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L’établissement national des invalides de la marine et l’assistance aux gens de
Jean Sauvée, Jan 11, 2018
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Jean-André SAUVEE
Jean-André SAUVEE est né le 3 décembre 1936 à Lorient, tout comme son père Jean SAUVÉE.
Après de brillantes études aux Ecoles Nationales de la Marine Marchande de Paris et du Havre, il devient Capitaine au long cours en 1965. Sur les traces de son père, il poursuit sa carrière d’Officier navigant pendant presque 10 ans aux Messageries Maritimes.
Après avoir navigué, il devient Administrateur Général des Affaires Maritimes et occupera plusieurs postes : à Concarneau, à Auray, à Nouméa, à Marseille, Saint Malo et à Rennes. Lors de ce long parcours aux Affaires Maritimes où il assuma les plus hautes responsabilités, il s’employa à régler les problèmes de la pêche et du commerce, des Gens de mer, du rôle d’équipage informatisé, de sécurité maritime et du sauvetage en mer.
La nouveauté de cette retraite, son exceptionnelle originalité au XVIIème siècle fut de reposer sur un fonds alimenté par des versements provenant de retenue sur les soldes. C’est là un point capital. La trouvaille de Colbert, son invention de génie, fut non pas de donner de l’argent aux gens de mer, mais de les obliger à épargner afin de se constituer une pension
PREMIÈRE PAGE
I – ORIGINES
Le grand ministre de Louis XIV, Colbert, suivant les traces de Richelieu, le grand ministre de Louis XIII, s’inquiète de bonne heure de recruter des équipages pour la flotte, celle-ci lui semblant à juste titre indispensable pour garantir et développer la prospérité du pays. Jusqu’alors, on avait recouru, comme en toutes contrées, au système dit de la presse. Colbert imagina un enrôlement régulier, le système des classes (devenu plus tard l’inscription maritime). Les premiers essais en eurent lieu en 1668. Ils aboutirent à une ordonnance du 19 avril 1670, puis l’Edit de Nancy le 22 septembre 1673 qui mit au point l’organisation nouvelle.
L’assistance aux gens de mer fut corrélative à ces mesures de recrutement. C’est en effet par une disposition d’attente, insérés dans l’Ordonnance même du 19 avril 1670, que le roi fit la promesse d’un secours viager aux marins blessés, et c’est le 25 septembre 1675 (autrement dit le lendemain de l’Edit de Nancy) qu’un Règlement royal ordonna une retenue de 6 deniers par livre (2.5%) sur la solde des officiers et marins de tous grades. « Sa majesté veut, -tel est le texte précis du paragraphe 1 de ce règlement – qu’à l’avenir, et à commencer au 1er octobre prochain, il soit retranché 6 deniers par livre sur les appointements et solde de tous les officiers généraux et marins et officiers particuliers de vaisseaux, et soldes des équipages qui seront entretenus à son service en la marine, pour être par lui employé ainsi qu’il est dit ci-après ».
Ce fonds de retenue devait servir (paragraphes 2.3 et 4) à l’établissement de 2 hôpitaux généraux, l’un à Toulon pour la Marine du levant, l’autre à Rochefort pour la marine du Ponant (ou couchant).
Le règlement ajoutait : « Sa majesté veut, dès à présent, que les officiers mariniers, matelots et soldats qui seront estropiés dans ses armées navales soient mis dans les hôpitaux des villes de son royaume qui seront les plus proches des lieux où ils auront été estropiés ». Cette hospitalisation était prévue comme viagère pour les invalides inaptes à toute fonction.
Un peu plus loin, le texte disposait : « En cas qu’aucun des dits officiers mariniers, matelots et soldats veuillent se retirer chez eux, Sa majesté veut que du fonds des dits hôpitaux (Rochefort ou Toulon) il leur soit payé 3 années entières de leur subsistance ». Injonction était faite ensuite aux intendants et commissaires généraux de marine de veiller à ce que ces « récompenses » ne fussent point dissipées, mais servit à l’entretien des familles.
Il ressort de ce texte que l’idée première de l’assistance aux gens de mer consista essentiellement dans la fondation d’hôpitaux et d’autre part, qu’elle visa uniquement les marins de l’Etat (à cette date, n’existait en effet aucune organisation propre aux marins du commerce).
Ce dessein primitif de Colbert et de louis XIV fut réalisé non par la France, mais par l’Angleterre. L’hôpital de Greenwich, réservé aux marins de l’Etat fut en effet fondé en 1688, et il fut établi lui aussi grâce à des retenues sur la solde des gens de mer. Charles Dupin, qui le visita au XIXème siècle le caractérise ainsi dans son « Voyage en Angleterre » (tome III) : « l’hôpital de Greenwich est considéré par le gouvernement et par le législateur comme une corporation, c’est-à-dire comme un corps politique, ayant droit d’acquérir et de gérer ses propriétés, en bon père de famille et sans besoin d’autorisation temporaire pour consommer ses revenus ». C’était là encore très exactement la pensée de Colbert pour ses hôpitaux maritimes. Ainsi tandis qu’en France le projet initial évoluait, nous allons le voir, vers une conception toute autre, nos voisins après l’avoir copié, s’y tinrent obstinément. Faut-il reconnaître là une manifestation du conservatisme britannique ? Il faut plutôt y voir une conséquence du mode de recrutement. Les anglais n’ont jamais adopté le système français des classes ou de l’Inscription Maritime, -système essentiellement attentatoire à la liberté individuelle, puisqu’il entraîne le service forcé dans la marine militaire. Ils n’eurent donc pas comme la France dans leurs équipages une immense majorité d’hommes mariés et pères de famille auxquels répugnait l’idée d’hospitalisation.
