via : retronews
DIX ANS D’ORGANISATION INDUSTRIELLE ET AGRICOLE EN SYRIE ET AU LIBAN
La Science et la vie, 1 janvier 1931, p. 69-74/100
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Lancé par le patron de presse Paul Dupuy en avril 1913 et inspiré par les titres américains Popular Science ou Popular Mechanics, La Science et la Vie est un magazine mensuel de vulgarisation scientifique. Premier du genre en France, il arrive à concilier accessibilité des articles et collaboration avec de grands scientifiques, comme Gabriel Lippmann, prix Nobel de physique en 1908. Interrompu durant les deux périodes de guerre, en décembre 1945 le magazine publiera un premier numéro hors-série, un format qui deviendra au fil du temps trimestriel.
La seule influence étrangère qui se soit mêlée profondément à l’âme syrienne et libanaise est celle de la France
TEXTE INTEGRAL
La Science et la Vie, poursuivant son enquête scientifique, technique, économique concernant les territoires sur lesquels la civilisation française a étendu son activité, étudie dans cet article les remarquables résultats qui ont été obtenus, depuis dix ans, en Syrie et au Liban, territoires placés sous mandat français. En aménageant les moyens de transports (routes, chemins de fer. pistes), en développant l’agriculture et surtout la culture du mûrier, connexe de l’industrie de la soie, la France a déjà amélioré considérablement la prospérité de ces vastes territoires de la Méditerranée orientale. De plus, un programme d’outillage vraiment moderne est prévu pour compléter l’organisation déjà existante par l’addiction d’eau et l’accroissement du réseau routier : de l’eau, des routes.
Qu’est-ce que la Syrie ?
a) Géographiquement
La carte de la page suivante définit, mieux que tout commentaire, la position géographique exacte des pays confiés à notre tutelle. Mais, si la géographie est, en elle-même, une science précise, les expressions qu’elle emploie ne le sont pas toujours. Il importe de s’entendre. On appelle traditionnellement Syrie la grande région naturelle située entre le Taurus au nord, le désert synaptique au sud, la Mésopotamie à l’est et la Méditerranée à l’ouest. Telle n’est pas la Syrie sous mandat. Celle-ci a été, notamment, séparée de la Palestine et de la Transjordanie, confiées à la tutelle britannique. L’étude que nous allons faire se bornera à ces limites restreintes.
b) Historiquement
La Syrie sous mandat n’est pas un « pays neuf », au sens que prennent ces mots dans le vocabulaire impérial. C’est, au contraire, un pays de très ancienne civilisation, ruiné par des invasions successives et retardé dans son adaptation à la vie moderne par une longue servitude. Plus encore que la Belgique, c’est un carrefour de races, de religions, de richesses… et de convoitises. Plus de vingt races s’y sont affrontées ou mêlées ; trois religions principales s’y surveillent jalousement ; toutes les grandes puissances de l’Europe ont essayé, depuis le début du siècle, d’y obtenir une sorte de prépondérance économique ; enfin, encore de nos jours, la Syrie a des voisins puissants et remuants.
Chacune des invasions qui ont déferlé sur cette terre y a laissé de riches alluvions. A Byblos, à Sidon, à Doura Europos sur l’Euphrate, en vingt autres lieux, l’archéologie découvre les traces prestigieuses des plus anciennes civilisations. Et faut-il évoquer la magnificence des ruines romaines : Baalbeck. Palmyre, Chaaha, Bosra-eskiCham, restées debout à la lumière malgré les tremblements de terre et les révolutions ?
Toutes ces civilisations ont laissé leur empreinte sur le sol. mais aucune n’a pénétré profondément l’âme des Syriens. Celle-ci. même dans la nuit des longues servitudes, n’a point perdu son originalité, ni son éclat. Elle est. d’ailleurs, infiniment complexe et diverse ; elle aime à refléter le concept occidental d’unité politique ; mais, en dépit des harangues nationalistes, ni à Beyrouth, ni à Damas, on ne perd conscience des réalités : autant de races ou de religions, autant de « nations ».
Les Turcs n’avaient rien fait pour préparer un rapprochement entre ees nationalités multiples. Evincés après quatre siècles de domination, ils n’ont laissé, comme traces visibles de leur conquête, que des casernes et l’embryon corrompu d’une organisation administrative imitée de l’Occident.
La seule influence étrangère qui se soit mêlée profondément à l’âme syrienne et libanaise est celle de la France. Depuis les croisades jusqu’à nos jours, cette influence, malgré toutes les vicissitudes de la politique et du prestige français, n’a pour ainsi dire jamais décliné, en tout cas jamais disparu. Le mandat n’est pas une nouveauté : c’est l’anneau le plus récent d’une chaîne séculaire.
La mission de la France en Syrie
En vertu du mandat, la France remplit en Syrie une mission d’aide et de conseil (article 22 du Pacte de la SDN). Les Etats du Levant sont reconnus indépendants. mais, comme ils ne possèdent ni les forces militaires, ni les ressources financières, ni le personnel politique et technique, ni l’expérience administrative nécessaires à la sauvegarde de cette indépendance dans les difficiles conditions du monde moderne, ils ont besoin d’un tuteur. Et ce tuteur n’est autre que la France, leur protectrice traditionnelle.
