
Présentation
Le système des sports organisés est actuellement en pleine mutation. Le tennis y occupe la deuxième place depuis 1979 et il est aussi le premier sport féminin. Il a connu un développement explosif entre 1975 et 1986. C’est pour évaluer les modalités socio-spatiales de sa diffusion, le renouvellement social des pratiquants et les transformations de l’action sportive au quotidien dans les clubs, que l’ouvrage propose de la France à la Gironde, un voyage dans le temps et l’espace tennistique. L’approche historique permet la reconstitution des étapes de cette diffusion tant à l’échelon national que local et montre grâce à des cartes détaillées par département pour la France et par commune pour la Gironde, comment l’on passe en 120 ans, d’un jeu à une pratique banalisée. La typologie socio-spatiale de la pratique du tennis par département permet de voir ses lieux privilégiés en liaison avec les divers groupes sociaux. Deux enquêtes réalisées à l’apogée de son développement conduisent à vérifier à l’échelon local les composantes de la dynamique associative, le degré de rajeunissement de ce sport et l’étendue de sa démocratisation. Le cheminement à rebours dans le temps et l’exploration de l’espace français sont ainsi complétés par un état actuel des lieux de pratique et un instantané sociologique et sportif des pratiquants girondins.
EXTRAITS
Un retour au Moyen-Âge va permettre de voir comment s’est peu à peu édifié et codifié un jeu autrefois très populaire et très pratiqué dans toute la société médiévale française
Chapitre I. Du jeu de paume au tennis
Le tennis est une forme remaniée par les Anglais de l’ancien jeu français : le jeu de paume. Un retour au Moyen-Âge va permettre de voir comment s’est peu à peu édifié et codifié un jeu autrefois très populaire et très pratiqué dans toute la société médiévale française, laquelle était considérée comme un « modèle » par les autres royaumes d’Europe.
1• LE JEU DE PAUME : UNE PRATIQUE GÉNÉRALISÉE EN FRANCE
« Le roi des anciens jeux français non militaires fut le jeu de paume.» Il était pratiqué depuis très longtemps en France. Les auteurs ecclésiastiques du xiie siècle signalent qu’il était pratiqué par les écoliers et les chanoines des cloîtres. L’abbé Th. Cochard signale que du xiie au xive siècle le jeu se généralisa et que des cloîtres, il passa dans la ville et dans les châteaux. Les rôles (retrouvés) de la taille pour la ville de Paris en 1292 indiquent qu’il s’y trouvait alors 13 paumiers fabricants de balles, 2 « valets-paumiers » (aides ou apprentis). À titre de comparaison, à la même période Paris n’avait que 8 libraires et un seul marchand d’encre ! C’est dire l’importance du jeu de paume déjà au xiiie siècle.
Le jeu de paume était très populaire et pratiqué par toutes les classes de la société : du roi aux vilains en passant par les religieux et ce, partout dans tout le royaume de France et en tout temps (en temps de paix comme en temps de guerre). Les ordonnances royales, pour empêcher le jeu de « palmes » en semaine, parce qu’on y perdait son temps et son argent, (les artisans ne travaillaient pas pour jouer des heures durant) sont toujours demeurées vaines, tant en France qu’en Angleterre où le jeu avait été introduit. Le fait que tout le monde joue de la sorte et de façon très intense pour ne pas dire violemment, impressionnait toujours les voyageurs étrangers qui traversaient la France. Il faut dire qu’à cette époque, la population, quel que soit son rang, vivait plus dehors quà l’intérieur et appréciait les exercices physiques violents. Il n’est donc pas étonnant que le jeu de paume ait été très pratiqué. Jusqu’à la fin du xve siècle, on jouait à main nue, en plein air et sur toute sorte de terrain. Les règles variaient selon les lieux et la nature des obstacles, qui pouvaient être une église comme les murailles de la ville…
« Les balles de fabrication française étaient célèbres par toute l’Europe ; on s’en procurait à l’étranger lorsqu’on pouvait.» La demande étant forte, Louis XI dut, en 1480, en réglementer la composition afin d’empêcher que n’importe qui en fabrique avec n’importe quoi (plâtre, ferraille…), ce qui, compte tenu la violence de la pratique, était dangereux. Les fractures de mains, de crânes, les yeux crevés étaient courants et résultaient du choc avec une pelote trop dure fabriquée par un paumier sans scrupule. Ainsi la bourre devait être en poils d’animaux et recouverte de cuir souple, ce qui était loin d’être le cas dans les autres pays d’Europe.
