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Paulo Ferreira da Cunha
Prof. Catedrático da Univ. do Porto

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La Culture Portugaise et la France Littéraire

I. Introduction

Quelle est la trace laissée au Portugal par les Français et par la culture française après tant et de si contradictoires évènements qui ont lié les deux peuples, tout au long de leur histoire?

Les constantes ne nous semblent pas difficiles à trouver et sont bien connues de tous. La France accueille des exilés, fournit des princesses bienfaisantes et est le contrepoint des mariages avec les princesses espagnoles; quelquefois elle aide l’Espagne contre les coalitions luso-britaniques, d’autres fois elle aide les Portugais contre les Castillans ou les Espagnols. Elle attaque des navires et des colonies portugaises pendant l’occupation espagnole. Mais elle aide l’indépendance portugaise contre les Espagnols.

Dans ce bilan naïf, il y a quelque ambiguïté, bien sûr. Mais la balance penche du côté français. Ce n’est pas la France qui attaque le Portugal, ce sont des corsaires, de nationalité française. Ce n’est pas le Portugal qui est attaqué dans ses colonies. Ce serait plutôt l’Espagne… qui occupait le Portugal en outre-mer. Ce n’est pas la France qui, quelquefois, attaque le Portugal. C’est l’Espagne, avec ses alliés français. Et, à la limite, les invasions de Napoléon seraient une alternative au joug colonialiste anglais, ayant pour compensation majeure la plus rapide ouverture du Portugal aux Lumières et au Progrès.

Peut-être ces faits, et d’autres semblablement diffusés, ont contribué, sourdement, au stéréotype portugais du français, bien différent de celui qui serait tracé par un Major Thompson: diplomate, subtil, raffiné. Aimable sans servilité, mais réservé et soucieux de ses intérêts personnels. Stéréotype qui, malgré tout, se maintient de nos jours, excluant, naturellement, le stéréotype de l’envahisseur cruel et voleur, des invasions françaises, qui toutefois a coexisté avec le premier.

Et quelles seraient les influences nées de ces contacts complexes? Les influences directement issues de l’action politique, diplomatique et militaire sont difficiles à isoler. Bien sûr, il y a les conséquences des évènements partagés par les deux nations, bien sûr. Mais à quel point l’une a influencé l’autre et comment peut-on le prouver? Pour le faire, on devrait pouvoir isoler une politique française et une politique portugaise, tout au long des siècles. Et en termes que puissent devenir des éléments de comparaison, pour que les relations de cause et effet deviennent claires. Mais les constantes, en général, se bornent à l’intention commune de contrôler un pouvoir castillan-espagnol fort. Et cela serait le résultat d’une politique très simple: suivre les intérêts propres, avec les règles inévitables du contexte géopolitique.

Le Portugal a construit sa force en outre-mer, et, conséquemment, il a un peu négligé les alliances politiques continentales. Même l’alliance anglaise, dite la plus vieille alliance de l’Europe, est maintenue parce que l’Angleterre est une puissance maritime, et une réponse navale au mur continental que constituait l’Espagne. Sans doute que les relations avec la France se sont ressenties de l’Atlantisme portugais.

En tout cas, les Français se trouvent dans tous (ou presque tous) les grands enjeux de l’Histoire portugaise. Et ce que les relations commerciales, politiques ou militaires ont produit de plus beau et de plus durable, ce fut toujours l’échange de personnes, d’idées, de mœurs, enfin, le contact des cultures.

Ici, nous nous proposons spécifiquement de faire un bref aperçu de l’influence française dans la culture portugaise — et de nous demander si l’acculturation, même si envisagée sous un point de vue partial et univoque, celui de l’influencé face à l’influenceur, ne peut être surtout, et paradoxalement, un moyen de l’influencé se connaître et se reconnaître, bien plus que l’exportation ethnocentrique de l’influence de l’influent. Nous utiliserons dans ce travail, brevitatis causa, les catégories de l’influence établies par Harold Bloom que nous avons élargies et adaptéespro domo dans notre ouvrage Para uma História Constitucional do Direito Português : les désignations grecques sont à lui, les latines nous appartiennent.

II. Illustrations d’un échange multiséculaire

Les portugais des classes supérieures de la société se dirigent à Paris comme les musulmans se dirigent à la Mecque. Doellinger

Charlemagne est un thème déjà présent dans la littérature populaire galicio-portugaise. Au XII.e siècle, l’avènement de D. Henrique, premier roi du Portugal, fils d’un noble de la Bourgogne, était déjà préparé, pour ainsi dire, par un fond culturel, deux siècles avant. Cluny influera le style romanique portugais, et on devra à Cîteaux, par la voie du monastère portugais d’Alcobaça, soit la première école publique (qui a ouvert ses classes le 11 janvier 1269), soit la copie de plusieurs manuscrits, et des traductions du latin et du français qui ont beaucoup contribué à l’enrichissement lexical de la langue portugaise. On ne peut pas ignorer aussi les contributions françaises dans le domaine de la réforme liturgique, dont le plus important a été la substitution, au Portugal, du rite hispanique par le roman, malgré les oppositions locales.

L’action de Cluny et de Cîteaux est un cas de Refectio.

