source : https://journals.openedition.org/ahrf/528
Johan Joor, « Les Pays-Bas contre l’impérialisme napoléonien : les soulèvements anti-français entre 1806 et 1813 », Annales historiques de la Révolution française, 326 | 2001, 161-171.
La période napoléonienne constitue une phase importante dans la naissance des Pays-Bas modernes
Résumé
L’historiographie traditionnelle nous a légué l’image stéréotypée d’un peuple néerlandais apathique et ordonné. Un peuple incapable d’actions collectives violentes. Pourtant, les recherches précises sur l’époque 1806-1813 démontrent que celle-ci a été ponctuée de troubles et d’émeutes. Les nouveautés introduites par Louis Napoléon ou Napoléon Ier n’ont pas laissé les Bataves indifférents. Ils se sont opposés de bien des manières à tout ce qui menaçait leur liberté et leur autonomie, ce qui ne veut pas dire non plus que ces protestations expriment des valeurs identiques à celles des Espagnols ou des Napolitains.
INTRODUCTION
Le 5 juin 1806, Napoléon mit implicitement fin au gouvernement républicain qui avait été celui des Pays-Bas durant plus de deux siècles. Au cours d’une réunion de moins d’un quart d’heure et en présence d’une délégation batave, l’Empereur annonça l’établissement du « Royaume de Hollande », tandis qu’il nommait son jeune frère Louis « roi de Hollande ». Pour la population néerlandaise qui apprit la nouvelle quatre jours plus tard, commençait la dernière phase de la période franco-batave, qualifiée aussi de « période napoléonienne ». Durant cette dernière phase qui s’étend jusqu’en novembre 1813, les Provinces-Unies furent entre 1806 et 1810 un royaume, avec à sa tête Lodewijk Napoleon — alias Louis Bonaparte — avant d’être annexé en juillet 1810. Avec l’incorporation, la Hollande n’était plus un État autonome. Il subsistait certes une entité néerlandaise spécifique, puisqu’à l’intérieur même de l’Empire, les provinces au nord des grands fleuves conservaient leur statut administratif sous le nom de « Départements de la Hollande ». Elles étaient dirigées par un gouverneur : l’ancien troisième consul, Charles François Lebrun, qui était assisté à Amsterdam par un gouvernement général quasi centralisé.
La période napoléonienne constitue une phase importante dans la naissance des Pays-Bas modernes. Les régimes dirigistes des frères Bonaparte ont accéléré le processus de centralisation et d’unification en matière d’administration, de justice et de finance. C’est pendant ces années-là que s’imposèrent dans le pays une hiérarchisation, une standardisation et une formalisation de l’appareil d’État. Vit dès lors le jour l’État-nation des Pays-Bas. Pour la plupart des quelque deux millions de citoyens que comptait alors le pays, ce processus de modernisation se réalisa furtivement. Ils se virent confrontés à un gouvernement étranger qui dès les débuts se caractérisait par un arbitraire autoritaire et qui, après l’incorporation, devint progressivement un État policier et une dictature militaire.
Malgré son importance dans le processus de modernisation du pays, malgré son caractère tant dynamique que dramatique, la période napoléonienne a peu retenu l’attention des historiens néerlandais. L’historiographie l’a longtemps décrite comme une période de calme général et de tranquillité publique. Les recherches nouvelles fondées sur des sources primaires encore peu consultées, démentent cette image simplifiée. Le texte qui suit précisera ce qu’il en est de ces recherches avant d’examiner de plus près la fréquence, la nature et la signification des protestations néerlandaises contre les régimes imposés par Napoléon.