYMOND
La petite maison dans le Marais C.H. SVENSTEDT
Conclusion : l’identité culturelle des pays scandinaves S. STROMHOLM
Orientation bibliographique
Index des noms de personnes


Avant-Propos
Stig STROMHOLM, Président de l’Académie Royale Suédoise des Belles Lettres,
de l’Histoire et des Antiquités ; Recteur de l’université d’Upsal

traitement oc

Ce livre – qui se veut bien organisé sans se prétendre rigoureusement systématique ni encyclopédique, mais relativement complet dans les limites du cadre choisi et indiqué par son titre – est le fruit d’une initiative prise d’abord par quelques Français, amis de la Suède et ayant une grande expérience des problèmes mais aussi des possibilités qui s’attachent aux rapports culturels franco-suédois. Je cite ces pères intellectuels de l’entreprise en ordre alphabétique, car les pourparlers , les sondages, les ébauches s’espacent déjà sur quelques années ; incapable d’établir  la chro­nologie précise des premières phases du  projet, je  risquerais  de ne pas rendre pleine justice  à celui  qui  a été  le  tout  premier. Ce sont  Messieurs J.-F. Battail, G. de Faramond et J.-F. de Raymond . Devant les difficultés d’ordre pratique que  pose, de plus en plus, la production intellectuelle et matérielle d’un ouvrage de ce genre, ils ont jugé utile de placer l’entreprise sous l’égide d’une société savante ; j’ose espérer que l’on a fait appel à l’Académie Royale Suédoise des Lettres, de l’Histoire et des Antiquités fondée en 1753 par la Reine Louise Ulrique de Suède, sœur de  Frédéric le Grand  de  Prusse, non  seulement parce que sa fondation constitue en elle-même un témoignage éclatant de l’influence de la France du Grand Siècle et de l’âge des Lumières sur la Suède, mais aussi parce que le président de cette Compagnie, auquel on s’est adressé, était un ami de la France et qu’il avait, pendant une douzaine d’années, dirigé  le Fonds Descartes, organisme exclusivement destiné à servir la cause des échanges culturels  et  savants entre  la  France  et  la  Suède.

La tâche de  trouver  non  seulement  des spécialistes français et suédois prêts à contribuer mais encore des auteurs dont  la bonne volonté suffirait pour leur faire accepter de ne pas écrire au hasard de leurs intérêts, de leurs préférences et de leurs domaines réservés, mais de se soumettre à la contrainte de rubriques relativement précises, formulées pour éviter les répétitions  aussi  bien  que  les  lacunes, cette  tâche,  qui  a  d’abord semblé redoutable, s’est avérée singulièrement facile. Le Profes­seur Harry Jârv, Conservateur en chef honoraire de la Biblio­ thèque Royale de Stockholm, nous a apporté son précieux concours pour le choix des illustrations. Et l’on a pu constater que – quelle que soit par ailleurs la valeur intellectuelle et morale du sujet choisi – les rapports franco-suédois constituent un domaine où règne de part et d’autre la bonne volonté, voire un enthousiasme qui témoigne de la chaleur – de la « charge affective  » pour emprunter un mot à un historien français – qui caractérise ces rapports.

Quel peut être, en dehors de la poignée de spécialistes, de dilettantes, d’enthousiastes que peut réunir de nos jours toute initiative tant soit peu pittoresque, l’intérêt d’une étude des relations culturelles entre la France et la Suède ? Pour trouver une réponse honnête à cette question,  il importe d’éliminer les malentendus possibles, surtout de jeter des bases intellectuellement valables à notre entreprise. Nous ne rédigeons pas un document diplomatique ; nous ne ménageons aucune susceptibilité, nationale ou autre. C’est la vérité qui compte. Toute dérogation risque  de compromettre  notre projet.

Or, la vérité,  dénuée des phrases diplomatiques,  en notre matière, c’est d’abord que les rapports  culturels entre la France et un petit pays – une petite civilisation nationale à la périphérie de l’Europe occidentale – sont nécessairement, à quelques exceptions près, les rapports entre celui qui donne et celui qui reçoit. Parler de réciprocité, de compréhension mutuelle, voire d’amitié, exige que  l’on garde  le sens  des proportions. Depuis la naissance d’une personnalité collective française, distincte des autres royaumes et  provinces de l’Europe médiévale, cette per­sonnalité a été une des plus fortes – pendant de longues périodes la plus forte – sur la  scène européenne, ne serait-ce que parce que jusqu ‘au commencement du XIXe siècle, la France fut la nation la plus peuplée et la plus forte de l’Europe. Continuons à être franc : une francocentricité massive a été l’un des résultats de cette position. Il est vrai que la France a reçu des influences très profondes d’autres civilisations européennes : l’Italie aux XVe et XVIe siècles, l’Espagne aux XVIe et XVIIe ; à l’âge dit des Lumières, l’anglomanie a été forte et elle a survécu à Waterloo sous la forme dégradée du snobisme ; aux XIXe et XXe siècles la France a oscillé entre l’admiration à contre-cœur de l’érudition et de l’efficacité allemandes, la crainte et la haine. Les petits pays de l’Europe – c’est-à-dire les civilisations à expérience inévitablement  plus limitée,  – n’ont fourni que tout […]