Une situation différente sera celle des chanoines réguliers de Santa Cruz de Coimbra (d’où sortira après l’Université de Coimbra). Ils ont été particulièrement influents entre 1130 et 1180: plusieurs d’entre eux sont devenus évêques par tout le pays. Ils ont réussi à obtenir l’orientation idéologique de la cour portugaise. Dans nos catégories sur l’influence, où se placent ces religieux? Il s’agit d’un processus qui part du Portugal. Il y a une appropriation par des religieux portugais de l’idéal de vie de S. Rufin d’Avignon. La plupart des chanoines n’ont jamais quitté le Portugal. Ils se bornaient à l’importation. Dans ce cas, nous sommes face à une Mimesis.

Une troisième vague religieuse et culturelle très remarquable est celle des ordres militaires et des croisades, laquelle, par son radicalisme, va se mêler paradoxalement à un autre mouvement excessif, d’origine ibérique selon certains, l’anachorétisme. Tous ces mouvements (avec une grande tradition française de base) ont laissé d’importantes influences dans la religiosité, et dans la culture en général, des différentes couches sociales et des diverses zones du pays que chacun a pu toucher plus profondément.

A l’aube de la nationalité portugaise, la Théologie française ne réussit pas à entrer au Portugal. Il semble que l’esprit peu spéculatif (abstrait) du peuple portugais, si souvent répété après, se devinait déjà. Seul Pierre Lombard est lu par le clergé portugais. Et les religieux qui laissent le pays pour faire leurs études s’intéressent presque seulement au droit. La philosophie n’entrera que plus tard, et très simplifiée, à travers les ordres mendiantes.

De toute façon, le processus d’échanges culturels est biunivoque. Les premières bourses portugaises sont données par notre deuxième roi, D. Sancho I, pour des recherches à l’étranger, et à un pays très concret: les textes disent in partibus Galiae studiorum. C’est révélateur. On doit ajouter un détail: les Portugais normalement retourneront au Portugal (on ne compte pas les exilés et quelques humanistes, comme les Gouveia), mais les Français restent souvent au Portugal. Les Portugais vont en France apprendre; les Français viennent enseigner au Portugal. C’est déjà une “communication asymétrique”.

Sur le plan littéraire, l’influence provençale est très connue, et aussi la présence de plusieurs personnages français mythiques dans la littérature portugaise. Entre plusieurs autres, Gil Vicente met en scène un diable picard.

L’accès à d’autres sources culturelles à travers la France se vérifie très tôt. Quelques traductions latines d’Alcobaça sont, sans doute, arrivées de France. Et, au XVI.e siècle, l’Organon d’Aristote est enseigné à Coimbra grâce à la France.

En 1499, pour certains le premier an de l’âge moderne, le roi D. Manuel I attribue de nouvelles bourses pour des études en France, au Collège Montaigu. C’était un pas de plus sur un long chemin, qui venait des débuts duPortugal. Les Portugais avaient toujours étudié àplusieurs endroits de France, à Paris, à Toulouse, à Montpellier, etc.

Une centaine d’années après, en 1553, une autre date célèbre pour le changement de l’âge, Nicolas Grouchoy, latiniste et ancien collaborateur d’André de Gouveia, le célèbre humaniste portugais en France qui fut maître de Montaigne et recteur du Collège de France, traduit l’História das Índias de Castanheda, sur demande de Pierre Delamarre, vicomte du duché de Longueville. Pris par son succès, l’Auteur a commencé une traduction de A Castro, de António Ferreira — mais il ne l’a pas achevée, et le manuscrit s’est perdu. En 1580, l’année même de la perte de l’indépendance nationale, c’est le tour de la traduction française des Imagens da Vida Cristã, de Frei Heitor Pinto.

Toutefois, selon l’opinion de Pageaux, malgré l’arrivée en France de plusieurs travaux portugais écrits en latin,“à la fin du XVIe siècle, le seul écrivain portugais connu des français est…’Osorius’”

Et dans la même année de la restauration (1640) les Trovas du cordonnier de Trancoso, prophète de l’indépendance et du sébastianisme, sont imprimées à Rouen, et elles auront une réimpression quatre années plus tard. Cependant, le Triunfo lusitano, qui raconte la magnifique réception de Louis XIII de France aux émissaires du nouveau roi portugais D. João IV, finira par être mis en castillan, certainement pour être mieux connu de son destinataire le plus direct.

En 1645, sort des presses, avec une dédicace au Cardinal Richelieu, une version française de la Peregrinação de Fernão Mendes Pinto, sous le titre Voyages aventureux de Fernand Mendes Pinto. Elle a été traduite par un gentilhomme portugais qui porte un nom francisé, Bernard Figuier (Bernardo Figueira?). L’année suivante, João Soares de Brito envoie à Paris son Theatrum Lusitanae litterarum, et à Paris il est encore sous le n.º 1290, du Catalogue des Nouvelles acquisitions latines de la Bibliothèque Nationale. Il était alors fréquent l’envoi d’inédits pour être publiés en France, par les Anisson des presses royales de Cramoisy, ou de Maurry (celui-ci spécialisé —paraît-il— dans la publication des chrétiens-nouveaux – juifs – ibériques).

En 1665, à Lyon, sort O Auto do Fidalgo Aprendiz, de D. Francisco Manuel de Melo, qui semble avoir influencé, en 1670, la mise en scène de la comédie de Molière Le Bourgeois Gentilhomme. La culture portugaise en France y aurait une Recuperatio, au moins.

Les énigmatiques Lettres Portugaises sont publiées en 1669. Elles ont suffi pendant longtemps aux préoccupations gauloises pour la littérature portugaise. La matière s’y prêtait: il s’agissait de lettres d’amour d’une religieuse portugaise dirigées à un noble français. L’identification de l’auteur intriguait la critique littéraire des deux pays. Rousseau s’y est intéressé, essayant de prouver que l’auteur était du sexe masculin. Quelques-uns ont écrit sur l’exclusivité française des thèmes amoureux, comme d’autres ont défendu l’exclusivité portugaise du genre lyrique. En outre, Maria Alcoforado a vraiment existé, et elle a vécu dans un couvent de Beja. En effet, l’affaire avait tous les ingrédients.

Politiquement, les évènements aventureux de la récupération de l’indépendance portugaise (peut-être aussi à cause du contrepoint aux espagnols) ont beaucoup intéressé les Français. Ainsi, en 1689, et avec plus d’éclat en 1690, paraît l’Histoire de la conjuration de Portugal, de l’ Abbé de Vertot, texte qui changera de titre en 1711 pour Les Révolutions du Portugal. Cet ouvrage serait une référence obligatoire sur la restauration portugaise de 1640. Dans cette orientation, au-delà du projet échoué de Marmontel, on signalera, en 1753, Les Lusitains, de Caradeuc de Kéranroy, La Révolution du Portugal, de Marguerittes, et Pinto ou la journée d’une conspiration, déjà en 1799, de Lemercier.

Le XVIIIe siècle s’ouvrira avec une Histoire de Portugal de Lequien de la Neuville, éditée à Paris. L’auteur, projetant une nouvelle édition, plus rigoureuse et complète, est allé au Portugal (accompagné de l’abbé Mornet), où il a reçu un accueil enthousiaste.

1723 redécouvrira un thème, Agnès de Castro, avec une tragédie de Houdar de la Motte.

Os Lusíadas, de Luís de Camoens, n’auront leur première traduction qu’en 1735, par un connaisseur des lettres espagnoles, Jean du Perron de Castelara. La même année, la plume de Castre d’Auvigny, nous donne les Amusements historiques — une fois de plus le mythe d’Agnès de Castro —, aussi bien qu’un essai historique de La Clède, qui aspire à surmonter Neuville. Camoens — qui, réduit à l’épisode d’Agnès de Castro et à celui du géant Adamastor, est critiqué par Voltaire dans l’introduction de son Henriade — aura l’honneur d’un buste à Passy, en 1912. Entre-temps, Os Lusíadas seront toujours vus comme La Lusiade, vus les précédents, l’ Henriade ou la Franciade. Et, bien sûr, L’Iliade… Camoens est “L’épique”. D’ailleurs, et jusqu’au XVIII.e siècle, un lieu commun presque aussi grand au Portugal.

En 1745, l’abbé Prévost dédie quelques pages aux qualités de l’Infant D. Manuel, dans ses Mémoires d’un homme de qualité. Il semble que c’est un travail d’une qualité isolée, dans un océan de textes “portugais” plus ou moins vides, plus au moins consternés avec la violence de l’Inquisition, du tremblement de terre de 1755 ou celui provoqué à la société portugaise par le Marquis de Pombal.

La littérature française du XVIIIe siècle fait souvent du Portugal le scénario de quelques épisodes de fiction, destinés à donner au lecteur une ambiance plus véridique des ténèbres de la vie sans les conforts de la civilisation et sous l’intolérance cléricale. Cette mode aura un exemple célèbre dans les malheurs de Candide à Lisbonne.

Cependant, à Lisbonne, l’historiographie moderne le prouve, presque tous (et entre eux plusieurs prêtres) soupiraient pour les Lumières françaises, qu’une élite imposait au pays. Rappelons-nous du Marquis de Pombal. Le marquis connaîtra une certaine fortune en France par la main des Philosophes. Un marquis “francisé” libérera pour quelques instants le Portugal de la honte, dans l’imaginaire intellectuel français. Le franciscain Norbert de Bar-le-Duc publie, sous le pseudonyme de l’Abbé Platel, d’immenses Mémoires historiques contre la Compagnie de Jésus, profitant du temps pendant lequel il a été au service de Sebastião José de Carvalho e Melo, à Lisbonne. Mais ce n’est pas seulement l’œuvre laïciste du marquis qui sera louée. Son œuvre pédagogique le sera aussi. Finalement, son œuvre administrative et/ou “urbanistique-ideologique” sera l’objet de louanges. Même qu’il ait existé aussi un “parti” anti-Pombal en France, dont un des animateurs serait l’Abbé Gattel.

