Les artistes français à l'étranger, 1876 (3° ed)
LES ARTISTES FRANÇAIS A L’ÉTRANGER L. DUSSIEUX OUVRAGE COURONNÉ PAR L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES EN 1859 TROISIEME EDITION – 1876

 

 

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Reproduction des pages 10 à 24 (traitement ocr corrigé).

AVANT-PROPOS

Le titre seul de ce livre indique la pensée de son auteur. Il a pour but de mettre en lumière les noms et les œuvres de nos artistes qui ont travaillé à l’étranger, et de faire connaître l’influence que l’art français a constamment exercée en Europe depuis le xiiie siècle.

On a nié autrefois l’existence d’une école française. Tout ce que la France a produit était, disait-on, sarrasin, allemand, flamand, italien. Quelques-uns voulaient bien admettre l’art et le goût français, mais en les déclarant si détestables, que leur jugement équivalait à une négation. Cette opinion n’existe plus, et nous nous félicitons d’être l’un de ceux qui ont contribué à la faire disparaître.

Dans la première partie de ce volume, l’histoire générale des arts en France, nous ferons connaître l’originalité de notre école, la puissance de création qu’elle a eue seule entre toutes, et qui lui a permis de se transformer maintes fois, en conservant toujours ses caractères propres et fondamentaux.

Nous montrerons la persistance du goût français depuis le xiii e siècle, ses luttes contre les influences étrangères et contre les tentatives faites au xvi e siècle et à la fin du xviii pour l’anéantir. Nous dirons aussi quelles ont été les grandes créations de l’art français, imitées ou adoptées partout : l’architecture et l’ornementation gothiques, la peinture sur verre, la peinture en émail, la musique moderne, les jardins à la française, l’architecture de l’école de Robert de Cotte et de Boffrwd, l’ornementation du xviii siècle.

Dans la seconde partie, le répertoire des travaux exécutés dans les pays étrangers par nos artistes, on verra quelle a été leur influence en Europe, et combien, par le grand nombre de leurs œuvres, l’action de la France a été et est encore considérable.

On a traité de l’influence française quant à la philosophie, au droit, à la littérature et aux sciences. Pourquoi donc, dans l’histoire de l’influence que la France a exercée sur le monde, négligerait-on l’une de ses parties, qui n’est pas la moins brillante ? Pourrait-on le faire d’ailleurs, après que les expositions universelles de 1855, de 1867 et de 1873 ont attesté la supériorité indiscutable de notre école moderne.

Que le lecteur veuille bien nous permettra de remercier ici tous nos amis et les nombreux artistes qui nous ont si cordialement aidé dans ce travail, soit en nous traduisant de nombreux documents étrangers, soit en nous donnant de précieux renseignements, soit en nous aidant dans nos longues recherches à la Bibliothèque nationale soit enfin en mettant à notre disposition les richesses de leurs collections, « Dieu veuille, amis, leur disais-je en 1856, que le succès récompense nos efforts, que notre livre répande l’idée qui l’a inspiré et attache un nouveau fleuron à la glorieuse couronne de la Patrie. » Depuis lors, le fleuron militaire est tombé ; la France a été déplorablement vaincue. Mais, si la France officielle, politique et militaire est tombée par sa faute, par son ignorance et son infatuation, la France non officielle, la terre du goût et de l’esprit, est demeurée aux mêmes niveaux que par le passé, et c’est encore chez elle qu’on vient chercher l’inspiration et des leçons.


HISTOIRE GÉNÉRALE DES ARTS EN FRANGE
MOYEN AGE

Ce n’est pas un fait nouveau dans les Annales de la France que de voir de grands artistes naître sur notre sol, puis aller dans les pays étrangers pour y produire quelque œuvre considérable. Il y a dix-huit siècles, Néron ordonnait à un Gaulois, déjà célèbre par le colosse de Mercure qu’il avait exécuté dans sa patrie, de venir à Rome, où ce sculpteur, appelé Zénodore, fit, en bronze doré, le colosse du César. Cent ans après la conquête de la Gaule les descendants des compatriotes du grand Vercingétorix ornaient de leurs œuvres la capitale du vainqueur !

