
UNE ARMÉE FRANÇAISE EN HONGRIE. – BATAILLE DE SAINT-GOTHARD – E. DE LANGSDORFF
Revue des Deux Mondes T.57, 1865 (p. 575-611)
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La victoire de Saint-Gothard, remportée sur les Turcs en 1664, à quelques lieues de Vienne, par les Français et les impériaux, est un des plus glorieux épisodes de notre histoire militaire au XVIIe siècle, et pourtant c’est à peine si elle a obtenu quelques lignes dans nos histoires générales
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La victoire de Saint-Gothard, remportée sur les Turcs en 1664, à quelques lieues de Vienne, par les Français et les impériaux, est un des plus glorieux épisodes de notre histoire militaire au XVIIe siècle, et pourtant c’est à peine si elle a obtenu quelques lignes dans nos histoires générales. Cette apparition soudaine de la France dans les plaines lointaines du Danube, cette alliance d’un jour avec la maison d’Autriche, entre les rivalités de la veille et celles du lendemain, a semblé à nos historiens un démenti inexplicable de la politique traditionnelle de notre pays. Le récit de ces événemens s’encadrait mal d’ailleurs dans une histoire générale, il détournait l’attention du lecteur et troublait l’ordonnance de l’œuvre. C’est à peine si l’on daigné mentionner en passant ce grand combat qui sauva la chrétienté : nos annalistes les plus exacts en ignorent les détails et commettent les plus étranges méprises. Ainsi méconnus chez nous, quelle justice les vainqueurs de Saint-Gothard pouvaient-ils attendre des écrivains étrangers ? Ceux-ci ont montré pour la France, comme les souverains qu’elle a secourus, plus de défiance et d’humeur que de reconnaissance ; ils n’ont pas eu grand’peine à se persuader ou que nos services étaient inutiles, ou que des vues intéressées en altéraient le mérite : de là le silence, ou même le dénigrement. On ne s’étonnera donc pas que, rencontrant dans le cours d’études longtemps poursuivies une journée aussi mémorable, dont la gloire, sinon le profit, nous revient presque entière, j’essaie de raconter, à l’aide de documens contemporains, la plupart oubliés ou inédits, cette victoire française ignorée et comme ensevelie dans une histoire étrangère.
Cette victoire française ignorée et comme ensevelie dans une histoire étrangère
I
Il y a deux siècles à peine, les Turcs étaient la grande terreur de l’Europe. A travers les rivalités des princes, les entreprises des cabinets, les luttes intestines des états, le sentiment du danger commun persistait, et à un moment donné comprimait tous ces élémens de discorde : on s’unissait alors bon gré, mal gré, pour repousser les envahisseurs de la république européenne. Les protestans aussi bien que les catholiques, les partisans de la maison d’Autriche comme les états rattachés par Richelieu à l’alliance française, avaient tous la conscience de cette nécessité, qui pesait sur toutes les résolutions de leur politique. La lutte opiniâtre engagée au temps des croisades entre l’islamisme et la chrétienté se continuait depuis six siècles à travers des chances diverses. Il n’y avait point de paix avec les Turcs, on ne stipulait jamais que des trêves de courte durée, et ces trêves n’étaient qu’une préparation à la guerre. Selon les doctrines des universités les plus célèbres et les décisions des plus saints évêques, aucun engagement n’obligeait vis-à-vis des infidèles, ils étaient hors du droit des gens. De leur côté, les Turcs n’admettaient pas que les vrais croyans eussent des devoirs à remplir envers ces chiens de chrétiens. Entre de tels ennemis, point de cesse ni de repos ; celui qui le premier avait réparé ses pertes reprenait aussitôt l’offensive ; il devançait son ennemi, il ne le surprenait pas.
