,

Histoire générale de l’influence française en Allemagne (Reynaud 1915)

Histoire générale de l’influence française en Allemagne (Reynaud 1915)

histoire générale de l'influence française en Allemagne (Louis Reynaud 1915)
histoire générale de l’influence française en Allemagne (Louis Reynaud 1915)

 


archive-org
.

« La France a été pour l’Allemagne ce que la Grèce et Rome ont été pour les peuples latins : une initiatrice de tous les instants. Effacer son nom du passé de cette nation serait aussi difficile que de retrancher celui des deux grandes civilisations antiques de la nôtre. »


EXTRAIT DE L’INTRODUCTION

La France et l’Allemagne sont trop voisines pour n’avoir pas influé sur les destinées l’une de l’autre. Mais bien différente est l’action qu’elles ont exercée à cet égard. Tandis que l’Allemagne n’est intervenue d’une façon décisive dans l’évolution de la France qu’à l’époque des Invasions et au début du xix° siècle, et plutôt pour réveiller dans le tempérament de notre peuple des instincts que les exagérations d’une culture raffinée menaçaient d’en éliminer complètement, que pour lui révéler des progrès proprement dits, c’est au contraire le rôle d’initiatrice, d’éducatrice, que la France a sans cesse joué auprès de la nation germanique. Longtemps cette vérité, qui se dégage lumineuse de l’étude des faits, a été méconnue (page 1).

[…]

Aussi la civilisation tout entière du moyen âge, y compris la féodalité, s’est-elle constituée en France d’abord, ensuite en Allemagne où elle a été transmise par des agents français. De même, l’action exercée incontestablement par l’Allemagne sur la France au xixe siècle n’a pas empêché cette dernière de conserver par la suite toute son avance sur sa voisine de l’est, et de la guider, comme précédemment, dans les voies de la civilisation. Car la France a toujours été dans le monde — le sentiment spontané des peuples le proclame encore avec beaucoup de raison — l’initiatrice par excellence de l’évolution. « Parmi les peuples nouveaux, disait le grand Ranke, aucun n’a exercé sur les autres une action plus variée et plus durable que le peuple français. » Vis-à-vis des races germaniques, et tout particulièrement de l’Allemagne, elle a constamment rempli les fonctions de tutrice ou de guide. C’est les yeux fixés sur elle que les nations du centre et du nord de l’Europe ont progressé, et l’appui désintéressé qu’elle leur a prêté est inappréciable. Dans l’histoire de l’Angleterre, des Pays-Bas, des États Scandinaves, de l’Allemagne, de la Suisse, de l’Autriche, l’image rayonnante de la France se dresse à l’entrée de toutes les périodes de fine culture, d’idéalisme, d’humanité. C’est sa langue qui a servi de véhicule aux idées supérieures, ce sont ses œuvres littéraires que l’on a d’abord traduites et imitées, ce sont ses arts que l’on a empruntés, et cela dès l’aurore du moyen âge (page 8).


