source : https://journals.openedition.org/crcv/19698

Filip Wolański, « Le transfert culturel des modèles courtisans français à la lumière des récits polonais de voyage des xviie et xviiie siècles », Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles [En ligne], | 2021, mis en ligne le 26 avril 2021, consulté le 30 septembre 2022..

La cour du Roi-soleil eut notamment une grande influence sur la manière dont Auguste III pensait le cérémonial royal, les devoirs du souverain et le mode de fonctionnement de l’État


Résumé

L’influence des modèles provenant de la cour de France dans la République des Deux Nations s’est systématiquement accrue au cours des xviie et xviiie siècles. Les voyages des élites polonaises en France, notamment à Versailles, ont constitué une source importante de transferts culturels franco-polonais. Le présent article puise des témoignages émanant de représentants de grandes familles de magnats (Radziwiłł, Jabłonowski) et de représentants des élites intellectuelles (Bohusz), dont la fascination pour la culture française s’est traduite par la reprise de modèles et leur transposition dans la réalité de la culture sarmate. Quatre rois de Pologne régnant à la fin du xviie et au xviiie siècle ont participé à de telles expériences. On trouve des traces de l’influence française dans les pratiques curiales de ces souverains, en particulier les rois de la dynastie Wettin. Les magnats polonais qui ont voyagé en France ont également laissé des descriptions animées de leur participation aux cérémonies versaillaises. Dans leurs récits, on peut trouver de nombreuses informations sur l’étiquette de la cour, l’architecture du château ou l’aménagement des jardins. Ce type de transmissions culturelles comporte également des réflexions sur les cérémonies curiales, des opinions sur les dirigeants et leur famille, ainsi qu’une évaluation des différences entre les réalités polonaise et française. L’expérience des voyageurs polonais sera aussi analysée de point de vue des réceptions de souverains ou de diplomates étrangers en France (par exemple de l’ambassade du Siam), des cérémonies courantes de la cour (comme les repas royaux) et enfin des spectacles (carrousel à Versailles).

Le transfert culturel des modèles courtisans français à la lumière des récits polonais de voyage des xviie et xviiie siècles

TEXTE INTEGRAL

INTRODUCTION

La culture française des xviie et xviiie siècles a été une importante source d’inspiration pour les élites sociales de la République de Pologne. Ce transfert culturel a été la conséquence d’influences françaises croissantes aux bords de la Vistule, ainsi que de contacts relativement vivants entre les deux pays. Il concerne plus particulièrement les couches supérieures de la société dont les représentants étaient en contact avec les lettres et les arts français et admiraient les réalisations politiques et culturelles de la monarchie des Bourbons. Ils essayaient parfois d’associer des projets de réformes politiques de leur propre pays à certains modèles qu’ils allaient chercher aux bords de la Seine. Dans ce contexte, il faut aussi remarquer l’influence croissante des modèles courtisans venant de France depuis le règne de Jean III Sobieski (1674-1696), qui jouèrent un rôle particulièrement important à l’époque où Auguste II et Auguste III, souverains descendant de la dynastie saxonne des Wettin, régnaient en Pologne (1697-1763).

Les voyages constituaient l’une des principales voies de ces transferts culturels. Le nombre de personnes visitant l’Europe de l’Ouest était en constante augmentation aux xviie et xviiie siècles. Il y a quelques années, Izabela Zatorska et Małgorzata Kamecka se sont prêtées à une estimation du nombre de voyageurs polonais ayant visité la France et à une tentative d’identification d’une partie d’entre eux. Leurs recherches ont confirmé le caractère exclusif desdits voyages, réservés à une élite sociale ou politique. Il convient ici de souligner qu’un groupe encore plus restreint de voyageurs eurent l’opportunité de se confronter à la cour royale française, mais – point fondamental – il s’agissait d’individus dotés d’un impact social considérable. Qui plus est, dans les suites royales ou dans celles des magnats, voyageaient des personnes qui exerçaient ensuite d’importants offices publics ou qui jouaient un rôle essentiel dans la vie sociale et culturelle.