Portugal est de plus en plus français. A la fin du XVIIIe, Timothée Lecussan-Verdier traduit et fait des annotations à l’Hissope, de Cruz e SilvaLe Goupillon. Cet ouvrage était à son tour inspiré par Le Lutrin, de Boileau. C’est une espèce de Reditio de l’Histoire, un retour éternel. Presque tout se lit, même et surtout en cachette. Les manuscrits circulent, les bibliothèques privées sont pleines de livres défendus. On traduit beaucoup, parfois sans faire référence à l’auteur français. En 1797, le poète portugais Barbosa du Bocage (auteur de nombreuses traductions, dont celle de Paul et Virginie, de Bernardin de Saint-Pierre) imprimait la version portugaisede Gil Blas, de Le Sage, auteur français qui, au contraire de Guevara, l’auteur espagnol de El Diablo Cojuelo, est inclus dans l’Index.

Malgré son anglicisme et germanisme très apparents, et le triomphe de ce dernier au Portugal selon la proclamation un peu naïve, un peu décisioniste d’Antero de Quental, le XIXe siècle est encore français. Très français même. La sophistication raffinée du “202” de Jacinto, ou les complexes de tous les Ega et tous les Carlos da Maia, dans l’œuvre d’Eça de Queiroz (bien que les montagnes finissent par triompher sur la ville, et les hagiographies sur les conférences démocratiques du Casino) tout cela est français. Français aussi est le rythme à la Victor Hugo, chez le poète Guerra Junqueiro. Français sera, en bonne mesure, le romantisme portugais. C’est encore dans le XIXe siècle que d’éphémères revues d’échange se créent — l’Abeille, 1836-42, la Revue lusitanienne, 1852-53… Et n’oublions pas que cent mille exemplaires de la constitution française sont entrés au Portugal au début du siècle. Les émigrés portugais à Paris pendant le XIXe siècle avaient fréquenté avec enthousiasme des cours et des conférences à la Sorbonne. Français sera le début de As Viagens na Minha Terra, de Garrett, inspiré de Joseph de Maistre, et, à la fin du siècle, le symbolisme d’Eugénio de Castro. Même Camilo Castelo Branco, cherchant les sources nationales, traduit Chateaubriand, et essayera d’écrire une version portugaise de La Comédie Humaine.

Sur le plan des influences culturelles avec une dimension plus nettement politique, les exemples ne seraient pas moindres. Silva Carvalho était influencé par les lectures de Condorcet, Beaujour et Montesquieu. Le Baron de la Brède était très répandu, en effet: avec Benjamin Constant et Rousseau (en 1821, le Contrat Social connaît deux traductions portugaises, une à Lisbonne et une autre à Paris), il était une des lectures des frères députés Passos. Herculano et Garrett avaient aussi lu le président du Parlement de Bordeaux. Et Alcipe ne lit pas seulement Fénélon. Elle lit aussi Voltaire, bien que pas tout Voltaire. Dans le premier quart du siècle, à Lisbonne, et selon le témoignage du Marquis de Fronteira, il y avait même des gens qui savaient par cœur des pièces de Racine, Voltaire et Molière. Les gentilshommesportugais comme le Marquis de Fronteira, le comte de Linhares, José Francisco Braamcamp, ou le Duc de Palmela étaient très bien reçus dans les salons culturels de l’empire et de la restauration.

C’est au XIX.e siècle que commencèrent à être publiées en France des grammaires et des méthodes de portugais à très bon marché. Mais seulement en 1938 sera donnée la possibilité d’une agrégation en portugais, ce qui, dans la pratique, semble n’avoir été appliqué qu’en 1973. Selon les critères de l’enseignement secondaire, il semble que la langue portugaise est officiellement considérée “langue rare”, tout comme l’italien et le russe). A l’époque de ces données, cette introduction du portugais en secondaire comme option n’avait pas encore obtenu ses fruits: 2372 français avaient choisi le portugais dès la classe de sixième, mais seulement 378 l’ont choisi comme “seconde langue”. Et toutefois plusieurs de ces étudiants étaient des français d’origine portugaise.

Au long des siècles, on assiste à d’éphémères succès du portugais en France. Froissart parle des héros de la bataille d’Aljubarrota, Philippe de Commines éloge D. Afonso V. Montaigne fait référence à son maître, André de Gouveia. Lamartine parle du génie de Frei Manoel do Nascimento et de la douleur de son exil. Quelques scientistes portugais sont très bien reçus, au XIXe siècle. L’Abbé Correia da Serra se correspond avec beaucoup de membres des académies françaises. Et bien d’autres noms portugais sont présents dans les académies et corporations intellectuelles de Paris, Bordeaux, Lyon et Marseille. José Liberato Freire de Carvalho a même songé à la gloire pour avoir publié son Essai politique simultanément en portugais et en français. Entretemps, il a traduit pour le portugais des ouvrages de Montesquieu et de Condillac. Domingos Sequeira avait gagné un prix à Paris pour son tableau A morte de Camoens.

 De nos jours, Augusto de Castro a eu l’honneur d’un banquet, le théâtre de José Régio est joué à Paris, Torga, Agustina, Sophia et Pessoa (entre beaucoup autres) sont traduits, Manoel de Oliveira et d’autres cinéastes sont appréciés, le peintre Vieira da Silva, née portugaise, reçoit une décoration française. Et même, selon João Medina, la quantité d’études publiées en France sur Salazar est presque interminable.

