Titre(s) : L’influence religieuse de la France en Orient : rapport lu au congrès catholique de Lille / Alexandre Jonglez de Ligne [Texte imprimé] Publication : Lille : J. Lefort, 1885

L’influence religieuse de la France en Orient : rapport lu au congrès catholique de Lille / Alexandre Jonglez de Ligne.
Publication Lille : J. Lefort, 1885
REPRODUCTION DES PREMIERES PAGES (pages 4-12, OCR)

Les Arabes n’ont que deux appellations pour les Européens, Roumi ou Frandji

 

L’INFLUENCE RELIGIEUSE DE LA FRANGE EN ORIENT

Le 12 mars 1885, les membres de la Caravane française, réunis à Marseille, aux pieds de Notre-Dame de la Garde, recevaient la croix du pèlerinage et prenaient, sur la Méditerranée, la route suivie jadis par les flottes des Croisés. Pendant que nous voguions vers la Terre-Sainte, pour y vénérer les vestiges sacrés de la passion du Sauveur, nous songions avec amertume que le drame divin se renouvelait en France dans les membres de l’Eglise, épouse du Christ. Quelle n’a pas été notre patriotique et consolante surprise lorsque nous avons pu constater que, malgré les fautes de nos gouvernants, la France catholique conserve encore un prestige étonnant sur cet Orient, dont les yeux semblent toujours tournés vers le passé ! Au premier abord ce fait paraît invraisemblable ; nous croyons cependant en avoir trouvé l’explication, en jetant un regard sur le passé et en observant le présent. Nous nous bornerons à développer celte explication ; nous n’avons pas la prétention de présenter ici un récit complet de notre pèlerinage.


Considérations générales

Les Orientaux et en particulier les Arabes, dont la langue si riche, compte des nuées de synonymes pour certains objets, le lion, par exemple, n’ont que deux appellations pour les Européens, Roumi ou Frandji; Round, c’est-à-dire les descendants de ces Romains qui asservirent l’univers et vinrent troubler les tribus nomades dans leurs fières solitudes ; Frandji, les fils des Croisés français dont les exploits légendaires sont encore chantés sous la tente des Rédouins. L’imagination orientale se plaît à prêter aux guerriers français des croisades, je ne sais quelles proportions surhumaines.

D’après les poètes arabes, l’épée de Godefroid de Bouillon qui semble encore garder le Saint-Sépulcre, abattait d’un seul coup la tête d’un lion ou fendait en deux les géants sarrasins ; un historien arabe raconte que dans l’une des neuf batailles livrées sous les murs de Saint-Jean d’Acre, contre Saladin, et dans les quelles périrent 500,000 hommes, le choc des guerriers francs fut si foudroyant que les héros de l’Islam s’enfuirent jusqu’à Damas et que la tête des enfants blanchit d’épouvante ! « Où ne retrouve-t-on pas les traces des Français ? s’écrie M. de Chateaubriand; à Constantinople, à Rhodes, en Syrie, en Egypte, à Carthage, partout où j’ai abordé, on m’a montré le camp des Français, la tour des Français, le château des Français, la tombe des soldats français. »

Ne demandez pas aux Orientaux de distinguer les races de l’Occident, de retenir les noms des Russes, des Anglais, des Allemands, qui s’évertuent à l’envie pour conquérir quelque influence sur les régions mystérieuses de l’Orient, l’Arabe ne connaît qu’un peuple dont la physionomie l’ait frappé, dont le nom soit gravé dans sa mémoire : ce peuple, c’est la France ! Dans cette contrée où la voix de Dieu s’est fait entendre si souvent, les hommes ont un sentiment profond de la divinité. En Orient, le caractère distinctif de chaque nation, c’est la religion qu’elle professe.

Voilà pourquoi dans la langue des Arabes, comme dans celle de l’immortel auteur de la Jérusalem délivrée, le mot de Francs est synonyme de chrétiens. Cette synonymie s’étend jusqu’à l’extrême Orient ; et le sang des martyrs de l’Annam rejaillit sur le front de nos gouvernants, responsables de malheurs qu’ils auraient dû prévoir et prévenir. Que nos diplomates, que nos généraux le veuillent ou non, ils sont forcés de défendre en Orient, le catholicisme qui se confond avec la France, et la croix qui y est restée notre drapeau.


Historique

Que n’étais-je là avec mes Francs ! s’écriait Clovis. Celte exclamation du fondateur de notre monarchie chrétienne, nous révèle, aux premiers jours de notre histoire, la mission de la France, soldat de Dieu, près du tombeau du Christ à Jérusalem, comme à Rome près de son vicaire.

Voici d’abord Charlemagne, l’empereur des Francs, qui se fait remettre les clefs du Saint-Sépulcre par le célèbre sultan Uaroun-al-Raschid.