Dès le xve siècle, certains joueurs prirent l’habitude de jouer soit avec des gants soit avec un cordage tressé pour se protéger les mains. C’est au début du xvie siècle que s’est peu à peu répandu, l’usage de la raquette. La forme et le mode de fabrication de la raquette donnèrent lieu à divers tâtonnements : elle fut ronde, carrée, tantôt garnie d’un grillage de cordes, tantôt de parchemin tendu. Ce dernier procédé finit par être plus spécialement affecté à la longue paume (usage qui ne s’est pas continué par la suite). C’est au cours du xvie siècle que la raquette avec manche et cadre en bois garni de cordages de chanvre, ou en boyau, et relevant de la corporation des raquetiers, s’impose définitivement.
2• LE JEU DE PAUME : L’ÉVOLUTION VERS UNE PRATIQUE ARISTOCRATIQUE
Au xvie siècle une modification imaginée antérieurement mais peu répandue, obtint un succès prodigieux. On se mit de plus en plus, dans toute la France à circonscrire le champ du jeu et à l’entourer de murs. L’intérêt des parties se trouvait augmenté, à cause des ricochets des balles sur les parois et parce que les dames pouvaient y assister. Au début les camps étaient séparés par une corde d’où pendait une simple frange qui n’allait pas jusqu’à terre. Il en résultait de fréquentes discussions pour savoir si la balle était passée dessus ou non. L’invention du filet mit fin aux disputes. Un autre perfectionnement apparut quand on couvrit le jeu, si bien qu’il fut possible de jouer en tout temps. Ce fut le jeu de « courte paume » et les édifices s’appelèrent tripots, de l’ancien verbe français triper, bondir.
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Ce qui étonnait les étrangers qui traversaient la France c’est l’ardeur des Français à pratiquer le jeu de paume. « Le nombre de jeux de paume construits aux xvie et xviie siècles est prodigieux : pas de château qui n’ait le sien, pas de ville qui n’en possède une dizaine ; de simples bourgades même ont les leurs.» La figure 2 montre la plus grande extension des salles de jeu de paume dans notre pays. Bordeaux a eu jusqu’à 19 jeux dont 12 construits avant le xviie siècle, Rouen 30, Poitiers 22, Le Mans 13, Blois 10 plus 2 dans le château, Toulouse et Dijon 9, Bourges, Angers et La Rochelle 8, Nevers et Saintes 6. Orléans avec 40 jeux de paume arrive au second rang après Paris. En 1596 on en compte 250 à Paris où, « la courte paume faisait vivre plus ou moins bien, à temps complet ou non 7 000 personnes : ouvriers fabriquant esteufs et raquettes, gardiens de jeux, marqueurs appelés naquets.» À cette même période un Anglais qui séjourne en France note que pour les sports, la France donne le ton et ses voisins l’imitent. Dans le courant du xviie siècle le déclin commence. Louis XIV n’ayant pas de goût pour les exercices physiques s’intéressa moins au jeu de paume que ses prédécesseurs. Les nobles qui fréquentaient la cour firent de même. À une époque où le roi donnait le ton, l’ensemble de l’aristocratie suivit ce qui se faisait à Versailles. En 1657, il y avait encore 114 tripots à Paris, mais il n’en restait que 10 en 1780 et un seul en 1839. À la fin du xixe siècle, le jeu de paume était revenu à l’honneur et des jeux avaient même été construits aux Tuileries en 1862 et en 1880, à Cannes en 1875, à Deauville en 1876 et à Pau en 1887. En 1994, il ne subsiste que 3 salles où le jeu de paume est encore pratiqué en France : une salle se trouve rue Lauriston à Paris, une autre à Fontainebleau et la troisième à Bordeaux. Ailleurs dans le monde, il n’est plus guère pratiqué qu’en Angleterre, aux États-Unis, au Canada et en Australie.
