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Par François-Guillaume Lorrain – Publié le 28/02/2015 à 09h34

« Voyage en France : retour sur quelques lieux qui ont fait notre pays »
Cette série est une invitation à revenir aux lieux. Qu’ils soient connus ou inconnus, l’histoire de France s’y est écrite. Il y aura des batailles, des châteaux, des abbayes, mais aussi des lieux d’invention, industriels, agricoles, artisanaux, artistiques. Tous, ils ont façonné notre pays.

Capture d’écran | Le Point

Aux VIIIe et IXe siècles Quirzy fut sinon la capitale de la France, qui n’en avait pas encore une, du moins le lieu principal où s’exerça le pouvoir, où résidèrent les rois, les empereurs, où se décida aussi le sort du pays


Il y a 1 200 ans, ce fut la « capitale » de la France. Les États pontificaux y sont nés, la féodalité aussi. C’est aujourd’hui un village de 450 habitants.

EXTRAITS

[…]

Les fondements de la féodalité française ? Quierzy toujours, où un capitulaire, rédigé en 877 sous le règne de Charles le Chauve, a décidé des droits et des devoirs des seigneurs réunis par le roi

Palais royal
Il faut dire que pour imaginer à la place de ce jardinet un palais royal, un certain effort est nécessaire. Et quel palais ! Là exactement, sous les patates, Charles Martel, épuisé de ses raids contre les musulmans, aurait rendu son dernier soupir. On est le 22 octobre 741. Un an après, toujours à Quierzy, à Pâques – une source indique que la famille « royale » est présente en ce lieu -, le futur Charlemagne aurait poussé son premier cri. Son biographe, Georges Minois, le fait naître ailleurs, entre Herstal et Metz. Mais il se contente d’un « probablement » et nous avoue au téléphone qu’il n’en a aucune certitude.

Plus certain : douze ans plus tard, à l’occasion de la première visite d’un pape en France, un traité est signé entre Pépin le Bref et Étienne II, qui crée les États pontificaux, avec charge pour le maire du palais, que l’on considère désormais comme le maître du royaume, de porter assistance au pape. La liturgie grégorienne ? Établie à Quierzy. Les fondements de la féodalité française ? Quierzy toujours, où un capitulaire, rédigé en 877 sous le règne de Charles le Chauve, a décidé des droits et des devoirs des seigneurs réunis par le roi. Plusieurs de ces dates sont développées dans la Chronologie commentée du Moyen Âge, de l’historien Laurent Theis, qui leur accorde toute la place qu’elles méritent.

Nous prenons congé en nous excusant pour le dérangement. Les indices, il faut bien le reconnaître, sont maigres. Les traces, évanescentes. Comment en serait-il autrement ? À l’époque, on construisait en bois, comme nous le confirme Georges Minois. La pierre reste, le bois s’envole.

Name dropping
On part faire un petit tour dans le village. Le nom de Charlemagne est inscrit sur le mur de la salle polyvalente, où les lettres dorées se détachent sur une plaque de marbre grenat, sur le modèle des dalles funéraires. Une feuille volante punaisée à l’entrée recommande de ne pas faire traîner les chaises au moment de ranger la salle. Le village de Quierzy tient à sa tranquillité. Rien ne semble devoir la troubler, pas même cette petite stèle grise, passe-partout, comme tombée du ciel près de l’unique carrefour. Après la mention « Villa royale des Mérovingiens et Carolingiens », quelques dates laconiques sont énumérées.

741 : décès de Charles Martel.
742 : naissance probable de Charlemagne à Quierzy.
754 : Pépin le Bref reçoit le pape Étienne II.
804 : Charlemagne reçoit le pape Léon III.
820 : Louis le Débonnaire signe la charte en faveur de l’Église de Paris
838 : Louis le Débonnaire couronne son fils Charles le Chauve.
842 : mariage de Charles le Chauve.
838-858 : en présence de Charles le Chauve, signature de conciles.
877 : signature par Charles le Chauve du capitulaire de Quierzy instaurant la féodalité.

Quel village de France peut s’enorgueillir d’un tel name dropping ? Et pourtant, qui connaît Quierzy ? À Quierzy même, peuplé aujourd’hui de 450 habitants, on semble ignorer qu’aux VIIIe et IXe siècles on fut sinon la capitale de la France, qui n’en avait pas encore une, du moins le lieu principal où s’exerça le pouvoir, où résidèrent les rois, les empereurs, où se décida aussi le sort du pays.