L’objectif de cet article est de saisir l’expérience qu’ont pu avoir ces représentants des anciennes élites polonaises de la cour versaillaise et de ses pratiques culturelles au sens large. Dans ce contexte, il convient tout d’abord d’attirer l’attention sur les relations des monarques polonais avec la France et sur leurs visites à Versailles et à Paris (Auguste II le Fort, Auguste III Wettin, Stanislas Leszczyński, Stanislas Auguste Poniatowski). Des témoignages choisis de représentants de grandes familles de magnats, issus notamment de récits de voyage, seront également analysés. Notre réflexion se focalisera sur les observations concernant l’architecture du château de Versailles, mais aussi l’étiquette et la vie de la cour sous Louis XIV et Louis XV, tant au quotidien (comme lors des repas royaux) qu’à l’occasion d’événements plus solennels (par exemple les cérémonies de mariage). Les éléments retenant particulièrement l’intérêt des représentants de l’élite sociale et intellectuelle de la République de Pologne seront également relevés : ainsi, les témoignages sur la fameuse « machine de Marly ».


Voyages des futurs rois de Pologne à Versailles

Alors qu’ils étaient jeunes, les deux rois polonais de la dynastie Wettin ont été reçus à la cour de Louis XIV : le futur Auguste II le Fort, en tant que fils de l’électeur de Saxe, se rendit à Versailles en 1687 et le futur Auguste III, en tant que fils du roi de Pologne et électeur de Saxe, en 1714. Chose curieuse, bien qu’un long laps de temps sépare leurs visites, les deux voyageurs ont été introduits à la cour du roi de France par la princesse palatine Élisabeth-Charlotte, duchesse d’Orléans. Selon l’historien polonais Jacek Staszewski, biographe le plus éminent des rois Wettin, la cour du Roi-soleil eut notamment une grande influence sur la manière dont Auguste III pensait le cérémonial royal, les devoirs du souverain et le mode de fonctionnement de l’État. Le monarque polonais appliqua en effet en Saxe et en Pologne les pratiques d’exercice du pouvoir observées chez Louis XIV : il s’efforça de séparer obligations courtisanes et rencontres avec ses ministres et officiers, il prit une certaine distance dans ses contacts avec la société de cour, tout en manifestant son ouverture envers ses sujets, et – enfin – il s’inspira des formes de mécénat exercées dans le domaine des sciences et des arts. En outre, dans le cas d’un roi qui connaissait la langue polonaise, se servir du français en société était un acte profondément symbolique qu’il comprenait comme l’utilisation de la « langue des rois ».

Il faut rappeler que le jeune Stanislas Leszczyński, futur roi de Pologne et duc de Lorraine, au cours de son périple européen dans les années 1695-1696, visita également Versailles. Il se rendit en France pour la première fois en 1696 et s’arrêta à Paris. Conformément à la pratique en usage dans les cercles des magnats polonais, son voyage avait pour but de donner à son éducation une dimension universelle. Leszczyński apprenait les langues, le français entre autres, devait connaître la culture des pays visités et, si possible, nouer des contacts avec des représentants de leurs élites – d’où ses visites à la cour impériale de Vienne, à la cour pontificale de Rome et à la cour royale de Versailles. Le Polonais fut reçu par Louis XIV et, avec le temps, cette rencontre a fait l’objet de légendes selon lesquelles il aurait fait une si bonne impression sur le monarque que celui-ci voulait le garder auprès de lui. La majeure partie des historiens contemporains n’accordent plus de crédit à cette anecdote. Cependant, Leszczyński puisa sans nul doute dans les modèles de Versailles lorsqu’il commanda par la suite des projets d’architecture et de jardins, notamment pour Lunéville et Nancy.

Dans sa jeunesse, Stanislas Auguste Poniatowski, devenu plus tard le dernier roi de Pologne, a également visité Paris et Versailles. Il faut souligner que le jeune magnat faisait partie d’une élite restreinte de la société polonaise et que ses parents les plus proches, son père Stanisław Poniatowski et ses oncles maternels August Aleksander Czartoryski et Michał Fryderyk Czartoryski, étaient les chefs de file de l’un des deux partis politiques les plus importants de la République de Pologne de l’époque. Le futur roi était déjà un homme politique en activité lors de son voyage en France, ayant visité auparavant Vienne où il avait été reçu à la cour impériale. Il s’était aussi rendu dans différents pays allemands, aux Pays-Bas impériaux et en Hollande. Il est bon d’ajouter que ses liens d’amitié avec le diplomate britannique Charles Hanbury Williams lui avaient permis d’entrer en contact avec des cosmopolites anglais qu’il fréquenta également à Paris. Il resta dans la capitale française, au cours de son Grand Tour, entre août 1753 et février 1754. Pendant cette période, il eut l’occasion de fréquenter à plusieurs reprises la cour de Louis XV, à Versailles, mais aussi à Fontainebleau. Il y fut introduit par la duchesse Marie de Brancas, encore que ce soit Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu, qui l’ait présenté au roi. Dans ses mémoires, Poniatowski se souvient que Louis XV s’intéressa à sa fratrie en demandant au duc de Richelieu s’il avait beaucoup de frères. Le jeune voyageur fut aussi reçu par Marie Leszczyńska, qui s’adressa à lui en polonais. Il compatit alors à la situation de la reine qui, compte tenu du caractère de ses relations avec le roi, n’avait aucune influence réelle à la cour et ne pouvait pas beaucoup l’aider à réaliser ses projets de société. Poniatowski eut également l’occasion de visiter Versailles à un moment où la cour avait quitté le palais ; il fut accompagné au cours de cette excursion par des amis anglais et raconte dans ses mémoires sa recherche du tableau de Le Brun, La Famille de Darius, qu’il voulait montrer à ses compagnons britanniques : il apprit qu’on l’avait enlevé et transporté dans une pièce faisant office de dépôt. Indigné, il avoua ensuite avoir trouvé ce tableau sous un tas d’autres œuvres.