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Sous une forme remaniée, le jeu de paume a reconquis chez nous une grande popularité. C’est la forme appelée lawn-tennis ou paume sur gazon, qui se joue sur n’importe quelle surface plane et constitue un intermédiaire entre la courte paume en édifices clos et la longue paume en plein air.
JUSSERAND, J.-J. Les sports et jeux d’exercice dans l’ancienne France. Paris : Plon, 1901, p. 263.
La filiation française du lawn-tennis n’est ni discutable, ni discutée ; c’est un dérivé du jeu de paume. Dans sa demande de brevet le major Wingfield le définissait : « Cours transportable, nouvelle et perfectionnée, pour jouer l’ancien jeu de paume. »
3• DU JEU DE PAUME À LA SPHAIRISTIQUE OU LA NAISSANCE DU LAWN-TENNIS
L’essor extraordinaire pris par le lawn-tennis date seulement de 1874, époque où le major Wingfield obtint à Londres un brevet pour son « invention », à laquelle il avait donné le nom de Sphairistike, qui désignait chez les Grecs et après eux chez les Romains, les jeux de balle et de ballon. La filiation française du lawn-tennis n’est ni discutable, ni discutée ; c’est un dérivé du jeu de paume. Dans sa demande de brevet le major Wingfield le définissait : « Cours transportable, nouvelle et perfectionnée, pour jouer l’ancien jeu de paume. »
Tous ces termes et procédés rappellent cette origine ; on compte à la française par quinze, trente, quarante, « avantage de jeux ». Mentionné dès 1439 dans une poésie de Charles d’Orléans, ce décompte a trouvé des explications astronomiques, monétaires et horaires. La plus plausible est métrologique. À la longue paume, le serveur qui avait marqué un point avançait de 15 pieds, puis de 15 autres pour le second point, et ainsi de suite, quatre coups l’amenant au filet, puisque le terrain, en cette occasion observé à Roye (Picardie), avait de chaque côté 60 pieds royaux. On devait avoir constaté que l’avancée de 45 pieds concédait un trop grand avantage, ce qui amena à la réduire à 40. D’autre part, l’autre camp avançant lui aussi selon les points par lui marqués, l’avantage du service devenant trop grand lorsque les deux camps se trouvaient à proximité du filet, on décida, sans doute, qu’à 40 il faudrait marquer deux points pour enlever le jeu. Cette convention n’était pas générale : au début, rue Lauriston, on comptait encore 45. On tire le service à la française, au moyen disait l’Académie Royale des Sciences, parlant de la paume, d’une « raquette jetée en l’air » avec l’exclamation « droit » ou « nœud », qui correspond à rough ou smooth du lawn-tennis. Le mot tennis, vient d’ailleurs, du français tenetz ; autrement dit : « Tenez ! » cri du serveur pour prévenir son adversaire, lorsqu’il lançait la balle. D’ailleurs en anglais le mot « tennis » désigne le « jeu de paume », d’où l’appellation de « lawn-tennis » en anglais qui permet de différencier le tennis du jeu de paume, appellation que la Fédération Française de Lawn-Tennis a conservé jusqu’en 1976, date à laquelle il fut définitivement admis que dans notre pays, le tennis ne se jouait pas sur herbe.
Pour Gaston Fournier le lawn-tennis est une sorte de courte paume simplifiée, qui présente l’avantage de pouvoir être joué par les deux sexes, ce qui en fait un jeu de société par excellence… Il a en outre l’avantage de pouvoir être installé facilement partout où l’on dispose d’un terrain plat d’environ 34 mètres de long sur 19 de large, sur lequel on trace les limites de la cour. (C’est la traduction du mot anglais court). Toute surface unie fait l’affaire : gazon, macadam, asphalte ou bois.
J.J. Jusserand termine le chapitre sur le jeu de paume par ces mots : « Souhaitons donc bonne chance et prospérité à ce jeu, un des plus salutaires, des moins encombrants, des plus aisés qui soient à installer. On pourra s’y livrer sans scrupules, d’abord parce qu’il est sain et bienfaisant, ce qui devrait être une raison suffisante ; ensuite parce qu’il n’est pas tellement étranger par ses origines qu’il puisse porter ombrage aux censeurs les plus exigeants.»