Les fortunes de la lutte avaient souvent et rapidement varié : au milieu, du XVIe siècle, l’Europe avait accueilli avec des transports de joie la victoire de Lépante (1571), un moment elle s’était crue délivrée ; mais au siècle suivant toutes les chances paraissaient tournées de nouveau en faveur des Turcs. Les longues guerres de religion, en désolant l’Allemagne, avaient facilité leurs succès : ils débordaient de toutes parts sur l’Europe. Par la Morée et l’Illyrie, ils menaçaient l’Italie. Les courses des Barbaresques désolaient les rivages de la Méditerranée. L’Allemagne, surtout les états de l’Autriche, étaient ouverts et pénétrés ; la Hongrie, ce bouclier de l’Europe, comme on disait alors, ne la couvrait plus. Depuis la bataille de Mohacz (1526), la Hongrie n’existait que de nom ; elle avait vu périr ensemble dans cette journée néfaste la fleur de sa noblesse, son roi et sa dynastie nationale. Ce vaste royaume, qui s’étendait naguère des portes de Vienne jusqu’aux rives reculées du Dniester, était passé presque tout entier sous l’empire du croissant ; les Turcs étaient établis à Bude et à Temeswar. Sur ce trône, où le choix d’un peuple libre avait placé tour à tour les petits-neveux de saint Louis ou des héros populaires, Jean Huniade et Mathias Corvin, s’asseyaient maintenant les favoris obscurs du sérail ; des postes de janissaires étaient campés à quelques milles de Vienne ; des partis de Tartares faisaient irruption dans la Moravie, ramenant avec eux des troupes de captifs, d’enfans et de femmes. Ce furent des années pleines d’angoisses et d’effroi, dont le tableau rappelle les impressions de terreur qui troublèrent le monde romain à la veille de l’invasion des barbares.
L’Allemagne, mal guérie de ses blessures, voyait le cercle fatal se resserrer chaque jour autour d’elle. Les populations tressaillaient et s’agitaient dans une sombre épouvante ; de toutes parts on levait des soldats, on réparait les fortifications des villes, on garnissait les remparts ; les prédicateurs cherchaient à ressusciter le zèle qui aux siècles passés avait enfanté les croisades. Des pénitens parcouraient les rues, demandant grâce au ciel pour leurs péchés ou s’offrant en victimes expiatoires ; les veillées du foyer étaient assombries par la contemplation des malheurs passés et l’attente des calamités plus grandes encore que réservait l’avenir ; des images grossières suspendues autour du poêle représentaient les villes saccagées par les Turcs, les supplices infâmes infligés à des compagnons d’armes tombés entre leurs mains. Quelquefois aussi la légende merveilleuse de saintes filles exposées à la brutalité des mécréans et sauvées miraculeusement par l’apparition de la vierge Marie venait ranimer le courage, exalter la foi de la famille, jusqu’au moment où le cri d’alarme : « Le Turc vient, le Turc est là ! » se faisait entendre, et où les fantômes, de la peur se changeaient en de sanglantes réalités. Il y a un détail qui ne paraîtra pas puéril, si l’on songe combien il faut qu’un sentiment soit profond et universel pour passer dans cette langue expressive que les mères parlent aux petits enfans ; on dit encore en Hongrie et en Allemagne : « Le Turc vient, le Turc va venir ! » comme on nous disait dans notre enfance : « L’ogre est là pour vous manger ! » À cette seconde moitié du XVIIe siècle, la paix se maintenait encore de nom, malgré des combats sans cesse renouvelés ; les Turcs cependant avaient déjà envahi la Transylvanie, ce champ de bataille toujours ouvert aux hostilités des deux empires, et tout annonçait que bientôt se rallumerait la guerre, une de ces guerres dans lesquelles se joue non pas seulement la vie de quelques milliers d’hommes, mais la destinée des nations. Les changemens survenus dans l’empire ottoman la rendaient certaine et imminente. Après une période de langueur et d’affaissement, la puissance turque, sous la main du grand-vizir Kiuperli, avait recouvré toute l’énergie des premiers jours de l’islamisme. Kiuperli, quoique né dans l’Asie-Mineure, appartenait par son père à cette race albanaise, si fine, si intelligente, qui au XVe siècle fut représentée chez les chrétiens par Scanderberg (1469), et de nos jours chez les musulmans par Méhémet-Ali. Comme la plupart des hommes qui ont laissé un nom en Turquie, il avait exercé dans sa jeunesse les métiers les plus divers et parcouru successivement toutes les conditions sociales. Dans un pays où l’opinion ne connaît pas de profession vile et méprisable, l’esprit acquiert, à travers ces épreuves, une force et une souplesse rares. Nous n’avons pas vu en France que tel de nos maréchaux qui avait débuté par être ouvrier ou soldat eût moins l’accent et le génie du commandement. Ce qui n’est vrai chez nous que pour le métier des armes l’est chez les Turcs pour toutes les situations de la vie. Les hommes y valent tout ce qu’ils peuvent valoir par eux-mêmes ; jamais le souvenir de leur condition passée ne pèse sur leur esprit, ou n’affaiblit pour les autres l’autorité de leur dignité. Avec les idées du fatalisme oriental et les perspectives qui attendent le vrai croyant, l’inégalité des conditions perd toute son importance.
