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Olivier CHAPUIS, « L’hydrographie moderne (Première étude) », Histoire par l’image [en ligne], consulté le 19/10/2022. URL : histoire-image.org/etudes/hydrographie-moderne-premiere-etude


VUE DU PORT DE GRAVOSA (DÉTAIL).

De 1806 à 1809, une poignée d’ingénieurs hydrographes français accomplissent des prouesses sur la côte orientale de l’Adriatique, alors appelée « golfe de Venise »

 

Contexte historique

Des hydrographes français dans le golfe de Venise

De 1806 à 1809, une poignée d’ingénieurs hydrographes français accomplissent des prouesses sur la côte orientale de l’Adriatique, alors appelée « golfe de Venise ». A leur tête, Charles-François Beautemps-Beaupré (1766-1854) – le père de l’hydrographie moderne – y applique les principes de cette nouvelle cartographie marine qu’il vient de mettre au point autour du monde avec d’Entrecasteaux, à la recherche de La Pérouse (1791-1793), puis sur les côtes de Flandre, depuis 1799.

Cependant, bien au-delà de la science géographique, sa mission revêt un caractère hautement stratégique et confidentiel.

Lorsque le traité de Presbourg (26 décembre 1805) donne les provinces autrichiennes de Vénétie, d’Istrie et de Dalmatie au royaume d’Italie, la mer Adriatique se retrouve au centre de l’Empire, tandis que la Grande Armée progresse au cœur d’une Europe chauffée au soleil d’Austerlitz (2 décembre 1805). Les grands chantiers des arsenaux et de leurs annexes y occupent aussitôt une place majeure : Venise, Trieste, Ancône, Pola, Raguse (aujourd’hui Dubrovnik) et Corfou sont autant de points d’appui sur lesquels Napoléon compte pour redresser sa marine.


Analyse des images

Des relevés aux cartes

La rade de Gravosa est séparée de Raguse par un isthme large de deux kilomètres seulement (L’hydrographie moderne. Deuxième étude). Entre une mer d’un bleu joliment lavé, où la densité des sondes est impressionnante le long de la côte, et un arrière-pays blanc – comme le vide d’une terre que le navigateur ne peut voir depuis le pont de son navire –, les cartes de Beautemps-Beaupré offrent une représentation parfaite du relief, du parcellaire et des constructions de la bande littorale. Les sondes sont effectuées en pieds de France depuis une embarcation naviguant en zigzag entre les deux rives de la rade, dont on peut suivre sur la carte le trajet. La nature des fonds : vase, gravier, coquille, roche, algue… est indiquée par des initiales. Des renseignements climatologiques (régime des vents) et océanographiques (marées et courants) complètent les données. Du grand art !

Spectaculaires par leurs grands formats (certains atteignent plus de deux mètres par près de quatre mètres), ces plans manuscrits – pour la plupart à très grande échelle (1/7200 ou 1/14400) – sont rehaussés de teintes à l’aquarelle et montés sur toiles afin d’être directement présentés à Napoléon par leur auteur, l’Empereur en conservant les exemplaires uniques. La qualité de leur finition est ainsi exceptionnelle pour des documents hydrographiques. Ils sont d’ailleurs assortis d’un nombre considérable de panoramas. Peints à l’aquarelle, ceux-ci ne sont pas seulement des vues de côtes, destinées à faciliter le positionnement depuis la mer, mais aussi de véritables tableaux figurant des scènes de la vie quotidienne dalmate. Dus au dessinateur hydrographe Portier, ils constituent autant d’illustrations de rapports de Beautemps-Beaupré.

Devant le port de Gravosa qui s’étend jusqu’à l’estuaire de l’Ombla, la vue est prise depuis le point A repérable sur la côte (en rouge). Deux hydrographes flanqués d’un milicien fumant sa pipe, appuyé sur son vieux mousquet, effectuent des relevés : l’un des ingénieurs, assis, note sur son carnet les observations que lui dicte l’autre. Ce dernier, peut-être Beautemps-Beaupré lui-même, utilise le cercle à réflexion. Deux embarcations dont l’une à voile carrée pourraient leur servir à sonder les hauts fonds de la rade.


Interprétation

Une œuvre d’avenir

Même si le grand projet d’une nouvelle route impériale entre Venise et le Levant (donc l’Orient) échoue, à l’image de l’éphémère intégration de Raguse (devenue Dubrovnik) à l’Empire – puisque la place ne sera jamais l’annexe de la cité des Doges qu’elle aurait dû devenir –, l’hydrographie, côté français, est encore une fois l’une des rares activités maritimes de la période à tirer son épingle du jeu. Bien au-delà des conquêtes et de la défaite, les cartes levées par Beautemps-Beaupré sur les côtes européennes restent « chez les peuples redevenus au nord et au midi les voisins de la France, nos plus beaux titres à leur reconnaissance et conséquemment à la vraie gloire », comme l’écrira un chroniqueur de la Restauration. L’œuvre est d’importance pour l’assise d’une hydrographie française de référence, aux yeux de nombre d’Etats. Après le congrès de Vienne (septembre 1814-juin 1815), l’Autriche se fait d’ailleurs livrer des copies des cartes dressées par Beautemps-Beaupré en Adriatique, jusque-là interdites à la diffusion par Napoléon, pour cause de secret défense. Elle en tirera le plus grand profit pendant tout le XIXe siècle…

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