source : https://journals.openedition.org/alhim/8607

Isabelle Tauzin Castellanos, «Les frères Courret : reconstruction d’un parcours familial entre la France et le Pérou au XIXe siècle», Amérique Latine Histoire et Mémoire. Les Cahiers ALHIM [En línea], 39 | 2020, Publicado el 12 junio 2020, consultado el 16 octubre 2022.

Les industries les plus modernes du milieu du XIXe siècle sont des studios de photographie aux mains d’aventuriers ou d’entrepreneurs français et états-uniens qui se livrent une guerre commerciale impitoyable

Les frères Courret : reconstruction d’un parcours familial entre la France et le Pérou au XIXe siècle

Résumé

Eugène Courret est l’un des émigrants français parmi les plus connus au Pérou, car il est associé à l’histoire de la photographie. Le présent travail reconstruit la vie du photographe comme exemplaire des circulations familiales entre les continents européen et américain au cours du XIXe siècle. Des informations nouvelles sont apportées sur l’état civil de la famille Courret ainsi que sur le retour en France à partir de 1892 grâce à la consultation des archives départementales et municipales en complément des sources péruviennes. Les liens avec deux autres photographes français, le précurseur Eugène Maunoury et le successeur Adolphe Dubreuil sont aussi décrits au moment où le Pérou jouit de la prospérité du guano puis est plongé dans la crise qui dure jusqu’à la fin du XIXe siècle.

PREMIERE PAGE


Introduction

Le patronyme «Courret» appartient à l’histoire du Pérou, comme d’autres noms de famille à consonance française, effective ou non, tel Tristan francisé sans accent (l’oncle de Flora Tristan né à Arequipa en 1773, Pío de Tristán a été le dernier vice-roi du Pérou), tel Petit-Thouars dont une grande avenue de Lima rappelle aux Péruviens le rôle protecteur de l’amiral Dupetit-Thouars à la veille de l’occupation de Lima en 1881. En ce qui concerne Courret, le nom est associé au patrimoine photographique péruvien du XIXe siècle, par une assimilation rapide qui a figé Eugène Courret dans le rôle de fondateur de la photographie du Pérou.

Si l’historiographie récente minimise la primauté de Courret, en revanche, l’importance des studios Courret dans la seconde moitié du XIXe siècle, la survie du nom comme une marque définie par son succès, ainsi que les plaques de verre miraculeusement préservées au nombre de 80.000, en grande partie classées depuis plus d’un quart de siècle à la Bibliothèque Nationale du Pérou et au Musée d’Art de Lima (MALI), expliquent la reconnaissance dont continue de bénéficier le nom d’Eugène Courret.

La phonétique a aussi sans doute consolidé la notoriété : le nom est facile à mémoriser, à la différence d’autres patronymes de photographes français arrivés avant Courret, comme Émile Garreaud, installé au Pérou dès 1855 ou Eugène Maunoury, patron de Courret en 1862. Les industries les plus modernes du milieu du XIXe siècle sont des studios de photographie aux mains d’aventuriers ou d’entrepreneurs français et états-uniens qui se livrent une guerre commerciale impitoyable sur la place de Lima et dans les autres capitales du continent sud-américain.

Certains auteurs ont succombé à la tentation d’inventer des détails de la vie de Courret, sans doute pour qu’il corresponde à l’idéal du Français, avec un père qui aurait combattu à Waterloo. L’historien péruvien de la photographie Herman Schwartz, en revanche, a établi une première chronologie des photographes français au Pérou, avec l’installation pendant deux ans de Philogone Daviette (1842-1844). Le propos de cet article est de reconstruire le parcours migratoire d’Eugène Courret, d’éclairer les zones d’ombre, avant l’émigration, et le retour en France, grâce à la consultation des sources françaises et à la comparaison avec les informations publiées au Pérou pour répondre à ce questionnement : le parcours migratoire des Courret est-il représentatif ? Ou est-il exceptionnel? Pour cela, je m’attacherai à relire les actes de mariage, significatifs des attaches au sein de la communauté émigrée ; puis, j’évoquerai les relations avec les photographes associés à Courret : Eugène Maunoury et Adolphe Dubreuil sans oublier les mères, les épouses et les enfants.


Mariages à Lima et premiers retours

La communauté française du Pérou recensée en 1857 est restée stable dans les années 1870, environ trois mille personnes adultes enregistrées au consulat, tandis que le nombre de Français installés au Chili a doublé en l’espace de vingt ans et plus de dix mille émigrés sont arrivés de France, surtout du Sud-Ouest, à Buenos Aires. Globalement l’émigration française représente 1% de la population au Pérou. L’instabilité du pays, avec des révolutions incessantes (1830-1845), des guerres (1836-1839 ; 1854-1855) et parfois la banqueroute (1872), ajoutées à la distance, expliquent la faiblesse de l’immigration européenne. Cependant, la présence française a été très visible dans la vie économique au cours du siècle.

De tout temps, conscientes ou impensées, des stratégies matrimoniales sont à l’œuvre dans la formalisation juridique des couples. La solidité des communautés est renforcée par les alliances internes. C’est ce que l’on observe après l’indépendance du Pérou dans les couples d’émigrants qui se forment, ce qui n’exclut pas les mariages mixtes, facilitant l’intégration à la société d’accueil. Un exemple précoce de couple mixte est celui du colonel de cavalerie Sauveur Soyer, aux côtés de San Martin, de Bolivar et de leurs successeurs dans la jeune république du Pérou et marié opportunément à quarante ans à une Péruvienne, Mercedes de Lavalle, alliée aux familles Lavalle et Pardo y Aliaga.

Le photographe au centre de cette recherche, Eugène (Eugenio) Courret a un autre profil, celui de l’émigrant économique, et représente la deuxième génération de Français au Pérou. Il s’est marié à Lima le 13 janvier 1872 à Emilia Basserre (tous les prénoms sont hispanisés dans les archives de l’archevêché de Lima) ; l’âge du marié est indiqué dans l’acte : 32 ans. Il est fils de Francisco Courret et de Calixta Chalet, tandis qu’Emilia Basserre est âgée de 21 ans, fille d’Emilio Federico Basserre et de Luisa Cortade. Les témoins du mariage sont les frères Jamet, Bernardo Forgues et Eduardo Adam, quatre émigrés français et d’autre part, un seul nom espagnol : Dolores Susana Herrera. C’est donc un mariage à l’intérieur de la communauté migrante française, comme il y en a beaucoup d’autres.

[…]


 

Isabelle Tauzin Castellanos
Université Bordeaux Montaigne (France)

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