Élevé par la fortune des derniers rangs au premier, Kiuperli s’y trouva bien vite à l’aise ; il y apportait avec une grandeur native cet esprit pratique, rompu aux difficultés de la vie, aiguisé par l’adversité, sans lequel le génie même n’agit pas sur les hommes et consume en des rêveries sublimes sa faculté créatrice. Il concevait les plus grandes entreprises par cette intuition rapide que de nos jours un homme d’état a justement appelée la part divine du gouvernement. Pour les mener à fin, il ne négligeait pas un détail ; il voulait tout connaître, tout régler : sa patience alors égalait l’impétuosité de sa première pensée. La Syrie pacifiée, les Cosaques domptés, l’Archipel enlevé aux Vénitiens, Candie enfin, qui devait bientôt succomber après un siège dont la valeur française retardait au moins le dénoûment, signalaient à l’Europe cette vie nouvelle qu’un seul homme peut communiquer à un peuple entier. Au dedans, après avoir détruit avec l’aide des janissaires la milice indisciplinée des spahis, il avait réduit les janissaires à une obéissance inconnue jusqu’à lui ; les pachas de l’empire n’étaient plus, sous sa main, que les instrumens dociles d’un chef puissant et unique. Tout reconnut sa loi ; la sultane validé et les eunuques du sérail, ces directeurs obscurs des mouvemens de l’empire, virent leur ambition réduite aux limites du harem. Le commandeur des croyans lui-même fut forcé de ployer sous sa volonté énergique. Kiuperli porta une main hardie jusque sur les plaisirs de son maître, exilant ou faisant disparaître les favorites dont l’influence pouvait contrarier ses desseins.
L’histoire systématique, qui considère l’humanité et les nations comme des plantes qui se développent suivant certaines lois prévues et fatales, s’accommode mal de ces natures puissantes qui changent le caractère de leur siècle et enfantent elles-mêmes les événemens au milieu desquels elles se meuvent. Kiuperli fut un de ces personnages extraordinaires sans lesquels les annales monotones du genre humain ressembleraient trop à ces catacombes où l’on voit rangé dans une symétrie lugubre tout ce qui reste des hommes. Il fut le dernier de ces héros barbares dont les noms firent trembler à diverses époques tous les royaumes de l’Europe. Il avait rempli son peuple d’une ardeur qui dura encore après lui, que son fils, devenu son successeur, sut entretenir, et qui conduisit les Turcs jusque sous les murs de Vienne. C’est là qu’après, un dernier et plus terrible effort devait se briser pour toujours la puissance musulmane. Mais ce que nous voulons raconter ici, c’est comment, vingt années avant que l’épée de Sobieski délivrât l’Autriche et assurât le salut de la chrétienté, le courage et la générosité de la France, venant en aide à sa rivale, lui procurèrent un triomphe éclatant et quelques années de repos. A peine sortie des luttes de la guerre de trente ans, à la veille de la guerre pour la succession d’Espagne, la France offrait sans hésiter son appui à la maison d’Autriche en danger, et sa vaillante noblesse se portait avec joie à la tête des armées chrétiennes dans les plaines de la Hongrie. Noble et douce fortune de rencontrer ainsi la main de la France dans ces contrées lointaines, et, en retraçant un épisode de l’histoire d’un peuple étranger, d’avoir à inscrire quelques pages glorieuses de l’histoire de la patrie !La France offrait sans hésiter son appui à la maison d’Autriche en danger, et sa vaillante noblesse se portait avec joie à la tête des armées chrétiennes dans les plaines de la Hongrie