Plus tard, quand l’architecture romaine, répandue par toute l’Europe, se fut partout aussi transformée, sous l’influence du christianisme, en architecture romane, nos architectes et nos sculpteurs, principalement ceux de Normandie, allèrent en Angleterre, en Italie et en Espagne, et y élevèrent de nombreux édifices. Mais nous ne voulons ici que dire un mot de ce qui touche à la période romane dans l’histoire des arts au moyen âge, parce que l’art de ce moment n’est pas une création française et n’est pas spécial à là France

La France se forme alors, et ce n’est que sous le règne de Philippe-Auguste que la nationalité française l’emporte définitivement sur les races du midi et sur les Anglo-Normands. La grande victoire de Bouvines (1214) constitue la France moderne, et c’est bien l’épée de Philippe-Auguste qui a tracé la première carte de France. Au triple point de vue du pouvoir, du territoire et de la nationalité, la France n’existe complètement qu’à partir du xiii e siècle, et l’époque de la formation politique de la nation française coïncide avec le développement d’une langue, d’une littérature, d’une société et d’un art absolument français, nouveaux dans leurs formes, et n’ayant du passé que la tradition et les racines nécessaires toute création qui est appelée à vivre.

Aussitôt que la France eut trouvé et manifesté les formes de son développement social, toute l’Europe se prit à l’imiter, à adopter sa littérature, à penser et à parler comme elle, à bâtir comme elle bâtissait ; l’Europe encore à moitié barbare se fit française autant qu’elle le put. A l’exception de quelques moments pendant lesquels la France a subi une influence extérieure, l’influence française s’est exercée sur l’Europe, et elle dure encore.

Bien que le génie des populations soit la principale cause de ce fait universel, une autre cause doit être encore signalée, la situation géographique du pays. Les avantages de cette position sont tels, que Strabon, il y a 1800 ans, n’hésitait pas à dire que « personne ne pourrait douter, en contemplant cette œuvre de la Providence, qu’elle n’ait disposé ainsi ce pays avec intention et non pas au hasard ».

Lorsqu’au xiii e siècle la littérature et l’art français débordèrent sur l’Europe, il semble, en vérité, que la France soit trop petite pour contenir toute sa grandeur ; et à ce moment la politique française avec saint Louis, avait autant de gloire et d’influence à l’extérieur que nos architectes et nos poètes. Alors aussi, les dynasties françaises régnaient sur presque toute l’Europe, en Portugal, en Gastille, en Hongrie, en Pologne, à Constantinople, en Morée, à Athènes, en Chypre, en Syrie, à Nazies, c’est-à-dire dans presque tous les États du bassin de la Méditerranée, qui fut vraiment alors un lac français. Ces dynasties répandaient dans leurs royaumes les usages, les arts et la langue de la mère-patrie.

Parmi les causes si diverses qui ont contribué à augmenter l’influence de la France, il faut mentionner la renommée des grandes abbayes et des écoles de Cluny, de Clairvaux, de Prémontré, etc.,où les étrangers venaient s’instruire dans les sciences sacrées et puiser le goût de l’art gothique : la célébrité de l’Université de Paris, école suprême de toute l’Europe, où affluaient de tous les pays des milliers d’étudiants qui remportaient ensuite chez eux la connaissance de notre littérature, de nos poèmes de chevalerie et de notre langue, qu’on appelait au temps de saint Louis la parleure commune à tous.

Le français, la langue d’oil, était, en effet, parlé dans toute l’Europe et dans tout l’Orient, où il s’est conservé sous le nom de langue franque. Au xiii e siècle, les seigneurs allemands avaient autour d’eux « gent françoise pour apprendre françois leurs fils et leurs filles ». Brunetto Latini, le maître du Dante, qui avait étudié à Paris, composa en français son « Trésor », espèce d’encyclopédie du xiii e siècle, parce que cette langue, disait-il, était plus commune à toutes gens que les autres.