Comment cette mission a été remplie
Au point de vue du droit public, les principes de la Déclaration des Droits de l’Homme sont partout affirmés : libertés individuelle. liberté de conscience, égalité de tous devant la loi
a) Dans l’ordre politique
La France leur a garanti la sécurité, aux frontières et à l’intérieur. Elle les a pourvus d’un statut, qui, après une laborieuse évolution est parvenu au mois de mai dernier, sous la sage impulsion du haut-commissaire M. Ponsot, à un degré très avancé de développement. La République Libanaise avait déjà reçu, en 1926 une constitution, qui fut deux fois amendée pour renforcer les prérogatives du pouvoir exécutif. L’Etat de Syrie, capitale Damas, devient à son tour une république parlementaire, avec un président, une Chambre, un ministère responsable ; le sandjak d’Alexandrette voit confirmer, suivant le vœu de la population, son autonomie administrative et financière : dans les gouvernements de Lattaquieh et du Djebel-Druze, une organisation consultative est instituée. Enfin, une Conférence des Intérêts Communs réunit les représentants des divers Etats et gouvernements pour l’étude des questions économiques intéressant l’ensemble des territoires du Levant (douanes, monnaie, voies de communication, irrigations, etc.). Ainsi, la géographie politique adoptée par la puissance mandataire pour répondre au vœu des populations, ne pourra nuire à la prospérité matérielle fies pays confiés à sa tutelle.
Au point de vue du droit public, les principes de la Déclaration des Droits de l’Homme sont partout affirmés : libertés individuelle. liberté de conscience, égalité de tous devant la loi. etc.
En promulguant ce statut organique, le Haut-Commissaire remplissait un des devoirs essentiels de sa charge. Il n’allait pas tarder à recevoir l’approbation et les éloges de la Commission des Mandats, seule institution qualifiée pour juger son œuvre.
b) Dans l’ordre économique
Pour assurer à la Syrie et au Liban cette prospérité, la France n’a négligé aucun effort
Une bonne organisation politique ne suffit pas au bonheur des peuples modernes, qui recherchent, de plus en plus avidement, la prospérité économique. Pour assurer à la Syrie et au Liban cette prospérité, la France n’a négligé aucun effort. Donnons ici quelques chiffres.
Voies ferrées
La ligne Tripoli-Homs (103 kilomètres), entièrement détruite pendant la guerre, était reconstruite dès 1921. En 1925, la ligne 1 fera – Bosra – Kschi – Chain (35 kilomètre-) et, en 1928, la partie syrienne de la ligne Alexandrette-Nissibine étaient rétablies sur toute leur longueur. Le matériel a été presque entièrement renouvelé. l»a Compagnie des wagons-lits a pu pousser ses services jusqu’à Alep et Tripoli.
Routes
A la fin de 1928, on avait construit, ou rétabli dans des conditions équivalant à une reconstruction totale 2.100 kilomètres de routes empierrées comme elles ne l’avaient jamais été et 4 500 kilomètres de pistes. Des régions, entièrement privées jusque-là de voies carrossables, en ont été pourvues et sont dotées de services automobiles. Par exemple, on va aujourd’hui d’Alep à Beyrouth, par Lattaquieh, en neuf heures et demie d’auto.
Agriculture
Le Haut-Commissariat tient en réserve un vaste programme d’améliorations économiques, qui peut se résumer en deux mots : de l’eau, des routes. La Syrie est, en effet, essentiellement un pays d’agriculture et de transit. C’est aussi, et de plus en plus, un pays de tourisme. Signalons que de nombreuses stations estivales, pourvues d’hôtels confortables, se sont créées ou développées récemment dans la montagne libanaise, aux Alaouites, dans l’Amanus, etc.
c) Dans l’ordre intellectuel et social
Institutions scolaires, institutions d’assistance, c’est peut-être en ce domaine que l’influence française a rayonné avec le plus d’éclat
La France ne s’est pas bornée à ces bienfaits d’ordre politique et économique. La noblesse de ses traditions au Levant l’obligeait à continuer largement une œuvre de lumière et de charité. Institutions scolaires, institutions d’assistance, c’est peut-être en ce domaine que l’influence française a rayonné avec le plus d’éclat. Tous les Français ont entendu parler de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, que Maurice Barrés appelait le « phare de la Méditerranée orientale » ; tous connaissent le grand collège aménagé par les lazaristes à Antoura, sur les premières pentes du Liban, et les orphelinats de Saint-Vincent -dePaul, qui ouvrent leurs portes chaque année a plus de mille enfants abandonnés, et la Mission Laïque, aujourd’hui en pleine prospérité, et toutes les œuvres qui font grandir en Orient le prestige de la science et de la bonté françaises. Un tel sujet mériterait de longues méditations, mais qui déborderaient le cadre du présent article. Il faut nous hâter de conclure.
Si la France est aujourd’hui installée en Syrie, ne l’oublions pas, c’est parce qu’elle y a toujours été : par ses chevaliers au temps des croisades, par ses consuls protégeant les minorités en vertu du droit capitulaire (et cela même sous la Révolution, pour qui — avant la lettre — l’anticléricalisme n’était pas article d’exportation) ; par ses missionnaires laïcs et religieux, par ses professeurs et ses hommes d’affaires, par sa langue et par ses idées, par ses bienfaits.
La France continue. En exécution du mandat, elle n’a pas eu à transformer son rôle, mais seulement à l’élargir momentanément. Elle n’a d’autre ambition que de «travailler à se rendre inutile », en préparant Syriens et Libanais à jouir avec sagesse de la liberté politique et de I »indépendance nationale. Cette indépendance doit être le fruit, en même temps qu’elle sera la consécration de l’œuvre d’éducation politique généreusement entreprise et courageusement poursuivie par la France.
Depuis le 30 juin 1930, l’Irak a reçu de la Grande-Bretagne les apparences de la liberté : – C’est un mirage, me disait un chef arabe. – Oui. lui répondis-je, c’est comme l’ombre des réalités qui seront accordées un jour a la Syrie et au Liban.
Paul Fidès.