Les Turcs ne rencontreraient plus de barrière ; on pouvait encore aujourd’hui les arrêter, demain peut-être il serait trop tard. Contre un péril commun et prochain, il fallait les secours de tous, et il les fallait immédiats
II
La chrétienté n’avait alors à opposer au péril qui la menaçait qu’un faible empereur dépourvu du courage et des qualités qu’aurait exigés la gravité des circonstances. Élevé pour être moine, devenu par la mort prématurée de son frère roi et empereur, Léopold Ier gardait encore, après dix ans de règne, les allures timides et incertaines de sa première éducation. C’était un prince rusé sans habileté, taciturne sans calcul ni prévoyance, plein de méfiance vis-à-vis des autres et sans confiance en lui-même : nulle grandeur dans le caractère, nulle portée dans les desseins ; une ambition au jour le jour, qui ne savait rien risquer et n’était qu’une convoitise impuissante. Rien dans la destinée de ce long règne, si fécond en résultats utiles et décisifs pour la monarchie autrichienne, ne vint du souverain. Ces résultats d’ailleurs n’étaient guère à prévoir à ce moment. Élu empereur sous le joug des conditions les plus énervantes pour son autorité, ce successeur des césars n’avait ni armée ni finances. Devant lui, il voyait les Turcs établis à Bude, — à ses côtés, les Hongrois insoumis, — à Ratisbonne, les électeurs de l’empire, qui ne prenaient pas son autorité au sérieux et lui marchandaient sans cesse les secours et les subsides, — au-delà du Rhin, la France restée armée et menaçante après le traité de Westphalie. Livré cependant à de vains amusemens ou à des études spéculatives, Léopold avait abandonné la direction du gouvernement à son ancien précepteur Porcia. Ce vieux favori, créé prince par son élève, régnait sous son nom ; c’est à lui du moins que s’adressaient les ministres étrangers, les gouverneurs des provinces. C’était un homme au-dessous du médiocre, incapable d’aucune attention sérieuse, impuissant à prendre une résolution décisive. A peine se souvenait-il du nom de ceux avec lesquels il traitait ; il cherchait à cacher ces défauts presque physiques sous une apparence de confiance et de tranquillité. Cet étrange premier ministre répondait uniformément à tout le monde « qu’on avait tort de s’inquiéter, que les affaires s’arrangeraient d’elles-mêmes avec le temps et par la grâce de Dieu, » ou si quelque rude capitaine le poussait trop vivement, exigeant des soldats pour couvrir les états héréditaires et de l’argent pour les payer, il le renvoyait avec de vaines promesses, lui laissant à choisir entre la désertion de ses troupes ou le pillage des contrées qu’il devait défendre ; puis il retombait dans cette léthargie pire que la mort, car celle-ci a du moins les chances heureuses qu’un successeur peut apporter.