Dante pensa d’abord à écrire la Divine Comédie en français, afin qu’elle fût plus universellement connue. Il avait longtemps résidé à Paris ; il avait lu nos poésies nationales et sten était fort inspiré. M. Rathery, après une patiente comparaison des poèmes (le Dante et du Roman de la Rose, de Jean de Meung, établit que le poète florentin a souvent imité et traduit quelquefois les vers du poète français. »

Une longue insouciance pour notre vieille gloire littéraire, nous a laissé beaucoup d’erreurs à combattre et de droits à revendiquer. On ne saurait croire avec quelle légèreté des écrivains du dernier siècle et môme du nôtre, qui avaient cependant à leur disposition les travaux de Fauchet, de Barbazan, et les admirables recueils de copies manuscrites formés pendant plus de cinquante ans par la Curne Sainte-Palaye, ont abandonné et trahi la cause de l’originalité nationale dans un genre où il est si rare de créer. Peut-être s’imaginaient-ils avoir tout dit quand ils avaient répété sans examen quelque dicton puéril contre la stérilité française ; et ils oubliaient que la France avait fourni de sujets d’épopées l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, l’Angleterre, sans compter les versions de nos poèmes dans presque toutes les langues du nord et de l’orient de l’Europe. De prétendus critiques, moins justes en France pour nos poètes qu’on ne l’était hors de France, nous donnaient pour des traducteurs, tandis que c’est nous qui nous étions traduits.

Cet ingénieux poème de Partonopeus de Blois, où quelques souvenirs de la Psyché d’Apulée sont renouvelés avec grâce, et que l’on ne connaissait que par une mauvaise analyse de la Bibliothèque des romans d’après une rédaction espagnole, était regardé, sur la foi d’une note qu’une main moderne avait jointe au manuscrit de l’Arsenal, comme la traduction d’un roman en vieux langage catalan, publié en 1488 à Tarragone; et les réclamations n’auraient peut-être pas été entendues si, en 1834, Grapelet n’eût imprimé l’original d’après cette copie française du xii e siècle.

Il n’y a pas longtemps qu’on redisait encore avec Tressan, que le Filocopo de Boccace, ou Florio e Bianca flore, venait d’un ouvrage espagnol imprimé en 1511. Flore et Blanche-fleur, ce charmant petit poème que tout le monde peut lire à présent dans l’édition donnée en 1844 à Berlin, est une production française très ancienne, dont le style a été rajeuni au xiii siècle, que les minnesingers avaient imitée d’après un texte antérieur, et que toutes les nations européennes, même la Grèce, s’étaient empressées de traduire.

Ce n’est que lorsque nous aurons les diverses rédactions du texte français du roman de Troie, par Benoit de Sainte-Maure, écrit vers le milieu du xii e siècle, et dont nous avons un manuscrit daté de l’an 1364, que nous pourrons savoir avec certitude si c’est à une imagination française, comme un premier coup d’œil nous l’a fait depuis longtemps supposer, que le Filostrato de Boccace, et, d’après lui, Chaucer et son imitateur Shakespeare, ont dû l’épisode de Troilus et Cressida

Notre vieille poésie nationale, si goûtée des étrangers au treizième siècle, continua d’exercer son influence sur les littératures de l’Europe pendant longtemps encore, jusqu’au moment où la France, à la suite de la Pléiade, dédaigna son propre fonds littéraire et rejeta ses traditions; et, à ce moment-là même, les grands poètes de l’Italie faisaient avec nos légendes chevaleresques, l’Ariosto son Roland furieux, et le Tasse sa Jérusalem délivrée.

La langue et la littérature de la France ne furent pas seules adoptées par les peuples étrangers ; il en fut de même de nos usages, de nos modes. Au milieu du xi e siècle, Sigefroi, abbé de Goers, déplorait que la décadence des anciens temps ait fait place à l’usage ignominieux des Français de se faire la barbe et de porter des habits courts. Presqu’en même temps, Godefroy de Bouillon recommandait aux chevaliers allemands la société des Français pour polir leurs mœurs et adoucir leur rudesse


Architecture

En même temps que la langue, les poésies, les mœurs et les modes même de la France étaient universellement acceptées, l’architecture française l’était pareillement. Les étrangers qui venaient par milliers à l’Université de Paris, puisaient en France le goût de l’architecture français qu’on appelle si improprement gothique. Entre autres faits, il faut parler de ces étudiants suédois, qui, en 1287, envoyaient en Suède Etienne Bonneuil, tailleur de pierres de Paris, avec dix compagnons, pour aller  « faire » la cathédrale d’Upsal et lui fournissaient l’argent nécessaire à son voyage.

