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Borzakian, Manouk, et Sylvain Ferez. « L’invention du Grand prix automobile : constitution et autonomisation du sport automobile dans l’entre-deux-guerres », Sciences sociales et sport, vol. 3, no. 1, 2010, pp. 107-131.
Les courses informelles organisées dès les dernières années du XIXe siècle laissent la place, au lendemain de la Première Guerre mondiale, à des compétitions de plus en plus strictement réglementées, les « Grands Prix », encadrées par une organisation internationale créée en 1904, l’Association internationale des automobiles clubs reconnus (AIACR)
EXTRAITS
INTRODUCTION
L’âge d’or du Grand Prix automobile » : c’est ainsi que les amateurs qualifient les années 1930, durant lesquelles les pionniers de ce qui deviendra la Formule 1 s’affrontent sur les ciruits européens et nord-américains. De fait, plusieurs circuits encore fameux aujourd’hui ont accédé à la célébrité à cette époque, comme le Nürburgring, Monza ou encore Linas-Montlhéry. Plus qu’une période faste de la compétition automobile, l’entre-deux-guerres est surtout celle de l’aboutissement de sa constitution en tant que sport moderne, de sa « sportification ». Les courses informelles organisées dès les dernières années du XIXe siècle laissent la place, au lendemain de la Première Guerre mondiale, à des compétitions de plus en plus strictement réglementées, les « Grands Prix », encadrées par une organisation internationale créée en 1904, l’Association internationale des automobiles clubs reconnus (AIACR).
Cette autonomisation du « champ » du sport automobile, sa « rationalisation », se traduisent par deux évolutions majeures. La première concerne la constitution d’un corps de dirigeants spécialisés. L’AIACR est au départ une association d’usagers de la route et de constructeurs automobiles tout autant qu’une fédération sportive. Elle se dote, en 1922, d’un organe entièrement dédié à l’organisation des courses : la Commission sportive internationale (CSI). Cette institutionnalisation de la compétition s’accompagne, et c’est l’une des fonction dévolues à la CSI, de la mise en place d’un corpus de règles de plus en plus précises et à vocation universelle. Le sport automobile connaît ainsi une évolution similaire, dans ses grandes lignes, à celle qui a auparavant présidé par exemple à la naissance du football et du rugby au XIXe siècle, en Angleterre puis dans le reste de l’Europe.
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Sport automobile et géographie de l’industrie européenne
https://www.cairn.info/revue-sciences-sociales-et-sport-2010-1-page-107.htm#s2n4
La géographie du sport automobile reste centrée sur une petite partie du continent européen, qui réunit la France, l’Angleterre, le Nord de l’Espagne et de l’Italie et l’Ouest de l’Allemagne
Si l’on peut considérer que l’organisation des Grands Prix suit dans les grandes lignes un modèle théorique à peu près reconnaissable sur la figure 2, on constate également que la géographie du sport automobile reste centrée sur une petite partie du continent européen, qui réunit la France, l’Angleterre, le Nord de l’Espagne et de l’Italie et l’Ouest de l’Allemagne. A la périphérie ne subsistent que quelques courses organisées sporadiquement et qui ne sont jamais ou rarement prises en compte pour le championnat d’Europe.
Une première explication est d’ordre historique, c’est le rôle pionnier de la France et de l’Allemagne, et dans une moindre mesure de l’Angleterre et de l’Italie. En effet, les premiers engins motorisés conçus à la fin du XIXe siècle sont le fait d’ingénieurs français comme Amédée Bollée et le comte Albert de Dion, tandis que l’Allemand Karl Benz met au point le premier moteur à pétrole dès 1886. Plus généralement, on conçoit que ce soit dans les pays les plus industrialisés que se diffuse la nouvelle invention et qu’apparaissent progressivement des constructeurs automobiles. Encore dans les années 1920 et 1930, les résultats sportifs d’un pays traduisent à peu près son investissement dans l’industrie automobile. En 1928, la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Italie sont, dans l’ordre, les principaux producteurs de voitures, nettement en-deçà de la production nord-américaine mais loin devant les autres pays européens. Tchécoslovaquie, Autriche et Belgique forment un groupe intermédiaire, avec une production relativement faible mais, là encore, très supérieure à celle du reste du continent.
Le lien entre industrie et compétition se traduit de manière très visible dans l’espace : les principales courses répertoriées sur la figure 1, non seulement sont presque toutes situées dans un des pays qui viennent d’être cités, mais plus précisément dans les régions où sont installés la majorité des constructeurs automobiles, qui sont aussi des régions industrielles traditionnelles : Italie padane, Bassin parisien, Ruhr, Midlands. La figure 4 indique la localisation des constructeurs les plus en vue sur le plan sportif sur l’ensemble de la période étudiée. Progressivement, la diffusion des courses accompagne le développement du marché de l’automobile, avec l’apparition de Grands Prix en Espagne septentrionale, Tchécoslovaquie, Suisse, Allemagne orientale et Hongrie notamment.
Logiquement, ce sont ces mêmes régions industrielles qui vont accueillir les premiers circuits permanents construits en Europe. On a vu que de nombreuses courses continuent d’être organisées sur des circuits routiers ou dans des parcs, aménagés seulement quelques jours à cet effet, mais que certaines des plus prestigieuses se disputent sur des circuits construits à dessein. La construction de tels équipements implique des investissements importants et a donc plus de chances d’aboutir dans les pays où la voiture s’est déjà imposée. Dans presque tous les cas, le site retenu est au cœur d’une grande région industrielle, qu’il soit à proximité de Paris, de Milan ou de Leicester. Cette localisation correspond souvent au fait que, parmi les investisseurs, on trouve un producteur automobile : c’est le cas pour l’autodrome de Monza, construit en 1922 et situé à quelques kilomètres des ateliers d’Alfa Romeo, l’un des promoteurs du projet. Le circuit tient alors lieu de support non seulement pour des courses internationales mais également pour effectuer des tests tout au long de l’année.
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Borzakian, Manouk : Université Paris-Sorbonne (Paris-4), Laboratoire ENeC (UMR 8185)
Ferez, Sylvain, (MCU) : Faculté des sciences du sport, Université MontpellierI, Laboratoire Sant.E.Si.H (JE 2516).