En France, les projets primitifs touchant la construction des hôpitaux maritimes furent peu à peu abandonnés. Au lieu d’hospitaliser les gens de mer invalides, on leur paya la demi-solde. Cette mesure conçue par l’Ordonnance du 15 avril 1689 comme provisoire en attendant l’édification des deux grands hôpitaux devint, à la longue définitive. La demi-solde fut le nom que porta la pension des gens de mer jusqu’au XXème siècle où prévalut peu à peu l’appellation de pension sur la Caisse des invalides de la Marine, à laquelle s’est substituée tout récemment celle de pension de vieillesse ou de pension sur la Caisse de retraites des marins. Le temps séculaire de demi-solde est du reste usité sur le littoral français.
Ce système s’est imposée à l’ancienne monarchie parce qu’il répondait à l’intérêt général aussi bien qu’à l’intérêt particulier et aux usages des marins français. Le demi-soldier qui avait passé sa vie à bourlinguer pouvait en effet rendre encore le plus souvent sur ses vieux jours quelques services dans les ports ; et une modique pension lui suffisait dans des résidences peu coûteuses ; en outre, l’exercice d’une industrie artisanale, la culture d’un champ, la pêche au long des côtes, le ramassage des fruits de mer, s’ajoutaient à sa pension pour lui permettre d’élever ses enfants. Conséquence : le roi trouvait dans la jeune et nombreuse population du littoral une pépinière de navigateurs destinés à remplacer les pères et les grands-pères devenus invalides.
Sa découverte véritable, c’est la retenue de 2.5% sur les salaires. Idée alors très nouvelle, idée féconde, idée miraculeuse
On s’explique dès lors sans peine que les plans initiaux d’hospitalisation n’aient jamais été poussés et que l’institution des classes ait eue pour contrepartie en France la pension de retraite du marin.
La nouveauté de cette retraite, son exceptionnelle originalité au XVIIème siècle fut de reposer sur un fonds alimenté par des versements provenant de retenue sur les soldes. C’est là un point capital. La trouvaille de Colbert, son invention de génie, fut non pas de donner de l’argent aux gens de mer, mais de les obliger à épargner afin de se constituer une pension. Sa découverte véritable, c’est la retenue de 2.5% sur les salaires. Idée alors très nouvelle, idée féconde, idée miraculeuse qui devait peu à peu faire le chemin et prendre l’extension que l’on sait, jusqu’à nous paraître actuellement du dernier banal. Le prélèvement était infime, les cotisants n’en sentaient nullement le poids ; ils n’en soupçonnaient même pas l’existence en général, de sorte que le roi tout en leur faisant ensuite des largesses avec ce qui leur appartenait, semblait ouvrir ses coffres et se donnait des titres à leur reconnaissance. Voilà le tour de force dont on doit reporter la gloire sur Colbert : il est signé, il présente sa marque, il est conforme à son souci constant d’économie, voire de ladrerie, dès que se trouvaient en jeu les deniers publics. L’immense succès obtenu depuis la formule ne doit pas nous empêcher de saisir ce qu’elle offrait alors de neuf. Le principe au fond était simple : c’était celui de la tirelire familiale. Mais toutes les belles idées, toutes les idées fructueuses sont des idées simples. Le tout est d’en faire application à l’endroit choisi, au moment voulu et avec des méthodes propres à les faire aboutir. Dans le cas, notamment qui nous occupe, la difficulté était le fonctionnement, le jeu harmonieux des détails, l’adaptation d’un mécanisme central qui n’existait pas encore, à des mécanismes locaux qui n’existaient pas davantage en un mot l’organisation : or c’est là que Colbert était maître.
Le système des retenues sur solde fut au XVIIIème siècle emprunté à la Caisse des Invalides de la Marine par les Fermiers Généraux (ceux-ci étaient chargés avant 1789 des services aujourd’hui confiés aux administrations financières). Comme on ignore cet emprunt, c’est la Ferme Générale, constitué en 1720 seulement qui passe à tort aux yeux des historiens pour avoir la première mis en œuvre l’idée. L’ancienne Compagnie des Fermes avait établi pour ses employés une retraite dont les fonds étaient faits : 1. Par une retenue de 5% sur les traitements et 2. Par une subvention d’une somme égale qu’elle servait et 3. Par le produit des vacances. Ces principes, bien qu’en contradiction avec la grande loi fondamentale votée par les Constituants le 22 août 1790, furent maintenus en 1791 (faute d’argent pour régler les pensions sur le Trésor), puis confirmés par différents textes ultérieurs qui admirent peu à peu pour tous les services publics, l’institution des Caisses de retenues. C’est le régime qui, sous d’autres noms, est devenu universel. L’Etablissement des Invalides de la Marine est ainsi le générateur de tous les organismes de pensions. Sur ce point de détail, comme sur tant d’autres d’importance primordiale, le présent siècle vit d’une innovation de notre âge classique.
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II – L’ÉVOLUTION DE LA PENSION PRIMITIVE EN ASSURANCE VIEILLESSE
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Un précurseur de la sécurité sociale moderne 👍
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