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Essaouira, ville-décor
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Mogador évoque surtout pour les Français le monde de l’opérette. Ce fut, un temps, le nom d’Essaouira, ville marocaine, où l’harmonie, l’ingéniosité et le goût ont pris rendez-vous avec un festival culturel. On y proclame déjà : » La musique d’abord ! «
Par PAUL BALTA.
Publié le 05 novembre 1984 à 00h00 – Mis à jour le 05 novembre 1984 à 00h00
Essaouira. – Il est dans la tradition de la monarchie marocaine que le roi » punisse » les villes coupables de déloyauté à l’égard du trône. Ainsi, après les » émeutes de la vie chère « , qui avaient éclaté en janvier dernier à Marrakech, d’où elles avaient gagné le reste du royaume, Hassan II avait-il décidé de ne plus retourner dans la capitale du Sud pendant de long mois. Au dix-huitième siècle, pour punir Agadir, insoumise et frondeuse, Sidi Mohamed Ben Abdallah décide de fonder une ville rivale : Essaouira ( » la petite muraille « ). En 1765, il choisit un site connu depuis le quatorzième siècle sous le nom de Mogador. Il désignera, pendant le protectorat, la ville, et ornera, outre de nombreuses rues, quelques théâtres à travers le monde. Ce nom étrange pourrait être la déformation du nom berbère d’Amogdoul, sous lequel la cité El Bekri au onzième siècle. Mais son origine remonte aux Phéniciens, et l’on sait que le roi de Maurétanie, Juba II, fit fabriquer de la pourpre, très appréciée des Romains, dans les îles Purpuraires qui lui font face.
Le sultan veut qu’elle soit à la fois une base pour sa flotte de corsaires, un centre économique où il attire les commerçants européens par divers privilèges et où s’installent des consulats, une cité élitiste et raffinée qu’il peuple en faisant appel à des tribus de toutes les régions et à des familles juives, qui seront nombreuses à venir. De cette diversité, Essaouira a tiré un caractère cosmopolite qu’on retrouve aujourd’hui dans le tempérament ouvert et accueillant de ses habitants.
Cosmopolitisme encore? Le sultan confie à un Français captif, originaire d’Avignon, Théodore Cornut, le soin de dessiner les plans et de mener à bien la construction. Comme Venise et Saint-Pétersbourg (Leningrad), Essaouira fait partie des rares cités au monde dont l’architecture et l’urbanisme ont été entièrement pensés avant l’exécution, ce qui leur donne ce caractère harmonieux qu’on leur connaît. Avec son plan en croix, comme Saint-Malo, elle sera achevée en 1785 et fêtera donc l’an prochain son bicentenaire. » Fantaisie européenne sur un thème marocain », selon une expression célèbre, elle ne ressemble à aucune autre cité du royaume malgré ses deux kasbas, sa médina et son mellah (quartier juif).
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