Tout cela semble curieux. Mais tout cela est très peu, comparé à la solide et permanente influence française au Portugal, soit par action, soit par répulsion. Pour certains, c’est une promesse d’un futur dialogue biunivoque.

A la fin de cette liste très abrégée, on a la sensation que l’influence dérive surtout de traductions portugaises. Il y a plusieurs influences culturelles, notamment philosophiques, philosophico-politiques, etc. Mais toutes ou presque toutes, passent par la traduction.

Est-ce qu’on doit donner raison à José Agostinho de Macedo, dans sa satyre, Os Burros [ les Anes]?

“Génie de la traduction, délice, emploi
De plusieurs sages que le Tage pâture…
Avec des traductions de la Patrie, ils augmentent la gloire […]
Pope est traduit par Aguiar; Horace par Ribeiro;
Niceno a traduit, aussi bien que Bocage
António de Araújo traduit, en vers:
Manuel de Sousa a traduit de son vivant,
Manuel de Sousa est mort à traduire;

Traduit maintenant de Palmela, le comte

Et Cândido Lusitano traduisait;
Piedegache a traduit, et tous se sont trouvés
Au cinquième cercle des enfers…”

III. Interprétations de l’acculturation française du Portugal

1. L’image mythique du Portugal en France et quelques aspects généraux d’une « balance d’influences » déséquilibrée

Le Portugal est, pour la culture française, un livre étrange. Etrange parce que peu connu, malgré la proximité, étrange parce qu’étranger, dans le sens de différent. La couverture d’un tel livre imaginaire aurait une de ces figures de trompe-l’oeil qui, grâce à une fine et transparente feuille plastifiée, fait souvent les délices (et la confusion) des enfants en transformant la princesse en sorcière et le prince en grenouille, selon l’angle d’observation. Daniel Pageaux dit même que le Portugal a pour le français « un visage diffus, comme une photographie défocalisée » ou une succession de portraits d’un « album mythique ».

Et concrétisant cette couverture hybride, l’Auteur continue: « Pourtant, voilà que surgissent quelques détails qui nous permettent d’identifier un homme sans âge. Il semble imberbe, avec sa moustache à peine ébauchée, et il a le regard rêveur derrière un voile qui tombe d’une espèce de chapeau grand et noir. On dirait que ce voile fait partie d’un grand bateau qui difficilement s’aperçoit dans l’horizon. »

C’est une allusion à l’image canonique (peut-être pas la plus fidèle mais sans doute la plus connue) de l’Infant D. Henrique, surnommé «le Découvreur». Mais le comparatiste littéraire poursuit sa description, dessinant les contours d’un autre personnage: « (…) voilà que nous apparaît subitement un autre visage, celui d’un homme à barbe, le regard également rêveur, mais cet homme-là n’a qu’un oeil. Le chapeau à larges bords du premier homme a disparu, et il est remplacé par une couronne de feuilles de laurier autour de son ample front. On distingue très mal d’autres traces de son visage, mais nous voyons encore que cet homme porte une magnifique cuirasse et une sorte de chemise blanche avec un col haut et plissé autour de son cou. »

On reconnaît le portrait officiel du grand poète de la nation portugaise, Luis de Camoens. Et l’Auteur continue à feuilleter les pages de l’album, voyant surgir de quelques ruines la chevelure poudrée du Marquis de Pombal, et ensuite les cheveux argentés de Salazar rehaussés par ses costumes noirs. Et, fermant son album, l’image surréaliste des immigrants portugais: « Effectivement, les mains blanches et les poignets repassés de la chemise, appartenaient à un autre corps, fait de milliers et des milliers de jambes qu’on voit sortir de la mer, marcher sur le sable, puis marcher à travers les rues, monter des échelles, des poutres, courant d’un lieu à l’autre sur la boue des chantiers… ».

Sans doute que cette vision de Daniel-Henri Pageaux est celle d’un érudit. La vision la plus générale des français est certainement moins intellectualisée et, même pour cela, peut-être moins bienveillante.

Une certaine «culture» française, très habituée à voir le Portugal comme un simple appendice espagnol, se prive de connaître un des pays les plus francophiles du monde. Comme affirmait un français du XVIIIe. siècle, les portugais, s’ils ne l’étaient pas, préfèreraient être français. La vague d’immigrants portugais en France ne peut pas se justifier seulement par des raisons économiques

Il y a toujours eu un flux bilatéral d’influences. Mais plutôt motivées par le désir portugais d’importer que par l’intention française d’influencer. Dans beaucoup de cas, on pourrait dire qu’il y a une influence française au Portugal, même pas soupçonnée par le commun des français.

2. Interprétations des contacts culturels, surtout littéraires

La France, le plus littéraire des pays.   Jorge Luis Borgès

Le savant britannique Aubrey F. G. Bell, auteur d’une remarquable œuvre d’ensemble sur la littérature portugaise pose très nettement le problème de l’originalité dans la littérature portugaise. L’auteur considère que le Portugais est doué d’une réceptivité “athénienne”, qui très tôt est devenu cosmopolite, parce qu’il était naturellement incliné aux rapports avec d’autres peuples par sa vaste côte et par des frontières terrestres peu rigides.

