via https://education.persee.fr/
Luchaire Achille. L’université de Paris sous Philippe-Auguste. In: Revue internationale de l’enseignement, tome 37, Janvier-Juin 1899. pp. 5-18.
education.persee.fr/doc/revin_1775-6014_1899_num_37_1_3885

« Dès le règne de Philippe-Auguste, l’Université de Paris tient une place considérable dans la société française, et elle est un objet d’admiration pour l’Europe entière »
EXTRAIT
[…] L’histoire des origines des Universités françaises n’est pas autre chose, en ce sens, qu’un épisode d’une évolution beaucoup plus générale : celle qui tendait, depuis le commencement du moyen âge, à établir la monarchie pontificale au-dessus des pouvoirs ecclésiastiques locaux. Il eût été surprenant que, dans le domaine si important de l’instruction publique, la prépondérance de Rome n’eût pas cherché à s’affirmer. Sur ce terrain, il y avait matière à conquête, et la conquête s’est réalisée par l’union étroite de la papauté avec les organismes scolaires. Au point de vue des intérêts supérieurs de l’instruction et de la science, il n’y eut pas lieu de la regretter.
II
Henri II s’était déclaré prêt à accepter l’arbitrage
« soit de la cour du roi de France, soit du clergé français, soit de l’école de Paris »
Dès le règne de Philippe-Auguste, l’Université de Paris tient une place considérable dans la société française, et elle est un objet d’admiration pour l’Europe entière. A la date de 1169, un roi d’Angleterre avait déjà parlé d’elle comme d’une puissance morale dont l’opinion ou le jugement devait faire loi. En lutte avec l’archevêque Thomas Beeket, le fondateur de l’empire des Plantagenets, Henri II, s’était déclaré prêt à accepter l’arbitrage « soit de la cour du roi de France, soit du clergé français, soit de l’école de Paris ». Au temps où Philippe-Auguste succédait à son père, l’abbé de Bonne-Espérance, Philippe de Harvengt, écrit à plusieurs de ses amis pour les féliciter de pouvoir étudier à Paris, la « cité des lettres ». « Heureuse cité, ajoute-t-il, où les étudiants sont en si grand nombre que leur multitude en vient presque à dépasser celle des habitants laïques ».
« On n’avait jamais vu dans aucun temps et dans aucune partie du monde,
à Athènes ou en Égypte, une telle affluence d’étudiants »
Dans une lettre qui a dû être écrite un peu avant 1190, un clerc champenois, Gui de Basoches, envoie, de Paris même, où il habite, un éloge dithyrambique de la ville Loyale, attrayante entre toutes. « Le Grand pont est le centre des affaires : il est encombré de marchandises, de marchands et de bateaux. Le Petit pont appartient aux dialecticiens (logicis) qui y passent ou s’y promènent en discutant. Dans l’île (la Cité), à côté du palais des rois qui domine toute la ville, on voit le palais de la philosophie, où l’étude règne seule en souveraine, citadelle de lumière et d’immortalité. Cette île est la demeure éternelle des sept sœurs, les arts libéraux ; c’est là aussi que, par la trompette d’une plus noble éloquence, retentissent les décrets et les lois ; c’est là enfin que bouillonne la source de la science religieuse, d’où s’écoulent tes trois ruisseaux limpides dont sont arrosées les prairies de l’intelligence (prata mentium), c’est-à-dire la théologie sous sa triple forme, historique, allégorique et morale ».
Ce témoignage ampoulé de Gui de Basoches est important par son ancienneté même, et parce qu’il indique l’endroit où se trouvaient alors les écoles, ainsi que les trois sortes d’enseignement qu’on y donnait : les arts, le droit canon et civil, et la théologie. Il n’y est pas question de l’enseignement médical, sans doute encore restreint et inaperçu. Mais dès le règne de Philippe-Auguste, la médecine était professée. On en trouve la preuve dans un éloge de l’Université de Paris, celui qu’a laissé l’historien Guillaume le Breton dans le passage de sa chronique relatif à l’année 1210 : « En ce temps-là, les lettres florissaient à Paris. On n’avait jamais vu dans aucun temps et dans aucune partie du monde, à Athènes ou en Egypte, une telle affluence d’étudiants. Ceci ne s’explique pas seulement par l’admirable beauté de Paris, mais par les privilèges spéciaux que le roi Philippe et son père Louis VII avaient conféré aux écoliers. Dans cette noble cité étaient en honneur l’étude du trivium et du quadrivium, celle du droit canon et du droit civil, et aussi la science qui permet de conserver la santé aux corps et de les guérir. Mais la foule se pressait avec un zèle particulier autour des chaires où s’enseignait la sainte Ecriture, où se résolvaient les problèmes de la théologie ».
** L’Eglise est fière de sa grande école,
immense séminaire où se fournissent la France et l’Europe **
Théologiens, décrétistes, artistes, professeurs et étudiants, composaient cette multitude des scolares Parisienses qui apparaît, au premier rang, dans toutes les solennités du règne de Philippe-Auguste. On les avait vus, en 1191, tenant leur place dans la grande procession que le clergé parisien organisa pour demander au ciel la guérison du prince Louis, l’héritier unique de la couronne. Après la bataille de Bouvines, en 1244, ils prirent leur large part des réjouissances populaires et prouvèrent leur attachement à la dynastie en festoyant et en dansant sept jours et sept nuits sans s’arrêter.
La réputation de l’Université parisienne est si bien établie qu’en 1205, le premier empereur latin de Constantinople, Baudouin de Flandre, supplie le pape de faire tous ses efforts pour décider des maîtres de Paris à venir dans l’empire réformer les études. Innocent III écrit à l’Université (universis magistris et scolaribus Parisiensibus) pour lui montrer combien il serait important que cette Eglise grecque, réunie enfin, après une longue séparation, à l’Eglise latine, pût bénéficier de leur zèle et de leurs lumières. Il les invite même à émigrer en masse (plerosque vestrum) vers l’Orient, leur ouvrant, les perspectives les plus alléchantes. La Grèce, à l’entendre, est un vrai paradis, « une terre remplie d’argent, d’or et de pierres précieuses, où abondent le vin, le blé et l’huile ». Malgré de telles promesses, les docteurs de Paris ne paraissent pas avoir quitté en nombre le Petit pont et la Cité pour aller « lire » sur le Bosphore. Douze ans après, le pape Honorius III leur adresse encore une invitation du même genre ; mais il s’agissait d’aller moins loin, dans le Languedoc, semer la bonne doctrine, sur la terre arrosée du sang des Albigeois.
L’Eglise est fière de sa grande école, immense séminaire où se fournissent la France et l’Europe. Cependant un certain groupe d’ecclésiastiques, esprits sévères ou chagrins, ne cédait pas à l’enthousiasme général. Voyant surtout les dangers de cette énorme agglomération de clercs dans une capitale, ils dénonçaient l’abus de la science et les périls que courait la foi au milieu de cette jeunesse cosmopolite, ardente à tout savoir et à tout discuter. Entre 1492 et 1203, Etienne de Tournai signale au pape « la maladie qui s’est glissée peu à peu dans le corps universitaire » et deviendra incurable, si l’on ne se hâte pas d’y porter remède.
Le premier symptôme du mal, d’après lui, est l’abandon de l’ancienne théologie. Les étudiants n’applaudissent plus que ceux qui leur apportent du nouveau (sotis novitatibus applmidunt) et les professeurs songent plutôt à se faire de la réclame par ce moyen […]
Lire sur persée : education.persee.fr/doc/revin_1775-6014_1899_num_37_1_3885
Laisser un commentaire