Que d’eau !
Comme pour mieux préserver sa tranquillité, la mairie et l’église qui lui fait face, de guingois, sont hors de vue, loin du seul axe qui traverse le village. Les vestiges d’un prieuré du XIIe siècle y végètent, tapis derrière un portail, enfouis dans la végétation. Sans l’intervention de Georges Samson, un archéologue du village voisin, Brétigny, qui a fait classer le site, ils auraient été détruits pour permettre l’extension du cimetière. Quierzy possède aussi un château, dont les premières évocations remontent au XIe siècle, mais lui aussi, malgré son emplacement, près de la route, demeure invisible, dérobé au regard par la végétation.

Ce qui frappe à première vue à Quierzy, ce sont les ponts. En deux cents mètres, il y en a trois. Le premier qu’on atteint lorsqu’on arrive de Noyon enjambe le canal de l’Oise construit au XIXe siècle, qui relie Paris à la Belgique. Le second franchit l’Oise, qui serpente mollement. Tout en vieille pierre jaune, bien plus étroit, le troisième passe au-dessus de la Rivièrette, un bras d’eau comblé un peu plus loin : l’Ailette, qui va se jeter un peu plus loin dans l’Oise. Que d’eau ! Que d’eau ! Elle est en effet partout, cette eau jadis indispensable dès lors qu’on voulait protéger une ferme ou un palais des incursions des hommes ou des bêtes. On tient là une des raisons du choix de Quierzy par le pouvoir. Une autre est son emplacement géographique. Aujourd’hui, le village se situe à l’entrée de l’Aisne, en région Picardie, au bord du département de l’Oise. Historiquement, il se trouvait en Ile-de-France, et surtout, à la frontière stratégique entre la Neustrie (ouest de la France) et l’Austrasie (l’est), les deux entités qui divisaient à l’époque le territoire. Une position centrale.

Au coeur du royaume franc
Avant de partir à la recherche de ce palais, précisons que les résidences de nos souverains du Haut Moyen Âge s’échelonnaient depuis Paris et Saint-Denis, en suivant d’abord le cours de l’Oise. Verberie (près de Senlis). Compiègne. Attigny (à dix kilomètres à l’est de Compiègne). Quierzy. Puis la courbe s’infléchit vers Laon, à Samoussy, à l’est de cette ville. On trouve aussi mention de Corbény au sud de Laon, entièrement détruite lors des combats du Chemin des Dames en 1917, mais où les rois, après leur sacre à Reims, venaient se recueillir sur les reliques de saint Marcoult. On est donc au coeur du royaume franc situé au nord de Paris, dans des forêts giboyeuses. Le 9 octobre 768, quinze jours après la mort de son père, Pépin le Bref, Charlemagne est sacré roi de Neustrie à Noyon, à quinze kilomètres à l’ouest de Quierzy. Au même moment, son frère, Carloman, est sacré roi d’Austrasie, à Soissons, à trente kilomètres au sud de Quierzy.

Impossible de parler de Quierzy sans évoquer la voisine Noyon, paisible chef-lieu de canton, qui, avant d’être la ville natale de Calvin, fut la place forte du christianisme franc. Saint Médard, proche de Clovis, en fut le premier évêque, un siècle avant une autre figure centrale, saint Éloi, orfèvre du roi Clotaire II. Une fresque effacée figurait le sacre de Charlemagne dans le transept nord de la cathédrale de Noyon, qui écrase la ville de ses tours énormes. Dans la salle de réception de la mairie, un cycle commandé par le régime de Vichy représente cette cérémonie (ainsi que le sacre de Hugues Capet, le premier Capétien, qui eut lieu aussi à Noyon). Mais il ne reste plus aucun vestige de l’église carolingienne, vraisemblablement détruite par les Vikings à la fin du IXe siècle. Au coeur du royaume franc, la région a subi logiquement les assauts les plus violents de la part des hommes du Nord. Puis les bombardements français du 1er avril 1918 sur la ville alors aux mains des Allemands ont fait le reste. Après la guerre, des fouilles avaient été effectuées : en vain.

[…]

 (Fin de la première partie)

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