EXTRAIT DE LA CONCLUSION

 Au lendemain même de la mort de Charlemagne, tandis que le reste de l’Europe s’immobilise dans la contemplation du passé, la France s’occupe déjà de démolir et de reconstruire. Sur les ruines de la monarchie gallo-franque elle édifie la féodalité; de l’art pseudo-antique du grand empereur elle fait sortir le roman, en posant et en résolvant audacieusement le problème de la voûte à côté de beaucoup d’autres; à la place de la littérature savante d’autrefois elle inaugure une poésie d’actualité en langue vulgaire, embrassant tous les genres possibles. En deux siècles ce grand travail est fait, et, un beau jour, grâce à elle, l’humanité se trouve placée en présence d’une civilisation entièrement neuve. C’est là peut-être le plus étonnant exemple qu’elle ait donné de son aptitude aux réalisations. Mais on en pourrait citer bien d’autres. Comme elle avait échafaudé de toutes pièces le système de vie et de pensée du moyen âge, celui qui a suffi aux nations chrétiennes pendant quatre siècles, elle a créé la culture aristocratique et classique, qui a régné souverainement durant deux cents ans, et a commencé ensuite l’organisation de notre société contemporaine. La Révolution de 1789 est sienne comme celle qui a abouti aux Croisades. On l’oublie trop chez nous et ailleurs : les formes politiques, la vie de société, la littérature, l’art, la philosophie, la musique du monde moderne sont entièrement son œuvre. Elle a ressuscité, en leur infusant une âme nouvelle, la cité, les plaisirs mondains, l’épopée, le lyrisme, l’architecture, la sculpture, la peinture, la métaphysique, le chant des voix humaines et des instruments : tout ce que la catastrophe des Invasions semblait avoir anéanti pour jamais. Ôtez le travail accompli par elle de 830 environ à 1150 et l’Europe moderne n’existerait pas. La première langue littérairement constituée a été la sienne. Après les bouleversements de la fin du moyen âge, de la Renaissance, de la Réforme, c’est elle encore qui s’est chargée de grouper en une synthèse harmonieuse les éléments nouveaux de progrès acquis par l’humanité. Et chaque fois elle a procédé avec un instinct plastique si sûr que bien peu de créations du génie humain peuvent se mesurer avec son grand art gothique et sa délicieuse architecture du xviii » siècle; que jamais peut-être les rapports entre les hommes n’ont été réglés d’une façon aussi logique et aussi stable que dans son code mondain de la « courtoisie » et de l’« honnêteté ». Le consentement universel des peuples à la représenter comme la « semeuse » de progrès, la grande initiatrice, repose sur un ensemble de souvenirs très précis.

[…]

Telles sont les considérations qui nous ont paru expliquer la domination permanente de la civilisation française sur la civilisation allemande, domination qui offre, ainsi que nous l’avons fait remarquer, un caractère d’absolue nécessité historique. La France a réussi là où échouait l’Allemagne parce qu’elle possédait les dons moraux et intellectuels les plus opposés à ceux de ce peuple. Dans le conflit pour la priorité et la suprématie, qui de très bonne heure s’est engagé entre les deux civilisations, c’est la civilisation française qui l’a emporté, étant mieux armée que sa voisine (Reynaud 1915 p. 504)

[…]

La France fut maîtresse d’elle-même et fut maîtresse du monde par son idéalisme généreux, sa « mesure », sa confiance en la raison. Est-elle incapable de le redevenir ? De beaux jours s’ouvriraient encore pour elle si, renonçant aux théories et aux pratiques que l’expansion récente des peuples du nord a imposées à son génie celto-latin, ou plutôt, si, les absorbant et les subordonnant ainsi à ses besoins propres, elle savait répudier le pédantisme superficiel des phonèmes pour revenir à l’âme profonde des choses, à ces conceptions humaines, justes, claires qui charmaient jadis son intelligence de nation foncièrement idéaliste, si elle retrouvait le goût des nobles ordonnances et des lignes majestueuses, par lequel, à deux reprises, elle a séduit l’univers; si, par-dessus tout, elle mettait son orgueil, comme aux jours de sa grandeur, à travailler au perfectionnement extérieur et intérieur de l’homme pour le rendre utile et agréable à ses semblables, ce qui est bien l’œuvre de civilisation par excellence, et faire de lui un être de raison, de bonté, de grâce, distingué, simple, tolérant, vraiment « cultivé », tel, en un mot, que furent ses deux plus belles créations : le chevalier courtois du XIIe et du XXIIIe siècle, l’« honnête homme » du XVIIe et du XVIIIe siècle, contemporains, par surcroît, l’un du « Parthénon » d’Amiens des lais délicats de Marie de France, du plus tragique poème d’amour et de souffrance que la pensée moderne ait rêvé, Tristan et Yseult, du troublant Lancelot,  du mystique et profond Perceval, des tendres et graves chansons de la muse aquitaine; l’autre des mâles accents de Corneille, des vers fiers et purs de Racine, des souriantes déesses de Girardon, des sereins alignements de Versailles.


(Reynaud 1915 p. 535 dernier mot de la conclusion de l’ouvrage)


Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *