via france Culture

Par Marion Bellal – Publié le vendredi 17 juillet 2020 à 07h17

En mars 1895, le projet de l’architecte Marcel Dourgnon, Marseillais diplômé de l’école nationale supérieure des Beaux-Arts, est choisi parmi les 76 soumis au concours international, pour être érigé place Tahrir. Son utilisation originale d’une structure en béton armé a charmé le jury, qui a donc préféré un bâtiment de style néoclassique occidental. 

EXTRAIT

L’origine des mondes culturels. Le musée du Caire est le fruit du processus de préservation du patrimoine égyptien, sous la mainmise française, les velléités britanniques, puis l’appropriation nationale. Alors que le projet du Grand Musée Égyptien devrait bientôt se concrétiser, le devenir du musée du Caire est en suspens.

Pour tous les égyptologues, le musée place Tahrir est un poumon”, déclare avec ferveur Guillemette Andreu-Lanoë, égyptologue et ancienne directrice du département des Antiquités égyptiennes du Louvre. Un poumon qui respire dans un imposant monument de style néoclassique : l’un des plus importants et célèbres établissements au monde entièrement consacré à l’Antiquité égyptienne. Avec quelque 120 000 pièces présentées dans plus de 50 salles. Jusque dans son architecture, ce trésor reflète les dissensions entre Français et Britanniques en Égypte, avant que les Égyptiens ne s’en emparent et ne se lancent dans la construction pharaonique d’un nouveau musée (GEM) sur le plateau de Gizeh.


Le service des Antiquités, projet multinational mené par des Français

Les racines du musée égyptien du Caire remontent au mois de décembre 1829, lorsque Jean-François Champollion, déchiffreur des hiéroglyphes et père de l’égyptologie, remet une note à Méhémet Ali, wali d’Égypte de 1805 à 1848, concernant la conservation des monuments de l’Égypte. Il conseille au vice-roi de créer un endroit pour rassembler et conserver toutes les trouvailles des fouilles archéologiques dans son pays. 

La devanture du musée du Caire, imposant édifice néoclassique © Getty – De Agostini editorial

C’est seulement six ans après les recommandations de Champollion, en 1835, que le vice-roi décide de les suivre. Il interdit l’exportation “d’objets d’antiquité”, réclame “un lieu dans la capitale pour entreposer les objets trouvés par suite de fouilles” et met en place un service des Antiquités. Chargé d’endiguer le pillage des sites archéologiques, il rassemble des archéologues de plusieurs nationalités, mais reste dirigé, jusqu’au milieu du XXe siècle, par des Français : d’abord par son fondateur Auguste Mariette, puis par Gaston Maspero, Jacques de Morgan ou encore Pierre Lacau. Ce dernier a été l’objet de “toutes sortes de reproches, notamment lors de la découverte du trésor de Toutankhamon par Howard Carter, alors qu’il clamait que ces pièces devaient être conservées en Égypte et non être emmenées dans un musée britannique”, explique Dominique Farout, égyptologue, membre de l’institut Khéops et enseignant à l’école du Louvre. Selon lui, “l’Histoire aime bien plus les voleurs au grand cœur que les gendarmes comme Pierre Lacau”.

Les merveilles alors déterrées du sol égyptien sont en premier lieu entreposées dans les jardins au bord de l’étang de l’Ezbékyia, au centre de la capitale, avant d’être transférées à l’ouest de la ville, dans un bâtiment de la Citadelle de Saladin. Mais les archéologues du service des Antiquités sont confrontés à un léger désaccord avec les dirigeants égyptiens, concernant le but de cette démarche. Pour le vice-roi et ses amis, il s’agit bien plus d’un dépôt que d’un lieu de conservation. Le wali pioche allègrement dans la collection pour en offrir à ses hôtes estimés… Jusqu’à ce que le gouverneur Abbas Ier Hilmi offre en 1855 l’intégralité des pièces rassemblées à l’archiduc Maximilien d’Autriche, alors qu’il visitait l’Égypte.


Entre le quartier du boulaq, Gizeh et la place Tahrir

En 1857, le Boulonnais Auguste Mariette est nommé à 36 ans maamour (directeur des travaux d’Antiquités) par Saïd Pacha, le quatrième fils de Méhémet Ali. Dès l’année suivante, il s’emploie à construire un musée au Caire, dans le quartier du Boulaq, en plein cœur de la ville et au bord du Nil. Se heurtant à la prodigalité des dignitaires égyptiens envers les visiteurs étrangers, autant qu’à la crainte française de voir s’élever un concurrent du musée du Louvre, il parvient à aménager dans les bureaux désaffectés de la compagnie fluviale égyptienne quatre salles d’exposition avec ses assistants acolytes, Bonnefoy et Floris. Face aux risques d’inondation, les pièces entreposées sont transférées à Gizeh en 1890, dans une annexe du palais d’Ismaïl Pacha, frère de Saïd et ancien vice-roi d’Égypte.

La tombe d’Auguste Mariette dans les jardins du musée du Caire. Un monument inauguré en 1904, avec notamment une statue à son effigie réalisée par le sculpteur Denys Puech et un piédestal dessiné par Édouard Mariette, frère de l’égyptologue. © Getty – Dea / G. Dagli Orti / De Agostini

Les œuvres se retrouvent loin de la capitale, trop loin pour les Égyptiens qui voudraient découvrir leur patrimoine et qui allaient, selon Guillemette Andreu-Lanoë, au musée du centre-ville : “Comme pour beaucoup de musées le désir premier était de conserver les objets, plus que de les présenter. Le public touristique n’était pas plus visé que l’égyptien”. En 1892, Jacques de Morgan, fraîchement nommé directeur du département des Antiquités, soumet au conseil des ministres égyptien la construction d’un nouveau bâtiment au cœur de la capitale. En mars 1895, le projet de l’architecte Marcel Dourgnon, Marseillais diplômé de l’école nationale supérieure des Beaux-Arts, est choisi parmi les 76 soumis au concours international, pour être érigé place Tahrir. Son utilisation originale d’une structure en béton armé a charmé le jury, qui a donc préféré un bâtiment de style néoclassique occidental. 

Selon Dominique Farout, il ne faut pour autant pas être dualiste quant aux appréhensions occidentales ou égyptiennes de ce lieu : “Un musée est forcément un symbole occidental car ce sont les Occidentaux qui ont pensé ce principe mais il y a ici une volonté d’architecture égyptisante. Il ne faut pas oublier que l’architecture néoclassique est plus proche des codes grecs orientaux qu’occidentaux. Prenez Palmyre, c’est néoclassique, et vous trouvez que c’est occidental Palmyre ? ”, s’offusque-t-il.


Un spectre politique sur la construction du musée

Les Égyptiens, effacés dans les premiers temps du musée, préfèrent laisser la main aux Français plutôt qu’aux Britanniques pour la préservation de leur patrimoine

Le musée du Caire est au cœur, jusque dans son architecture, des dissensions entre Français et Britanniques en Égypte. Depuis 1882, l’occupation militaire du pays par la Grande-Bretagne rompt la tradition archéologique, la France considérant l’égyptologie comme une “possession  scientifique” après les travaux fondamentaux de Bonaparte, de Champollion puis de Mariette. Marcel Dourgnon prévoit d’ailleurs dans ses plans de graver ses inscriptions en français. Mais à la fin de l’année 1898, les projets d’expansion français, de l’Atlantique à Djibouti, se heurtent à  ceux des Britanniques, entre le Cap et le Caire. Proposer d’écrire en latin sur la façade devient alors un élément d’apaisement des tensions. L’arabe n’a vraisemblablement même pas été évoqué. Parmi les 21 noms de savants gravés sur la façade, aucun n’est égyptien. Il faudra attendre 1951 pour que le tombeau d’Auguste Mariette, à gauche de l’entrée, entouré de bustes de célèbres archéologues, soit aussi couvé par celui d’un Égyptien, Ahmed Kamal.

Les Égyptiens, effacés dans les premiers temps du musée, préfèrent laisser la main aux Français plutôt qu’aux Britanniques pour la préservation de leur patrimoine. Il y a plusieurs raisons à cela, selon Dominique Farout : “On a des faits historiques liés à Champollion et Mariette mais on a aussi cette mainmise politique de l’Angleterre qui amène les Égyptiens à se tourner vers les Français, moins perçus comme des occupants. En plus, le français est la langue intellectuelle mondiale à cette époque”. 

L’honnêteté des Français est aussi à prendre en compte, selon Guillemette Andreu-Lanoë : “Les Français qui ont accepté ce poste de directeur du service des Antiquités ont été totalement loyaux vis-à-vis de l’obligation de maintenir en Égypte le maximum d’objets égyptiens. On ne peut pas dire qu’il y ait eu une volonté de s’approprier le patrimoine égyptien au profit d’un public occidental dans les musées occidentaux. Il nous reste d’ailleurs des correspondances délicates entre les archéologues français et leurs collègues britanniques ou italiens, qui voulaient ramener les pièces dans leurs musées”. 

[…]


Lire sur france Culture – Radio france : https://www.radiofrance.fr/franceculture/le-musee-des-antiquites-du-caire-emblematique-vestige-occidental-de-l-egypte-5467740


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