Sans vouloir écrire ici l’histoire de l’architecture gothique, il est cependant nécessaire de faire connaître les résultats des travaux les plus récents sur l’origine de cette architecture. Il est parfaitement certain aujourd’hui que l’architecture gothique a pris naissance en France, dans l’ancienne Neustrie, qu’elle y a acquis son développement, et que de la France elle s’est répandue dans les pays voisins

En effet, l’art gothique procède de l’art roman ; or, certains monuments de l’Ile-de-France, de la Picardie et de la Champagne présentent la transition entre les deux styles ; on y remarque un mélange, une fusion des deux systèmes, tandis que partout ailleurs, au contraire, il y a une brusque substitution d’un style à l’autre. A coup sûr, il ne faudrait pas d’autres preuves de l’origine française, de la naissance en France de l’architecture gothique ou ogivale ; eh bien, ces monuments de transition de la France du nord sont les plus anciens monuments à ogive, ce sont les plus incontestablement déterminés, et leurs dates indiquent qu’ils sont tous antérieurs à tous les autres monuments de style ogival construits dans les autres pays de l’Europe.

Le portail de Saint-Denis est de 1140; celui de Chartres est de 1145; le chœur de. Saint-Germain-des-Prés est de 1163, et celui de Notre-Dame de Paris, de 1182. Hors de France, aux mêmes dates, on chercherait en vain des monuments aussi avancés dans ce style. C’e$t seulement en France que règne sans partage l’art ogival primitif, et c’est là qu’ont été construits les plus anciens et les plus beaux monuments gothiques, tels que les cathédrales de Soissons, de Laon, de Noyon, de Sens, de

Reims, d’Amiens, de Paris, de Chartres, de Beauvais, etc., modèles du genre, qui ent été imités dans tout le reste de la France et en Europe. Les archéologues et les architectes anglais et allemands les plus instruits reconnaissent franchement que l’architecture gothique est d’origine française ! . Il est actuellement démontré pour tous les esprits au courant de la science archéologique que les monuments gothiques de l’Allemagne, d’ailleurs si peu nombreux, bien loin d’avoir servi de type à ceux de la France, sont d’une époque postérieure à ceux-ci, qu’ils ont été copiés d’après les nôtres, ou bien qu’ils ont été bâtis par des architectes français.

L’un de nos plus savants archéologues, M. Félix de Verneilh, a mis hors de doute ce point d’histoire fort important, que la cathédrale de Cologne, bien loin d’être le premier monument construit en style gothique, le monument modèle de tous les autres, est au contraire un édifice copié sur N.-D. D’Amiens et sur la Sainte-Chapelle de Paris. Le dôme de Cologne, en effet, n’a été commencé qu’en 1248, tandis que N.-D. d’Amiens a été construite de 1220 à 1288, et la Sainte-Chapelle de 1 245 à 1 248 ; voilà pour les dates. Les deux plans d’Amiens et de Cologne sont si ressemblants, qu’on peut les confondre; ils se couvrent l’un l’autre, et lorsque le plan de Cologne s’éloigne par hasard du plan d’Amiens, c’est pour suivre celui de Beauvais. Le style, les détails, les fenêtres, les contre-forts de Cologne sont empruntés aux cathédrales d’Amiens et de Beauvais, et à la Sainte-Chapelle. Les faits sont tellement évidents, que presque tous les archéologues allemands les admettent et rejettent les théories teutoniques de M. S. Boisserée. Si nous n’entrons pas dans plus de détails à ce sujet, c’est que la question est résolue, et que ce aérait inutile; nous nous contentons de renvoyer au mémoire de M. de Verneilh.

Il faut cependant ajouter que, parmi les preuves de l’origine allemande de l’architecture gothique, on a longtemps reproduit celle-ci. Il y avait, soutenaient de profonds érudits allemands, à Notre-Dame-de l’’Epine (en Champagne) une inscription latine ainsi conçue :

Guichart Ànthonis. Col. Sacer. Nor. Actee.

et l’on en tirait la conséquence qu’un prêtre de Cologne, Coloniensis Sacerdos, avait construit cette helle église, et, en outre, que le dôme de Cologne était le type du gothique. Il a été démontré depuis, par M. pidron, que l’inscription latine est une inscription en patois champenois ainsi conçue :

Guichart anthoine tos catre nos at fet

et s’applique aux quatre piliers du rond-point de Féglise que ce maçon champenois réédifia tous les quatre au xv e siècle.