page VII manquante


Il n’y a, en cela, rien d’étonnant : les différences de conditions extérieures, de structures politiques et sociales, enfin d’expérience historique et de mentalité étaient trop grandes. Dans les périodes où l’influence française  a été la plus forte dans toute l’Europe, y compris la Suède (c’est-à-dire  au  lendemain  du rayonnement le plus éclatant du Grand Siècle, de bonne heure c’est vrai, mais au lendemain ; il n’est pas moins important de souligner ce phénomène curieux mais vrai, ici comme à propos des grandes époques d’autres pays ; la communauté internationale  a besoin de quelque temps pour se rendre compte : c’est comme si l’on attendait que le soleil devienne un peu moins brûlant…), la mode française, le mos gallicus, the French way of life, a trouvé partout des admirateurs qui imitaient bouche bée, sans choisir. Ces prosélytes sont punis, impitoyablement, par le ridicule qui les couvre ; on a bien vu, en Suède comme ailleurs, que l’homme n’est pas libre de choisir à son gré le rôle qu’il veut jouer, que scène, audience, décor et autres acteurs  y sont pour  quelque chose – que l’homme est bien « un animal politique » aussi en ce sens qu’il fait partie d’un contexte social auquel il ne saurait échapper. Construire, en Suède, des châteaux en France, et fidèlement à la française, a toujours été une occupation strictement limitée au royaume des rêves.

Lorsque le royaume des rêves se trouve, exceptionnellement , habité par un roi réel, rêve et réalité se mêlent. En Suède, cette situation étrange s’est produite une fois, sous Gustave III, ce monarque énigmatique – à la fois grand orateur et grand acteur, capable de faire de toute son existence un spectacle éblouissant, et politicien prêt à toutes les ruses et à tous les stratagèmes qui faisaient partie de la diplomatie secrète de l’époque. Mais même cet admirateur fervent de la civilisation française – précisons, quitte à être pédantesque, cet amant romanesque de certains aspects de la civilisation française classique  – n’a pas imité bouche bée, n’a pas tout pris : il a choisi, mis à l’épreuve, adapté aux ressources, aux goûts et aux traditions de son vieux royaume. Ainsi, dans le domaine politique, où la Suède possédait  une expérience constitutionnelle profondément originale – seule, avec l’Angleterre, elle avait maintenu depuis le Moyen-Age un Par­lement qui fonctionnait réellement, et où, phénomène encore plus original, les paysans, libres depuis toujours, constituaient le quatrième état, Gustave III n’a jamais fait le moindre effort pour imiter  la  France.  C’est  dans  d’autres  domaines  qu’il  a jugé important  – et possible  – de faire œuvre d’introducteur des éléments qu’il estimait  dans cette civilisation  éblouissante et condamnée de la fin de l’ancien reg1me qu’il a  tant appréciée lors de ses visites à Paris. Même dans ces domaines, les efforts du roi-acteur n’ont pas été couronnés de succès dans tous  les cas. Son classicisme un peu sec n’a pas suffi pour empêcher l’épanouissement en Suède, dès son  règne, d’un  préromantisme de culture et d’inspiration  allemande et anglaise.

Nous nous sommes permis le néologisme « francocentricité ». Il s’en faut qu’il s’applique à toutes les époques. Ainsi, au début du XIXe siècle suédois, le fils du roi-acteur, Gustave IV, ennemi implacable de Bonaparte, est déposé en 1809 par un coup d’Etat rapide et tout à fait paisible ; la perte de la Finlande, province du Royaume de Suède depuis le XIIe siècle, fait douter de sa politique. Son oncle, Charles XIII, vieux et sans postérité, monte sur le trône, les États du royaume élisent, selon les règles de la Constitution, un prince danois comme prince héritier. Le Danois meurt, à la suite d’une crise cardiaque. Il faut procéder à une nouvelle élection. C’est alors que le Maréchal Bernadotte, Prince de Ponte-Corvo, admiré par une partie de la noblesse suédoise, surtout par de jeunes officiers qui avaient trouvé en lui un ennemi chevaleresque en Pomérame suédoise en 1807, remporte la victoire, contre la volonté de Napoléon. L’avènement de Bernadotte n’exprime ni n’entraîne l ‘apogée d’une influence française intellectuelle ou politique en Suède. C’est le contraire. Le prince héritier Charles Jean réconcilie la Suède (grommelante, d’ailleurs) avec le Tsar, se met à la tête d’une armée suédo­ russo-prussienne en 1813, participe à Leipzig, conquiert la Norvège sur les Danois, fidèles alliés de Napoléon … C’est à son époque que le romantisme allemand fait la conquête des intellectuels suédois, que le constitutionnalisme anglais tente les libéraux – l’influence française, massive dans la deuxième moitié du XVIIIe, s’affaiblit ; après 1848 et encore plus après la Commune, la France perd très nettement sa position dominante même dans les quelques domaines qui lui restaient encore.