Outre ces souvenirs directs, c’est aussi la correspondance des grandes familles qui fait écho aux pérégrinations royales. Les lettres de voyage d’un grand magnat nommé Karol Stanisław Radziwiłł, adressées au roi Jean III Sobieski, jettent ainsi une lumière intéressante sur les visites de futurs monarques polonais à Versailles. Le jeune homme est le fils de Katarzyna Radziwiłł, née Sobieska, sœur du souverain – d’où le caractère familial de sa correspondance –, qui effectue, dans les années 1684-1687, un voyage éducatif à travers l’Europe. Dans une lettre écrite en français de Paris, datée du 2 mars 1685, il décrit sa visite à la cour de Louis XIV à Versailles où il remarque d’abord que le palais a été considérablement agrandi depuis la visite, en 1648, de Sobieski en France. Radziwiłł ne consacre que peu de ses lettres à la description de la vie de la cour, quoiqu’il mentionne sa participation à la toilette matinale du roi, à la messe et à une représentation à l’opéra où il a pu voir à nouveau le monarque. Il focalise davantage son attention sur les intérieurs du palais, décrivant, entre autres, la salle d’audience avec le trône en « argent massif » ainsi que le tableau représentant La Cène. Radziwiłł mentionne également une toile provenant de la chapelle du château royal de Varsovie, qui en avait été enlevée par les Suédois au cours de la guerre (1655-1660, dite « le Déluge »). Il décrit enfin la Grande Galerie (galerie des Glaces) dont la construction venait d’être achevée.


Les magnats sarmates à la cour française

Les réalités culturelles et politiques de la République des Deux Nations faisaient que les modèles courtisans exerçaient une influence non seulement sur la cour royale, mais aussi sur les cours des magnats. C’est autant l’étiquette que les pratiques culturelles liées à la cour royale française qui retenaient l’intérêt et étaient décrites par les magnats visitant Versailles.

Les rituels de la cour faisaient ainsi grande impression et étaient volontiers mentionnés dans leurs récits de voyage. On peut trouver des informations à ce sujet dans les témoignages des xviie et xviiie siècles. À titre d’exemple, citons celui de Jan Michał Kossowicz, qui relate le voyage éducatif des fils de Stanisław Jabłonowski, grand hetman de la couronne, Jan Stanisław et Aleksander Jan, réalisé en Europe dans les années 1682-1688. Le fait que, dans l’instruction préparée pour ses enfants, l’hetman recommande leur présentation officielle au roi de France témoigne de l’importance accordée à cette visite à la cour française. Les jeunes magnats viennent à Versailles à plusieurs reprises en 1685 et 1686 et ont l’occasion de participer à de nombreuses cérémonies publiques. Ils sont notamment témoins d’événements officiels liés à la politique étrangère menée par la France : la réception de diplomates à Versailles les impressionne tout particulièrement. À titre d’exemple, ils assistent à la rencontre du roi avec le doge de Gênes, Francesco Maria Imperiali Lercari, au mois de mai de 1685. Le récit que leur précepteur en fait met en évidence l’image d’une cérémonie planifiée et mise en scène de façon très détaillée. Les magnats polonais remarquent notamment le jeu de gestes auxquels se prêtent le doge et le roi. Ce qui, entre autres, attire leur attention, c’est que « Sa Majesté enlevait son chapeau chaque fois que le doge enlevait sa corne ducale ». Il est nécessaire ici de mettre l’accent sur le rôle du geste non seulement dans l’étiquette de la cour mais également dans les codes culturels de l’ancienne Pologne. La noblesse polonaise attachait en effet un rôle particulièrement important à cette forme de communication qui remplissait un rôle non moins essentiel qu’à l’ouest de l’Europe, même si les comportements en Pologne étaient tout à fait différents de ceux adoptés en France. C’est probablement pour cette raison que Kossowicz tenait tant à relever des informations portant sur la gestuelle des Bourbons.