Les Portugais seraient trèsperméables aux influences littéraires étrangères. Ces influences auraient même déterminé les périodes littéraires nationales. Ainsi, il y aurait eu au Portugal une école provençale (XIIIe siècle), une école espagnole (XIVe et XV e siècles), une école italienne (XVIe siècle), une école espagnole et italienne (XVIIe siècle), une école française (XVIIIe siècle) et une école anglaise et allemande (XIXe siècle).

Si cette périodisation aide notre but, elle nous semble exagérée, trop simplifiée. Qui pourra oublier les influences françaises si importantes au XIX.e siècle? Sur elles se basent les accusations de plagiat formulées contre Eça de Queiroz: son O crime do Padre Amaro serait une version de l’ouvrage de Zola La Faute de l’Abbé Mouret. Et les influences dites anglaises et allemandes, ne sont-elles pas arrivées à travers la culture et la perspective des auteurs français, et reprenant quelques donnéesdes lumières dites françaises? Qu’est-ce qui commence et où?

Il serait commode de voir du “francisme” à l’aube de la nationalité, par l’influence des troubadours provençaux, et plus tard la revoir au siècle des Lumières. Toutefois, on ne pourrait l’accepter qu’à bénéfice d’inventaire, quand on compare les chansons d’amour influencées par celles du Pays d’Oc avec les chansons d’amis, typiquement portugaises, et surtout quand on envisage la question de la contamination des premières, exogènes, par les secondes, endogènes.

Et, dans le sens inverse, Andrée Rocha, qui souligne une constante admiration pro-française dans les lettres nationales, en des termes qui ne laissent aucune place au doute. De plus, avec l’intégration d’autres influences, la dimension de la division de Bell est relativisée: “En effet, si on parcourt la littérature portugaise dès les débuts jusqu’à nos jours, nous sommes frappés par la constante fascination que la France exerce sur la mentalité portugaise. Bien que quelquefois avec la concurrence, selon diverses motivations, par des influences espagnoles ou italiennes, anglaises et allemandes, et, plus récemment, par l’exemple russe, nord-américain et brésilien, cette fascination n’a aucun parallèle en nulle autre relation bilatérale”.

Mais Bell n’est pas seulement l’écho d’une périodisation, naturellement une façon de rendre simple le complexe. Et il ne considère pas la littérature portugaise une simple transposition des littératures étrangères, selon les modes des siècles. Tout au contraire, s’il affirme l’influence étrangère, il souligne aussi, emphatiquement, l’originalité des lettres portugaises, en pages dont la lecture vaut la peine. Nous nous bornerons à quelques passages: “On peut se demander, particulièrement de la part de ceux qui confondent ‘influence’ avec imitation, comme si celle-ci pouvait détruire l’originalité : Qu’est-ce que la littérature portugaise a de spécifique? […] la satire celtique et la lyrique galicienne, mystique, […] le génie du récit, démontré par Fernão Lopes, ont pris une grandeur épique, dans le vers comme dans la prose, en conséquence des grandes découvertes portugaises en Afrique et en Asie […] une poésie particulièrement réaliste et naturellement bucolique.”

L’Auteur considère encore le mysticisme portugais “plus persistant” que l’Espagnol, mais cette caractéristique fruit peut-être de la culture britannique de Bell, n’est pas souvent considérée entre les traits portugais.

Et quelques lignes après il souligne: “Qu’extraordinaires aient été les faits du Portugal dans les Découvertes et dans la Conquête, sa littérature n’est pas indigne de ces faits”

 Et cela parce que la Renaissance portugaise, précisément la période des Découvertes — en tant qu’expansion pacifique et essentiellement commerciale et religieuse —, a été une période profondément originale.

Ce dernier aspect, qui lie ici la question de l’originalité à celle de l’influence, est, peut-être, vitale. Et peut-on conclure, généralisant l’affirmation, que, s’il est vrai que (naturellement mutatis mutandis) les faits littéraires des portugais ressemblent à leurs découvertes, les faits littéraires et leurs qualités, la façon d’être, seraient le reflet de sa façon d’agir?

Aubrey Bell, l’auteur d’un grand pays, le dit: il considère la littérature portugaise comme la plus originale des littératures des petits pays.

Retournons au parallèle avec les Découvertes. Il y a une thèse de doctorat présentée à la Sorbonne par un portugais, sur le problème de l’originalité, plus spécifiquement sur l’originalité de la Renaissance portugaise. Son auteur est l’historien portugais, déjà décédé, Joaquim Barradas de Carvalho. Cela fait plus de 800 pages de texte et documents qui semblent avoir établi le sens de l’originalité ou de la spécificité portugaise à cette époque.

Grosso modo, et privilégiant notre question, on dirait que le processus de recherche avait commencé, ou a pu commencé par la question-réponse de Georges Lefebvre: “De cette aventure élargie, multiséculaire (à nos yeux), la Renaissance — quel a été en gros le fait essentiel? Bien sûr, les grandes découvertes.”