La France revient – mais nous ne  nous attarderons pas sur ces péripéties. II fallait corriger un malentendu trop répandu. L’influence française n’a  presque jamais  été une action  directe et massive sur le peuple suédois. Le plus souvent, c’est par le truchement d’intermédiaires que les impulsions venues de France ont atteint les milieux populaires nordiques. Ces intermédiaires, c’étaient – en matières d’inventions, d’usages et d’expériences artisanales – les Allemands, les Néerlandais, tous ces peuples qui assuraient le commerce entre les pays latins et la Scandinavie. En  matière  de nouveautés intellectuelles  – de  la  théologie et de la jurisprudence aux arts et aux modes – c’étaient plutôt les élites suédoises qui assuraient le choix et l’importation des articles qu’offrait la France.

Le XVIIIe siècle est le seul où l’influence française en Suède a dépassé les élites pour agir directement sur la masse de la population et encore faut-il ajouter une réserve : en dehors des villes, dans les masses rurales, cette influence a été bien faible. Il en reste des échos curieux. Un grand nombre de mots d’emprunt a survécu. Depuis la deuxième moitié du XVIIIe siècle jusque vers 1870, on  donnait  « Mademoiselle »  (raccourci,  en  suédois, en « Mamsell ») aux roturières non mariées ; la forme germanique « Frôken » était strictement réservée aux demoiselles de la noblesse. Il fallut une campagne de la presse libérale pour étendre ce mot à toutes les femmes. « Madame », pour les roturières mariées, a été adopté dès la fin du  XVIIe ; vers  1730, un écrivain tourne en ridicule les bonnes femmes des marchands de Stockholm, qui avaient autrefois accepté « chère Mère » mais qui entraient en rage si l’on ne leur donnait pas du « Madame ». Le mot s’est dégradé ; au cours du XIXe, « Madame » est devenu le titre donné aux femmes du peuple mariées, et s’est maintenu , dans cette fonction, jusque vers la guerre de 1914-18 ; la forme germanique, « Fru », réservée à l’aristocratie, s’est  répandue  à ses frais ; aujourd’hui, « Madame » est un mot pour désigner les mégères ou les femmes très vulgaires. Autre exemple : « A Dieu » (suédois « adjô ») s’est maintenu  jusqu’à  nos jours, à côté de « farval », d’origine germanique, comme la phrase normale par laquelle les adultes cultivés prennent  congé mais, depuis vingt ou trente ans, les deux se  perdent dans une lutte de  plus  en plus désespérée avec des néologismes, d’origine variée, considérés comme plus progressifs, plus « démocratiques » (comme on dit trop souvent {>OUT ennoblir les grossièretés, comme si le demos, le peuple, avait quelque chose à y gagner). La liste des emprunts pourrait  facilement  être étendue…

Condenser en une formule unique et générale le caractère propre de l’influence française sur la Suède est une tâche impossible. Cette influence est inégale, nous croyons l’avoir montré : répandue de façon inégale sur les époques, sur les classes sociales, les milieux, même sur les métiers, sur les régions, la capitale étant d’après ce qui vient d’être dit, le centre et le point de départ, l’ouest, notamment Gôteborg,  étant  le  centre des influences anglaises, le sud  plus exposé aux courants alle­mands.

En  passant  en  revue ces rapports  il  convient  de se borner […]


page XI manquante


Peu de Germaniques ont l’oreille assez fine pour donner son juste prix au lyrisme discret, contrôlé, de Racine ; la densité de certains poètes suédois – Stagnelius, Frôding, Karlfeldt, Gullberg – ne se prête pas à la traduction. Il faut les vivre. Est-ce une communion mystique, que la lecture de ces poètes ? Je l’ignore. Il ne nous appartient pas, de part et d’autre, de juger ni de donner  des  notes, bonnes  ou  mauvaises.  L’essentiel  est  de comprendre.

S. STROMHOLM

 

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