Les Jabłonowski ont également été témoins de la réception des ambassadeurs impériaux (1687), ainsi que de celle des ambassadeurs moscovites à la cour de Louis XIV (1686). La description d’une autre visite, celle des ambassadeurs du Siam, en septembre 1686, mérite cependant une attention toute particulière. Le récit met en relief le riche décor des salles du palais de Versailles, spécialement préparées en vue d’impressionner les hôtes asiatiques, et notamment le trône royal, placé sur une estrade : « une chaise extraordinaire, en argent massif, dorée par endroits », remarque Kossowicz. Le monarque, tout comme ses courtisans, arbore alors des habits particulièrement riches. Les Polonais, observant l’audience des ambassadeurs, sont de nouveau frappés par les gestes de ces derniers qui, en saluant le souverain français, « les mains jointes à la manière des chrétiens récitant leur prière, avançaient lentement vers le trône ». Au cours de la cérémonie, ils répètent ce geste, correspondant à une manifestation de respect, tout à fait étranger aux observateurs polonais. Nonobstant le cadre fastueux et extraordinaire de cet événement, les envoyés sont conduits à « dîner dans une salle où les ambassadeurs mangeaient habituellement », le roi s’étant retiré dans ses appartements.

Les Jabłonowski participent à d’autres événements publics liés au fonctionnement de la cour car ce type de manifestation avait un rôle tout aussi essentiel dans la culture baroque de la République de Pologne. En effet, la noblesse attachait une grande importance au cadre visuel, non seulement des cérémonies publiques, mais aussi des cérémonies privées, d’où l’intérêt particulier porté aux modèles français.

À l’été 1685 et 1686, les jeunes magnats prennent part aux carrousels organisés au château de Versailles, sorte de tournoi chevaleresque où la violence est néanmoins absente. Ils admirent les courses équestres et sont émerveillés par leur envergure et le soin du détail porté aussi bien aux chevaux qu’aux cavaliers. Kossowicz note même les couleurs des différents groupes prenant part à cet événement. Il faut voir dans ces remarques la manifestation de la sensibilité esthétique de l’auteur du récit, particulièrement caractéristique de sa culture sarmate. Les jeunes magnats assistent également au bal du 23 mai 1685, qui a lieu dans les appartements du château de Versailles en présence du roi. Ils sont grandement impressionnés par la richesse des toilettes du monarque et des courtisans, mais se plaignent de l’étroitesse des lieux et de l’atmosphère étouffante. Les Jabłonowski participent enfin aux cérémonies célébrant le mariage de Louis III de Bourbon-Condé avec la fille du roi et de Mme de Montespan, Louise-Françoise de Bourbon (Mademoiselle de Nantes), le 27 juillet 1685. Ils se trouvent notamment aux fiançailles, qui se tiennent à Versailles la veille des noces. Ils rendent compte à leur tuteur de leur présence au dîner public du roi avec les jeunes mariés. Ils sont particulièrement impressionnés par l’illumination du palais et des jardins préparée à cette occasion.

Les récits ultérieurs émanant des voyageurs de l’ancienne Pologne témoignent de la pérennité de l’étiquette de la cour versaillaise. Teofila Konstancja Morawska, née Radziwiłł, représentant l’une des plus importantes lignées de magnats de la République de Pologne, pérégrine à travers l’Europe dans les années 1773-1774. Elle visite Versailles, entre autres. Dans son récit, elle décrit le dîner public de Louis XV et de sa famille, avec la participation du Dauphin, auquel elle assiste en octobre 1773. Commentant cette pratique, la princesse estime que le roi « prend souvent en public ses repas afin d’assouvir la curiosité des étrangers » et de ses sujets. Elle se plaint de la foule présente dans la salle, mais est ravie de sa place, attribuée tout près de la table royale. Au cours du dîner, elle observe attentivement le monarque et toute sa famille, et vante leur aspect et leur comportement. Elle donne 60 ans à Louis XV (il en a alors 63), tout en soulignant qu’il a l’air bien portant. Elle trouve obèses, mais jolies, les filles du roi : Adélaïde, Victoire et Sophie. Sa préférence va cependant à la dauphine Marie-Antoinette qui, selon elle, est la plus belle femme de France. Morawska est frappée par le calme qui règne au cours du repas, et notamment par le caractère taciturne du roi, « amusé par la curiosité de tant de gens ». En revanche, la voyageuse polonaise trouve ordinaires tant la vaisselle que les plats servis à la famille royale, qu’elle associe au caractère routinier de l’événement, témoignant alors de sa propre conscience et connaissance du monde.