Après avoir cité son maître, Barradas de Carvalho progresse par un saut logique-heuristique important, inspiré par la question de Lefebvre. Ou mieux: la question de Lefebvre a fonctionné comme l’étincelle qui a enflammé une mèche déjà prête par des réflexions antérieures et quelques préoccupations de Carvalho sur le Portugal, les Découvertes, la Renaissance. Il dit immédiatement après: “Cette évidence émise par Georges Lefebvre nous fait penser que le Portugal a une place de choix par rapport à ce fait essentiel de la renaissance. Et tout ce qui, de loin ou de près, est lié aux grandes découvertes, est ce qui peut nous donner les traits spécifiques de la Renaissance portugaise.”

Alors, essayons de reconstituer le fil de cette recherche, récapitulantun peu, et en ajoutant des éléments nouveaux:

L’essentiel, disons, le spécifique, alors, l’original de la Renaissance (dans la synonymie de l’Auteur) ce sont les Découvertes. Les Découvertes sont une originalité portugaise —préssuppose, dès le début, l’Auteur, portugais: “Portugal a une place de choix” face aux Découvertes, Ainsi, si les Découvertes rendent la Renaissance singulière, ce qui peut rendre à son tour les Découvertes portugaises singulières est la spécificité de la Renaissance portugaise, dit quelle est son originalité. Et, dans ce domaine, l’auteur nous donne une conclusion brève (vingt pages de texte) mais documentée (plus de cent pages de notes microscopiques): il suit l’opinion du brésilien Sérgio Buarque de Holanda. Pour eux, contrairement à l’expansion espagnole, conquérante, la portugaise a été commerciale, comme la grecque et la phénicienne.

Sans plus entrer dans le complexe syllogisme de Barradas de Carvalho, nous pouvons nous demander en quoi il peut éclairer notre problème.

A notre avis, il confirme, en quelque sorte, A. Bell, car il fait intervenir les Découvertes comme moment crucial de l’histoire portugaise, donnant originalité à la Renaissance portugaise et de la Renaissance en général. Et Bell, comme nous l’avons vu, basait un peu l’originalité portugaise sur l’expansion.

Mais Carvalho va encore plus loin: il nous fournit une sorte de double confirmation (ou, alors, une confirmation en kaléidoscope, qui se reproduit plusieurs fois) de l’originalité littéraire portugaise dont Bell nous parlait.

Le Portugal est original dans sa Renaissance à cause des Découvertes, qui, d’ailleurs, sont différentes des espagnoles par leur “pacifisme” commercial.

On voit que la première originalité semble pouvoir être partagée avec les Espagnols. Mais un second niveau d’originalité se dessine, et leurs différents comportements coloniaux marquent la spécificité de leur Renaissance: pendant une longue période, les Portugais dirigent une expansion commerciale et, malgré tout, avec une stratégie non belliciste: ils découvrent une région, ils demandent la permission de s’y installer, ils évitent les combats avec les peuples autochtones. Ils ne cherchent pas à éliminer l’autre, mais à vivre avec lui. Le mariage avec des femmes natives, par exemple, n’est pas seulement une pratique fréquente, mais aussi une politique encouragée. Plus tard, au XVII.e siècle, face surtout à la colonisation territoriale et méthodique des anglais et des hollandais, ils essayeront vainement de démontrer que la découverte est plus importante que la conquête. Dorénavant, il ne suffira plus d’arriver le premier, il faut savoir se maintenir en premier.

On vérifie, alors, que la nouvelle et profonde originalité qui se dessine est en parfaite harmonie avec le type-idéal du Portugais et de la portugalité définie, parmi tant d’autres, par l’éminent anthropologue Jorge Dias : le portugais révélerait une certaine douceur de caractère qui, par exemple, a toujours empêché ou assoupli les conflits. Le Portuguese way of life se confond, dans les mots de ses critiques, avec les “mœurs doux [ou moux]” (“brandos costumes”). Cela doit être modéré, parce que nous avons aussi été capables de choses féroces: en tant de crises graves, il faudra le dire…

Mais toute originalité cache ses paradoxes. Celle qui est précisément la plus grande originalité de l’expansion portugaise est, en fin de compte (et reprenant Buarque de Holanda), la reprise d’un lieu-commun historique: l’originalité de la colonisation faite par les puissances maritimes de l’Antiquité, soit par la Phénicie soit par la Grèce. En conclusion: Bell avait bien raison quand il n’opposait pas absolument l’influence (ou, dans le cas concret, la coïncidence) à l’originalité. Une chose qui change de temps n’est plus la même, et tantôt elle peut donner une impression de déjà vu, tantôt elle peu paraître le dernier cri. Everything old is new again

Si on se met à feuilleter les anthologies littéraires espagnoles, on peut parfois y trouver Camoens, Gil Vicente, et beaucoup d’autres grands noms de la littérature portugaise. En effet, plusieurs écrivains portugais ont utilisé aussi la langue castillane. C’était une question de public. L’intention était d’atteindre un plus vaste nombre de lecteurs. Jusqu’au XVII.e siècle, au Portugal, le castillan a joué, pour les ouvrages littéraires, un rôle identique à celui du latin en ce qui concernait les ouvrages scientifiques. Et après, d’autres écrivains portugais ont choisi d’autres langues. Fernando Pessoa a écrit aussi en anglais, naturellement parce qu’il a été éduqué en Afrique du Sud. Cavaleiro de Oliveira, Silvestre Pinheiro Ferreira et Vitorino Nemésio ont écrit en français par des raisons les plus diverses.

