source : https://francearchives.gouv.fr/fr/pages_histoire/39958


Louis XIV Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), 5 septembre 1638 – Versailles, 1er septembre 1715
Auteur du texte : Sarmant, Thierry
Recueil 2011

Pages d’histoire.
Jusqu’en 2018, la Mission aux Commémorations nationales a dressé chaque année la liste des anniversaires à célébrer au nom du ministère de la Culture (cinquantenaires et centenaires). Cette liste était validée par le Haut comité des Commémorations nationales, institué par arrêté du 23 septembre 1998, qui conseillait le ministre de la Culture dans la définition des objectifs et des orientations de la politique des célébrations nationales. Vous trouverez dans cette rubrique les notices et recueils des commémorations de 1999 à 2018.

Le « grand siècle », moment privilégié de culture, reste bien présent à travers les monuments de Paris et de Versailles, à travers la littérature, à travers les arts et la musique

capture d’écran | France Archives

« Messieurs, le roi est mort » : cette phrase lapidaire suffit à Frédéric-Guillaume de Prusse pour annoncer à ses courtisans le décès de Louis XIV. En septembre 1715, à en croire cette anecdote, le défunt restait bien le roi par excellence, le premier monarque de l’Europe.

La fin de son long règne fut moins crépusculaire qu’on ne le croit généralement

C’est qu’en effet la fin de son long règne fut moins crépusculaire qu’on ne le croit généralement sous l’influence de la lecture des Mémoires de Saint-Simon. Avec les traités d’Utrecht (1713) et de Rastadt (1714), Louis avait dû renoncer à imposer la prépondérance française sur le continent et consenti à d’importantes cessions de territoires aux Amériques. Mais, aux yeux de l’opinion européenne, il avait sauvé l’essentiel des conquêtes acquises sous les cardinaux ministres comme sous son gouvernement personnel : l’Alsace (1648), l’Artois et le Roussillon (1659), Lille et Douai (1668), la Franche-Comté et une partie du Hainaut (1678), Strasbourg (1681). Au terme de la guerre de Succession d’Espagne (1701-1714), il avait réussi à imposer sur le trône de Madrid son petit-fils, Philippe V. Même affaiblie, la France restait, à l’échelle de l’Europe, un géant politique, économique et démographique, avec vingt millions de Français contre quatorze millions de Russes. L’ascension de la Grande-Bretagne, qui rétrospectivement nous paraît avoir pris l’ascendant après Utrecht, demeurait incertaine, la stabilité intérieure de la grande île étant menacée par un possible retour des Stuarts détrônés en 1688.

À l’intérieur, Louis XIV laissait un royaume dont l’unité et la solidité faisaient l’admiration des observateurs étrangers

À l’intérieur, Louis XIV laissait un royaume dont l’unité et la solidité faisaient l’admiration des observateurs étrangers. Dans le sillage là encore des cardinaux ministres, sans créer d’institution nouvelle, mais en structurant les institutions existantes, le souverain avait muselé les parlements et les États provinciaux, généralisé l’institution des intendants de province, organisé le Conseil d’État, commencé le processus d’uniformisation du droit français. La fiscalité, inéquitable, était assez efficace pour alimenter une armée permanente mieux disciplinée et sans cesse plus nombreuse. Autant que du zèle religieux de Louis XIV, qui s’affirma autour de la quarantaine, la révocation de l’édit de Nantes procéda de cette volonté d’unification et d’uniformisation : Lex una sub uno, « Une seule loi sous un seul soleil », proclamait une vignette gravée vantant l’édit de 1685. Le monarque de droit divin ouvrait la voie à la centralisation jacobine et consulaire. Bien avant Tocqueville, les hommes du premier XIXe siècle l’ont senti. Ainsi Napoléon à Sainte-Hélène, disant à Gourgaud le 25 juin 1816 : « Henri IV n’a jamais rien fait de grand, il donnait 1 500 francs à ses maîtresses. Saint Louis est un imbécile. Louis XIV est le seul roi de France digne de ce nom. »

Ce que nul ne disputait à Louis XIV, cependant, c’était l’essor des sciences, des lettres et des arts autour de lui et sous son impulsion.

Les Français de 1715 nourrissaient à l’égard du monarque défunt des sentiments pour le moins mêlés. Les revers militaires de la guerre de Succession balançaient les victoires ininterrompues des premières décennies du règne. Insensibles à la structuration de l’édifice administratif, les sujets du roi ressentaient surtout l’accroissement de la pression fiscale. Ce que nul ne disputait à Louis XIV, cependant, c’était l’essor des sciences, des lettres et des arts autour de lui et sous son impulsion. Dans les années 1680, les flatteurs du grand roi comparaient le « siècle de Louis » au « siècle d’Auguste ». Voltaire reprend cette idée dans son Siècle de Louis XIV, paru en 1751, mais elle ne lui est pas propre. Elle habite la plupart des auteurs français du XVIIIe siècle, convaincus de sortir d’un âge « classique » dont les grands noms s’appellent Descartes, Pascal, Corneille, Racine, Molière, La Fontaine, La Bruyère, Bossuet, Fénelon, Lully, Le Brun, Mansart et Le Nôtre. Par un phénomène de décalage chronologique bien naturel, le prestige de la France et de la langue française dans l’Europe des Lumières dut beaucoup à l’admiration pour ce « grand siècle » de Louis XIV. Dans les succès comme dans les revers intervenus entre 1661 et 1715, la part de l’homme Louis XIV est difficile à apprécier. On le dit médiocrement intelligent, peu cultivé, mais travailleur et volontaire. On ne doute pas de sa volonté de « gouverner par lui-même», mais on remet parfois en cause sa capacité à le faire. On dispute sur son bon ou son mauvais goût, sur sa piété mal éclairée, sur les influences qui ont pu s’exercer sur lui. Au vrai, Louis XIV est moins un individu qu’une raison sociale qui comprend les hommes et les femmes dont il s’est entouré, soit qu’il les ait hérités de Mazarin, comme Colbert et Louvois, soit qu’il les ait distingués lui-même, comme Mme de Maintenon ou Michel Chamillart.

Les conquêtes de Louis XIV sont aujourd’hui bien oubliées. Le hasard seul a voulu que l’actuel Hexagone se soit à peu près fixé aux limites atteintes autour de 1715. L’oeuvre administrative du roi et de ses ministres est quelque peu éclipsée par les bouleversements opérés par la Révolution et l’Empire. Le « grand siècle », comme moment privilégié de culture, reste, lui, bien présent à travers les monuments de Paris et de Versailles, à travers la littérature, à travers les arts et la musique de la France classique que le XXe siècle a remis à l’honneur en leur appliquant mal à propos l’épithète « baroque ». C’est grâce à cet héritage redécouvert que Louis XIV reste, pour les Français de 2015 comme pour le monarque prussien de 1715, le roi par excellence.


Thierry Sarmant
conservateur en chef au musée Carnavalet
archiviste paléographe

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