Franciszek Ksawery Bohusz, qui est venu à Versailles au printemps 1778, est quant à lui témoin d’un déjeuner privé et d’un déjeuner public de Louis XVI. À l’inverse de Morawska, il s’abstient de toute remarque sur l’aspect de la famille royale. Il loue plutôt le cadre musical des déjeuners ainsi que la qualité du pain, bien que la vaisselle de la table royale ne lui fasse pas non plus grande impression. Ex-jésuite, inspecteur des écoles de la Komisja Edukacji Narodowej [Commission de l’éducation nationale] de la République de Pologne, Bohusz est une figure paradigmatique d’intellectuel de l’époque des Lumières polonaises. Son récit revêt un caractère presque scientifique, d’où l’intérêt qu’il porte non seulement à l’étiquette de la cour, mais aussi à la conception du domaine royal. Ce qui l’impressionne grandement, c’est notamment la célèbre « machine de Marly », qu’il décrit, admiratif, en expliquant le système d’approvisionnement en eau. Il contemple d’ailleurs aussi bien les jardins de Versailles que ceux de Marly. Il estime qu’à Versailles, environ 2 000 statues en « airain, marbre, albâtre » sont présentées dans le parc. Il s’émerveille de la qualité des fontaines, en soulignant le soin de leur exécution et leur exceptionnelle envergure.


Conclusion

Les exemples puisés dans les récits de voyage permettent d’interroger la manière dont les visiteurs polonais voyaient Versailles, ce qu’ils y attendaient, ce qu’ils en retenaient, alors que le lieu abritait la cour des rois de France. Les textes choisis pour cette étude sont d’autant plus intéressants qu’ils proviennent non seulement de magnats et de nobles, mais même de futurs monarques de Pologne. Les possibilités offertes par cette approche sont donc étendues.

L’on peut d’abord mentionner les nombreuses descriptions, souvent très minutieuses, du château et des jardins de Versailles, qui constituent une composante incontournable des journaux de voyage polonais. Elles se caractérisent le plus souvent par une fascination pure et simple pour la grandeur des aménagements extérieurs. Les fontaines, les cascades et les sculptures immergées dans les bassins sont particulièrement admirées. Au xviie siècle, ces observations ont pu servir d’inspiration pour promouvoir de nouveaux modèles esthétiques dans les résidences royales et magnates de la République des Deux Nations. Les palais de Wilanów ou, plus tard, de Białystok en sont des exemples clés.

L’étude des récits de voyage et des échanges interculturels permet en outre de découvrir la fascination des Polonais pour l’étiquette de la cour de Versailles et le comportement du roi, de sa famille et des dignitaires. Il convient de noter que les rituels sont plus souvent décrits dans deux occasions. La première est celle des réunions officielles du roi et de sa famille lors des cérémonies liées aux repas publics, qui permettent d’observer et de commenter non seulement l’apparence ou le comportement du souverain français, mais aussi de ses proches. La seconde est liée aux cérémonies diplomatiques : elles sont décrites avec encore plus de soin, étant probablement assez étrangères aux auteurs des récits de voyage en raison de la manière dont la personne du roi était exposée.

En outre, de nombreuses observations concernant la cour sont liées à la présence de Maria Leszczyńska, qui prêtait assistance aux visiteurs venus de la République de Pologne et les rencontrait volontiers. On peut enfin associer les voyages en France à la construction des résidences – royales, magnates ou nobiliaires – en Pologne, imitant les modèles de Versailles, notamment du point de vue architectural. En recoupant les correspondances avec la documentation patrimoniale, on pourrait utiliser les connaissances sur les expériences de voyage pour faire une analyse approfondie de l’évolution des pratiques et des goûts culturels de la noblesse polonaise.

Auteur
Filip Wolański
Filip Wolański, professeur de l’Université de Wrocław, est historien de la culture, spécialisé dans les questions d’histoire du voyage, de l’éducation, de la prédication et de la communication sociale en Pologne. Ses recherches portent principalement sur la première moitié du xviiie siècle.

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