C’est un problème culturel, mais aussi démographique. Les Portugais ont toujours été très peu de gens. Même quand ils avaient un empire énorme, et aussi parce que l’empire, séparé et uni par la mer, a coûté au pays beaucoup de vies. « Oh, la mer, combien de ton sel sont des larmes de Portugal », dira Pessoa.

Cependant, pour un étranger, la liaison entre la culture et la langue portugaise et espagnole est encore plus forte que les autres phénomènes de bilinguisme littéraire. Une thèse très répandue (presque une vox populi parmi les intellectuels) identifie purement et simplement la culture portugaise à l’espagnole, ou mieux: qui considère la culture portugaise une subdivision de second niveau de la culture espagnole, une culture périphérique. Ce qui se traduirait par un appauvrissement de la culture européenne, par amputation d’un élément de sa diversité.

Nous avons conscience de l’insertion de notre question dans le vaste patrimoine culturel des relations entre la France et le Portugal. La France est considérée, à plusieurs égards, et surtout depuis le XVIII.e siècle, la plus grande source culturelle portugaise. Les influences culturelles françaises et, d’une manière générale, les rapports franco-portugais, se projettent dans plusieurs directions, de la politique à la rhétorique. Et ce n’est pas rare que l’influence française soit le véhicule de transmission d’autres cultures, d’autres influences.

Pourtant, un aspect est indéniable. L’influence de la France au Portugal a presque toujours une matrice littéraire. C’est par la littérature que la France a conquis le Portugal culturel, et ce n’est après qu’elle a passé à d’autres formes d’expression de la pensée, non fictives, comme la philosophie ou le pamphlet. Ainsi, l’influence juridique et politique française au Portugal ont comme base non seulement le prestige de la langue française, sans lequel rien ne serait possible, mais aussi l’amour portugais pour la littérature française. Si les grands penseurs politiques français n’auraient pas été aussi des écrivains, probablement tout se serait passé de façon bien diverse. Et si la langue française n’était pas suffisamment latine, souple et digne d’être comprise, utilisée et vénérée, les idées qu’elle véhiculait ne l’auraient jamais été. Le prestige de la langue française était un prestige littéraire, et il fonctionnait dans une société qui célébrait l’excellence de la littérature.

Du point de vue politique, la France a été responsable pour la création et la diffusion d’un constitutionnalisme moderne rhétorique au sens faible, que les Portugais ont adopté, quand ils possédaient dans leurs racines hispaniques, dès les Conciles de Tolède, une originalité des libertés beaucoup plus efficace. Mais ce legs n’est pas totalement vide, comme il ne l’est pas celui de la révolution anglaise et de l’indépendance américaine. Ce qu’il faut corriger c’est l’oubli de nos racines, qui sont encore vivantes, d’ailleurs dans les pays de langue portugaise, comme le Brésil.

De nos jours, avouons-le, la crise du prestige de la langue française est surtout la crise d’une société qui ne célèbre plus la littérature, et n’y cherche point ses modèles. L’uniformisation du monde est, dans une grande mesure, le fruit du triomphe des media massificateurs — de la musique, des films et des programmes de télévision, à l’Internet… Cela est vrai aussi pour la nouvelle acculturation du Portugal contemporain, où on ne lit plus, et où les classes de français se vident. Malheureusement!

Ceci dit, il faut envisager de nouveau les contacts culturels avec la France. Etant la balance d’échanges culturels déficitaire pour le Portugal est-ce que le legs français a été intégré et transmuté dans une idiosyncrasie propre? Ce qui, après, a été appelé d’“estrangeirado” et de“francisé”, sera ce qui n’a pas été intégré et transmuté? Le bon legs français sera vraiment français, mais sans trop accuser son étiquette “made in France“?

Les contacts, même médiatiques et officiels, subsistent. Les traductions continuent. Même des portugais en France. Le Magazine Littéraire a fait un accord avec un Programme culturel de chaîne «culturelle» de la télévision portugaise, l’Acontece – aujourd’hui menacé de suppression par l’économisme du gouvernement, aussi bien que la chaîne elle-même.

La culture française risque de devenir un phénomène élitiste d’acculturation dans un contexte de cosmopolitisme gris qui ne parle pas même l’anglais. Shakespeare serait choqué par la nouvelle langue véhiculaire (lingua franca)…

Est-ce que pour les Portugais, être francisé pourra un jour devenir la seule solution d’être membre de la latinité, citoyen du lac romain, et même d’être soi-même, dans ses propres racines?

L’universalisme lusophone implique la défense (entre autres) de la culture française contre le cosmopolitisme gris, l’espérantisme culturel – un des visages de la correction politique et culturelle. Et c’est par cela que la première édition de ce texte est parue dans un des plus rêvés paradis des Français: le Brésil. Rêve que les Portugais cependant ont eu la chance de vivre…

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