LES FRANÇAIS EN HONGRIE EN 1664 (Ferenc TÓTH*)
Mémoires de l’Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Touraine, tome 31, 2018, p. 317-337.
Ferenc TÓTH
Membre de l’Académie de Touraine. Professeur des Universités, conseiller scientifique
au Centre de Recherches en Sciences humaines de l’Académie hongroise des sciences
RÉSUMÉ : Durant la campagne en 1664, Louis XIV envoya une armée auxiliaire de 6 000 hommes et plusieurs jeunes nobles volontaires en Hongrie à la demande de l’empereur Léopold Ier. Le commandant de l’armée française était le comte Jean de Coligny-Saligny. Cette force se joignit à l’armée principale sous la direction de Raimondo Montecuccoli à Saint-Gotthard où elle contribua à la bataille victorieuse du 1er août 1664. Les témoignages des participants résument bien les évènements et nous donnent également des détails culturels intéressants de leur séjour dans la Hongrie occidentale
La campagne de 1664 en Hongrie fut un événement exceptionnel dans l’histoire des guerres turques. Non seulement elle se termina, sur les champs de Saint-Gotthard le premier août 1664, par une première victoire importante sur l’armée ottomane en rase campagne, mais elle fut célèbre par la participation des troupes françaises aux côtés des forces alliées rassemblées à la demande de l’empereur Léopold I er, ce qui fut un moment bien rare dans l’histoire de la lutte contre les Ottomans du siècle classique.
LES PRÉPARATIFS DE LA CAMPAGNE DE 1664
Présence militaire française en Hongrie
Pourtant de tels exemples militaires existaient depuis très longtemps. Sans remonter aux temps reculés du Moyen Âge, nous pouvons trouver de nombreux cas de présence militaire française en Hongrie. Malgré l’alliance franco-turque qui reste un des principaux éléments de la politique étrangère française de l’époque moderne, les guerres turques en Hongrie attirent un grand nombre de volontaires français qui, dans l’esprit des croisades anciennes, se distinguent dans les rangs de l’armée impériale contre les « infidèles ». Nous connaissons l’exemple de nombreux Français ou Wallons qui formèrent un contingent important en Hongrie pendant la guerre de Quinze Ans, autrement la Longue Guerre (1595-1606), admirablement décrits par le regretté Péter Sahin-Tóth dans ses études consacrées à ce sujet . L’autre période glorieuse fut la deuxième moitié du XVII e siècle, lors des guerres de reconquête de la Hongrie sur les Turcs. Les noms français des illustres chefs de la reconquête de la Hongrie résonnent encore aujourd’hui dans les musées historiques hongrois et autrichiens : Souches, Villars, Eugène de Savoie, Charles de Lorraine pour ne mentionner que les plus célèbres… Quelles étaient les raisons de leur présence dans l’armée impériale, à une époque où les conflits franco-impériaux se montraient particulièrement virulents ? Hormis les raisons personnelles, comme dans le cas d’Eugène de Savoie, nous pouvons y voir une certaine curiosité envers la façon qu’avaient les Turcs de faire la guerre, peu connue à l’ouest de l’Europe, à laquelle se mêlait le souvenir encore vivant des croisades parmi les familles nobiliaires en particulier. Participer à la guerre de reconquête signifiait indubitablement un prestige militaire et les escarmouches et embuscades et toutes les opérations de « petite guerre » en particulier furent plus prisées par les jeunes Français, qui voulaient se distinguer par leur valeur personnelle, que les grands mouvements des corps d’armée disciplinés et les guerres de sièges sur le front occidental.
D’autre part, les champs de bataille hongrois fournissaient également un terrain d’exercice pour les armes françaises qui recherchaient encore en 1664 l’occasion de campagnes de prestige contre les infidèles. Les campagnes militaires occasionnelles contre les Turcs en Hongrie et en Candie et contre les pirates barbaresques constituaient ainsi des parties intégrantes de la politique hégémonique de Louis XIV, même si les rapports franco-turcs devenaient plus complexes durant les guerres avec la maison de Habsbourg. En tout état de cause, l’armée de Louis XIV devint un modèle européen. Comme l’a montré Olivier Chaline dans son tableau historique de la France de Louis XIV, l’armée française par ses dimensions, par son organisation et par son efficacité devient une puissance extraordinaire et jamais vue auparavant en Europe. Cette machine militaire imposante bien combinée avec une diplomatie opérationnelle transforma les relations franco-hongroises en un élément important du système d’alliance de revers de la France en Europe orientale.
Guerre turque de 1661-1664
L’épisode mentionné appartient à la guerre turque de 1661-1664 provoquée par la campagne néfaste du prince transylvain Georges II Rákóczi en Pologne en 1658 sans l’autorisation de la Sublime Porte. Les représailles turques en Transylvanie provoquèrent une nouvelle guerre entre Impériaux et Ottomans en 1661 dont les débuts furent caractérisés par la victoire des armes turques (fig. 1) En 1663, une place forte importante dans la Haute-Hongrie, Érsekújvár, tomba, ouvrant une voie directe vers Vienne. Dans cette situation difficile, après de longues hésitations, l’empereur envoya le comte Strozzi à la cour de Louis XIV pour lui demander un secours militaire. Strozzi arriva à Paris le
12 janvier 1664. Louis XIV, membre actif de la Ligue du Rhin personnellement intéressé à une politique de prestige, promit au comte d’envoyer des troupes en Hongrie. Un recueil de documents concernant l’envoi du corps expéditionnaire français parle d’un corps de 6 000 hommes de troupes régulières, ainsi que de volontaires appartenant à la jeune noblesse de Cour […]