pages 581 à 584 non reproduites
III
Un seul prince pouvait arriver sans retard et avec toutes les chances de succès ; ses armées étaient toujours prêtes, et il avait plus d’argent que tous les souverains de l’Europe : c’était le roi de France
A Vienne cependant, tout était trouble et confusion ; jusqu’au dernier jour, on avait voulu fermer les yeux, ou s’était endormi sur les vaines promesses de Goës. Point de recrues appelées sous les drapeaux, point de soldats étrangers enrôlés à prix d’argent. Les casernes, les arsenaux, le trésor, tout était vide depuis dix ans, tout était à l’abandon, tout manquait de ce qui fait un état ; la nullité de Porcia régnait sur le fantôme de l’empire. De cette misérable extrémité à laquelle on s’était laissé réduire sortit une résolution plus sage qu’héroïque ; des courages plus fiers l’auraient d’ailleurs jugée indispensable en un tel moment. L’empereur, son conseil et la population de Vienne l’embrassèrent comme la seule chance de salut. On prit le parti d’appeler solennellement au secours de l’empire non-seulement les princes allemands, mais toutes les puissances de la chrétienté. — Ce n’était pas une guerre ordinaire pour défendre quelques provinces, c’était le grand et éternel combat de l’islamisme contre la religion chrétienne. Vienne n’était qu’une étape ; une fois au centre de l’Europe, les Turcs ne rencontreraient plus de barrière ; on pouvait encore aujourd’hui les arrêter, demain peut-être il serait trop tard. Contre un péril commun et prochain, il fallait les secours de tous, et il les fallait immédiats. — Des ambassadeurs furent envoyés en toute hâte en Espagne, en Suède, en Hollande, à Venise, auprès du saint-siège et des états d’Italie, avec ordre d’exposer sans réticence une situation dont le péril était visible à tous les yeux.
L’orgueil de Léopold était vaincu et ne marchandait plus avec l’inexorable nécessité. De tous les souverains dont il implorait les secours, les uns étaient trop éloignés pour arriver en temps utile, les autres empêchés par des guerres particulières ; quelques-uns, dans une situation trop semblable à celle de la cour de Vienne, n’avaient ni soldats ni argent. Un seul prince pouvait arriver sans retard et avec toutes les chances de succès ; ses armées étaient toujours prêtes, et il avait plus d’argent que tous les souverains de l’Europe : c’était le roi de France.
On sortait à peine des longues guerres que la politique de Richelieu et de Mazarin avait allumées au cœur même de l’empire. La paix conclue n’avait point éteint la rivalité qui jusqu’à la fin du siècle devait agiter et embraser l’Europe. Aux combats avaient succédé les intrigues. Par la paix de Westphalie et les conventions qui l’avaient suivie, par la garantie que la France et la Suède avaient été appelées à donner aux privilèges des princes électeurs, non-seulement l’influence de la France s’était établie au sein même de l’Allemagne, mais son souverain était devenu lui-même un des princes de l’empire en qualité de comte d’Alsace. Louis XIV prenait donc une part effective, directe, et, comme on disait alors, avait une voix virile dans la diète. On comprend ce que pouvait valoir cette voix d’un comte d’Alsace derrière lequel se trouvait toute la puissance de la France. Ce n’était pas assez. Louis XIV venait de conclure avec les petits princes allemands une nouvelle confédération, la ligue du Rhin, dont il était le chef avoué. N’oublions pas qu’au moment de l’élection de l’empereur l’ambassadeur de France à Francfort, le maréchal de Grammont, avait tout fait pour empêcher l’élection de Léopold. Enfin, quand l’élection était devenue probable, on n’avait rien négligé pour réduire le pouvoir du nouvel empereur et imposer à son autorité des conditions humiliantes. Ainsi devait se perpétuer, sous ce titre pompeux d’empereur, la faiblesse du jeune héritier de la maison d’Autriche.
Implorer les secours d’un adversaire toujours acharné à sa ruine, quelle humiliation pour Léopold ! Cette humiliation même servirait-elle ? N’y avait-il pas aussi un danger sérieux à faire pénétrer les Français dans les états héréditaires, à les mettre en contact avec les Hongrois toujours mécontens ou rebelles, à les rapprocher des Turcs, leurs alliés depuis François Ier ? Certes il y avait là de quoi faire hésiter une politique moins circonspecte que celle de la cour de Vienne. L’empereur passa par-dessus ces considérations, qui frappaient bien plus l’esprit des contemporains qu’on ne saurait le comprendre aujourd’hui ; il ne se laissa point arrêter par la vaine crainte de diminuer aux yeux de ses peuples et des autres souverains de l’Europe le prestige de sa dignité. Le comte Strozzi, d’une des grandes familles de Florence, fut envoyé comme ambassadeur à la cour de Versailles. Il portait les lettres de l’empereur pour le roi. On y faisait appel à sa générosité et à son zèle pour la religion.
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