L’Allemagne, qui a prétendu un moment avoir inventé le style ogival, n’a que huit monuments français de ce style. L’église de Wimpfen en Val, bâtie de 1263 à 1278, est due à un architecte français, auquel le doyen de cette collégiale avait recommandé de la construire en ouvrage français [opère francigeno). Mathieu d’Arras commença en 1343 la cathédrale de Prague, qui fut achevée par un autre Français Pierre de Boulogne, en 1386. Les deux tours occidentales de la cathédrale de Bamberg, qui sont du second tiers du xiii e siècle, sont évidemment copiées sur celles de N.-D. de Laon, dont la date est la fin du xii e siècle. La ressemblance est frappante; c’est le même style, ce sont les mêmes étages et les mêmes contre-forts.

Les savants anglais les plus estimables reconnaissent eux-mêmes, disions-nous, que leur pays doit l’architecture gothique à la France

En effet, le premier édifice de style ogival élevé en Angleterre est la cathédrale de Cantorbéry (1174), et c’est un architecte français, célèbre par ses travaux antérieurs, Guillaume de Sens, qui, après avoir été choisi au concours, a construit le chœur de cette église, absolument semblable par son plan, son style et son ornementation aux églises gothiques de l’Ile de France.

Le plus ancien monument construit dans le style appelé par les Anglais Early English, la cathédrale de Lincoln, est encore l’œuvre d’un architecte français. Cette église, rebâtie de 1195 à 1200 par les soins de l’évêque saint Hughes de Bourgogne, a été construite par un architecte de Blois, sur le modèle de Saint-Nicolas de Blois, incontestablement commencé en 1138.

Ces églises, bâties par nos « maçons » ont servi de modèles aux architectes anglais pour le plan, le style et l’ornementation des édifices qu’ils ont élevés plus tard, parmi lesquels l’abbaye de Westminster (1264) a un aspect plus français encore qu’aucune autre.

Le style ogival vint également de France en Espagne. A la cathédrale de Burgos, architecture et sculpture, tout est français.

« Une preuve qu’on imitait dans le xiv e siècle à Barcelone, l’architecture du midi de la France se retrouve dans l’église de Santa-Maria del Mar, dont la façade, élevée en 1328, offre une ressemblance surprenante dans ses principales dispositions avec la façade de la cathédrale d’Arles en Provence… L’architecture mauresque n’eut aucune influence sur l’architecture religieuse de l’Espagne, tandis que celle de la France se trouve partout »

M. Viollet-Leduc cite un curieux document qui nous fait connaître d’une manière précise quelles étaient les fonctions d’un architecte ; comment nos Français s’y prenaient pour travailler à l’étranger et comment ils étaient traités. « Le chapitre de la cathédrale de Gérone se décide, en 1312, à remplacer la vieille église romane par une nouvelle, plus grande et plus digne. Les travaux ne commencent pas immédiatement, et on nomme les administrateurs de l’œuvre [obreros), Raymond de Viloric et Arnaud de Montredon. En 1316, les travaux sont en activité, et on voit apparaître, en février 1320, sur les registres capitulaires, un architecte désigné sous le nom de Maitre Henri de Narbonne. Maître Henri meurt, et sa place est occupée par un autre architecte, son compatriote, nommé Jacques de Favariis ; celui- ci s’engage à venir à Gérone, six fois l’an, et le chapitre lui assure un traitement de 250 sous par trimestre. »

La maison d’Anjou établie à Naples fit pénétrer l’architecture française dans ses nouveaux domaines. Ce n’est pas seulement dans le royaume des Deux-Siciles que l’on retrouve les traces de notre style, mais bien aussi dans tout le reste de l’Italie. En 1300, Hardouin, français de nation, commença l’église de Sainte-Pétrone, à Bologne.  Le plus bel édifice gothique de l’Italie, le dôme de Milan, a été élevé par des Français, Philippe Bonaventurk de Paris, Jean Mignot et  Jean Campanosen, de Normandie (1388-1402); et, à la fin du xvi e siècle, en pleine Renaissance, Nicolas Bonaventure, obtenait au concours de faire dans cette église l’une des trois belles fenêtres du fond du chœur. A Rome, un grand nombre d’édifices sont construits dans un style gothique italianisé. La seule église de style gothique pur est Santa-Maria-sopra-Minerva ; les grandes basiliques de Saint-Jean-de- Latran, de Sainte-Marie-Majeure, de Saint-Pierre et de Saint-Paul, appartiennent à ce style franco-italien dont nous venons de parler. La ville de Sienne tout entière, églises, palais, maisons, est construite en style ogival pur. A Florence, à Viterbe, à Tivoli, le nombre des édifices gothiques est très-considérable et témoigne de l’influence que Fart français exerça alors en Italie.

