via Persée
Wagemann Ernst. Influences et activités françaises en Autriche (1789-1794). Hypothèses et faits. In: Austriaca : Cahiers universitaires d’information sur l’Autriche, n°10, 1980. Structures et idéologies politiques II. pp. 129-135.
www.persee.fr/doc/austr_0396-4590_1980_num_10_1_1933
« Les Autrichiens progressistes avaient appris de la Révolution Française que le pouvoir arbitraire des princes pouvait aussi bien être limité par une représentation populaire que par la noblesse »
Résumé d’une conférence prononcée à l’Institut Autrichien de Paris.
premières pages
Dans ma présentation du mouvement jacobin d’Autriche, je me suis efforcé de montrer les racines locales de ce mouvement. « Les réformes des Lumières » ont éveillé la conscience politique des couches non privilégiées de la population, ce qui a permis aux Jacobins autrichiens de préciser leur théorie et leur pratique. Certains d’entre eux furent très touchés par les réformes que le monarque éclairé leur accordait « d’en haut ». Ils virent dans la Révolution Française une tentative du peuple français afin d’obtenir les avantages dont jouissait déjà la « Felix Austria » grâce à la bonté et à l’esprit progressiste de ses princes.
Il est possible que je n’aie pas attaché assez d’importance à l’influence directe de la Révolution Française sur l’évolution politique en Autriche. J’aimerais donc profiter de cet article pour attirer l’attention sur les sources un peu obscures et problématiques des influences françaises et discuter leur importance pour l’évolution de la situation en Autriche.
Les observateurs contemporains reconnurent remarquablement vite que les événements dont ils étaient témoins auraient une importance pour le monde entier. Lorsque Louis XVI pria Necker de convoquer les Etats Généraux, le franc-maçon autrichien Conrad Dominik Bartsch, rédacteur de la Wiener Zeitung, écrivit qu’en France « se levait une lueur d’espoir pour l’humanité ». Louis XVI avait donné « un exemple que tous les pays devraient un jour imiter ». L’empereur Joseph II, qui, contrairement à Bartsch, fut épouvanté par les événements révolutionnaires de 1789, était comme lui, convaincu de leur caractère exemplaire. Il pensait qu’il devait, avec les princes, s’efforcer de rétablir la paix très vite (en 1789, l’Autriche était en guerre contre la Turquie) car la crise française avait contaminé presque toutes les autres nations :
« L’exemple de tout ce qu’on a osé en France impunément et ce qui arrivera peut-être encore, est en vérité trop tentant pour la plus basse classe du peuple. »
** La Révolution Française introduisit l’idée que le peuple
pouvait lui aussi revendiquer
une limitation des pouvoirs du souverain **
Le pronostic du rédacteur se révéla exact. L’exemple unique que Bartsch avait évoqué, la transformation en France de la monarchie absolue en une monarchie représentative modifiait directement la pensée politique en Autriche. Jusque-là, on avait considéré le droit de représentation et la limitation du pouvoir des princes comme deux revendications traditionnelles des classes privilégiées. La Révolution Française introduisit l’idée que le peuple pouvait lui aussi revendiquer une limitation des pouvoirs du souverain. Ainsi, des mouvements prirent naissance surtout en Bohême et en Styrie pour exiger la représentation des bourgeois et des paysans dans les diètes ; l’empereur Léopold II favorisa ces mouvements, pensant ainsi prévenir le risque d’une évolution révolutionnaire. Léopold espérait ainsi élargir son propre champ d’action en établissant un équilibre entre privilégiés et non-privilégiés. Les Autrichiens progressistes avaient appris de la Révolution Française que le pouvoir arbitraire des princes pouvait aussi bien être limité par une représentation populaire que par la noblesse.
** La Révolution Française a fait apparaître,
aux yeux de ses partisans, le caractère désuet
et dépassé du despotisme éclairé **
Le publiciste F.X. Huber qui, en 1799, jugeait le gouvernement de Joseph II dans l’optique de la Révolution Française, lui fit comme principal reproche « d’avoir réalisé ses meilleures réformes uniquement selon son bon plaisir, et non avec l’accord de toute la nation ». Il aurait pu « d’un seul coup » accorder à la nation ses droits naturels et en faire des lois fondamentales. Nous voyons donc que la Révolution Française a fait apparaître, aux yeux de ses partisans, le caractère désuet et dépassé du despotisme éclairé, même dans sa version joséphiste. La revendication de la nation de participer à son destin politique était ainsi devenue un élément essentiel pour tout programme de réformes.
** Les paysans de la monarchie des Habsbourg
n’acceptèrent plus la « Februarpatent » de Joseph II
qui ne signifiait pas la destruction complète du pouvoir féodal **
Examinons maintenant l’affirmation de l’empereur selon laquelle la révolution des « basses classes » du peuple français représenterait une tentation irrésistible pour tous les autres peuples. On peut très bien imaginer que cette affirmation exprime simplement l’expérience que l’empereur avait déjà faite. Après les troubles éclatèrent en France et après la dramatique déclaration de Versailles (le 11 août 1789) « l’Assemblée Nationale détruit entièrement le régime féodal », les paysans de la monarchie des Habsbourg n’acceptèrent plus la « Februarpatent » de Joseph II qui ne signifiait pas la destruction complète du pouvoir féodal. C’est en Bohême que l’agitation fut la plus importante.
Dans de telles conditions, les paysans de Bohême développèrent un grand intérêt pour les révoltes paysannes françaises et leurs résultats. Les journaux fournirent des informations détaillées sur ces événements (les paysans lisaient désormais les journaux !).
Une spécialiste du sujet écrit :
« Les rapports des autorités régionales confirmèrent que les paysans étaient avides de nouvelles sur la Révolution, qu’ils en discutaient, qu’ils approuvaient ce qui se passait en France et qu’ils espéraient même pouvoir obtenir par la force une amélioration comme ils l’avaient fait en 1775. Pour cette raison, le Comte Pergen, ministre de la Police, ordonna au début de l’année 1790, au gouverneur militaire de Prague, de veiller à ce qu’on n’imprimât dans les journaux que des nouvelles hostiles à la Révolution. »
Les journalistes autrichiens n’ont jamais suivi réellement l’ordre de ne donner que des informations défavorables sur les événements en France. C’est ainsi qu’en Bohême, les paysans et les tisserands appauvris par l’industrialisation se représentèrent un peuple français libéré de ses charges. Certains même n’eurent pas peur d’exprimer leur désir d’être libérés des impôts et charges féodales par une victoire de l’armée française.
En évoquant l’idée d’une armée française libératrice, nous arrivons au problème complexe de l’expansion révolutionnaire. En France, l’idée d’une expansion révolutionnaire fut d’abord propagée par les nombreux démocrates réfugiés qui, après leur échec politique aux Pays-Bas, à Liège et en Suisse, attendaient en France un nouveau soulèvement démocratique. Les Français prirent plutôt position contre la tradition expansionniste de leurs dirigeants et ceux-ci devaient désormais se soumettre à la volonté de paix d’une nation « éclairée » et libre. L’Assemblée Nationale annonça même officiellement
« que la nation française renonce à entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes, et qu’elle n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple ».
(Déclaration du 22 mai 1790)
[…]
Ernst Wangermann.
Université de Leeds.
Lire sur persée : https://www.persee.fr/doc/acths_1764-7355_2012_act_134_8_2207
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