L’Orient adopta aussi notre architecture après avoir été conquis par nos armes.

« Dans les années 1204 et 1205, des Bourguignons, des Champenois, des Flamands se détournent de leur pèlerinage armé vers Jérusalem, arrivent sous les murs de Gonstantinople, renversent un empire, en fondent un autre, se distribuent en royaumes, en principautés, en seigneuries de tout nom les vastes lambeaux de ce monde ancien qui a porté la première civilisation sur tous les rivages de la Méditerranée, y introduisent nos mœurs rudes et honnêtes, notre langue, nos lois; renversés sur un point, ces Etats se recomposent sur un autre, et pendant près de deux siècles une nouvelle France cherche son point d’appui dans les plus belles régions de la Méditerranée; la plus glorieuse partie de ce monde antique, le Péloponèse, devient la propriété d’une famille de Champagne, les Ville-Hardouin, qui donnent des codes, fondent des villes, maintiennent la tolérance entre deux cultes jaloux, frappent monnaie. »

La Grèce vit alors s’élever sur tous les points de son sol un grand nombre d’édifices gothiques ou en style byzantin modifié par le style gothique; on voit encore des ruines d’églises ou de châteaux, à Athènes, à Chalcis, à Bodonitza, en Morée. Chypre, l’ancien royaume des Lusignan, est couverte de palais, de châteaux-forts et d’églises gothiques, mais dont le style a été approprié, sur ce point comme partout ailleurs, aux usages des hommes et aux exigences du climat. Beyrouth, Sidon, Saint-Jean-d’Acre et les autres villes syriennes de Ramla, d’Abou-Gosck et de Jérusalem conservent des monuments gothiques que les Français y ont bâtis au temps glorieux de leur domination

La ville de Rhodes est tout entière française. J’entrai, dit le maréchal de Raguse, avec une notion profonde dans cette ville, dont les souvenirs sont ‘faits pour toucher si vivement. Elle rappelle à l’esprit des services rendus à la religion, à l’humanité, à la civilisation; elle fut comme le boulevard de l’Europe et tint en échec leg forces des barbares qui menaçaient les plus beaux pays de la chrétienté. La gloire acquise par les chevaliers de Saint-Jean, au nom de la religion, au nom de la patrie, fut une gloire tout européenne, et surtout une gloire française, car le plus grand nombre des chevaliers et les grands-maîtres dont les noms ont traversé les siècles avec le plus d’éclat, étaient Français. Il y a trois cent quinze ans que la fortune devint contraire à cet ordre illustre et qu’il fut obligé d’abandonner la conquête qu’il avait faite, après l’avoir possédée pendant deux cent douze ans (t 308-1 520). Les souvenirs qu’il a laissés sont encore si présents, qu’on pourrait croire que c’est hier seulement qu’a cessé sa puissance. La rue des Chevaliers est intacte; la porte de chaque maison est ornée des écussons de ceux qui les ont habitées les derniers. Cette rue est silencieuse ; quoique conservées, les maisons sont désertes, et l’on se croirait entouré des ombres de ces héros. Les armes de France, les nobles fleurs de lys se voient partout. C’est que la gloire et la puissance de la France sont de tous les temps et de tous les lieux : quelque lointain que soit le pays que parcourt un voyageur, quelle que soit l’époque du moyen âge dont il étudie l’histoire, le nom de France et ses souvenirs s’y trouvent toujours mêlés. Je parcourus cette rue des Chevaliers avec un saint recueillement. Je reconnus les armes des Clermont-Tonnerre et d’autres de nos plus anciennes et plus illustres maisons. »

En même temps que la France créait l’architecture ogivale, elle donnait un développement prodigieux à la sculpture monumentale, à la sculpture en bois, à l’orfèvrerie, à la peinture sur verre, à l’art de la miniature, à la peinture en émail, née certainement sur le sol français, à l’art de la tapisserie; enfin les maîtres picards créaient la musique moderne et la faisaient connaître à toute l’Europe.

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