Ensuite, nous apparaissent, dans cette épopée toute française des croisades, Godefroid de Bouillon, le pape français Urbain II, nos rois Louis le Jeune, Philippe-Auguste, et dominant tout, la majestueuse figure de saint Louis, que les émirs sarrazins appelaient le plus fier des princes francs et à qui ils offrirent le sceptre. C’est la France qui a tenu le premier rang dans cet immense mouvement religieux qui précipita tout l’Occident à la conquête du tombeau de Jésus-Christ et imposa pendant plus d’un siècle la volonté des chrétiens aux redoutables sultans d’Orient.

Après la chute du royaume de Jérusalem et de l’empire latin de Constantinople, le renom militaire des Francs fut maintenu par le courage des rois de Chypre de la famille des Lusignan et par les hauts faits des chevaliers de Rhodes. Les maisons de la rue des Chevaliers, dans la ville de Rhodes, nous ont montré leurs murs tout parsemés des armoiries et des devises de nos familles historiques ; nous y avons salué les lys de France, sculptés dans le granit, témoins indestructibles des gloires de notre monarchie nationale.

Dès le XIIIè siècle, saint François d’Assise dont le nom même est un hommage sympathique pour la France, avait établi sa famille religieuse sur le mont Sion, près du Cénacle.

Les pacifiques enfants de saint François, vêtus de leur bure et ceints de leur corde, ont relevé le poste de nos chevaliers croisés, bardés de fer. Il semble qu’au pied du Calvaire le Dieu qui fit rentrer au fourreau le glaive de saint Pierre, ne veut voir d’autres armes que la douceur et l’humilité chrétiennes.

Depuis six cents ans, sous le protectorat de la France, les Franciscains gardent le Saint-Sépulcre; ils montrent à Jérusalem, dans leur couvent de Saint-Sauveur, un registre rempli des firmans obtenus par les rois de France, en faveur des fils de saint François; on y peut lire les noms de François I er , de Henri IV, de Louis XIV, de Louis XV.

Cette politique séculaire s’imposa à Robespierre lui-même qui fut obligé de continuer le protectorat de la France. De nos jours, n’avons-nous pas vu Gambetta, subissant à son tour une irrésistible influence, voter une subvention pour l’université de Beyrouth que dirigent les Jésuites, et pour les Frères des Ecoles chrétiennes de Jérusalem et d’Egypte?

Au commencement de ce siècle, Napoléon I er , que les Arabes ont surnommé le sultan du feu, vient aviver notre réputation guerrière depuis les Pyramides jusqu’au Thabor. Dans ces dernières années surtout, une étonnante succession d’événements, la prise d’Alger, la guerre de Crimée, l’expédition de Syrie et même l’ouverture de l’isthme de Suez par celui qu’on appelle en Egypte le grand Français, ont fait retentir coup sur coup le nom de la France en Orient ; une intervention providentielle de notre patrie semble se préparer. D’admirables témoignages de sympathie nous sont donnés par les populations catholiques.

A l’époque de l’invasion allemande en 1870, dix mille Libanais s’étaient équipés pour venir au secours de la France. Qu’il nous soit permis de citer un petit fait dont
nous avons été témoin et qui prouve la popularité dont jouit le nom français.

C’était à Balbek, sur la route qui conduit aux cèdres du Liban ; nous venions de visiter les ruines incomparables du gigantesque temple du Soleil, sous la conduite d’un jeune Libanais, de la famille du comte Rochaïd-Dahdah, bien connu du monde parisien ; à notre retour dans l’auberge d’un catholique maronite, où nous étions logés, notre jeune guide nous raconta que ses parents, qui résidaient à Damas à l’époque desmassacres de Syrie, avaient trouvé un refuge au consulat de France et avaient été défendus contre les Druses par Abd-el-Kader et une troupe de 3,000 Arabes, amis des Français.

Notre Libanais s’était fait un devoir de venir à Paris en 1870, afin de combattre les ennemis de la France, il nous montra sur son bras la glorieuse cicatrice d’une balle allemande. Ce récit ne larda pas à exaspérer plusieurs voyageurs dont l’accent tudesque faisait assez connaître la natiolité ; ils déclarèrent que les  sympathies manifestées par le Libanais étaient pour eux une insulte.

« Messieurs, reprit vivement le maître de l’auberge, sachez que nous tous Libanais catholiques, nous nous faisons honneur d’être les Français de l’Orient : quiconque n’aime pas la France ne logera pas sous mon toit! »

Nous restâmes maîtres de la place.
Citons un autre fait qui s’est passé en Egypte, au Caire. Nous étions allés visiter la maison qui fut habitée par la sainte Famille fugitive. Pour nous protéger contre les rayons d’un soleil ardent, nous avions adopté, comme coiffure, le casque de toile blanche, invention anglaise très confortable; en traversant les ruelles étroites du Vieux Caire (ancienne Iléliopolis) nous fûmes frappés de l’attitude hostile de la population ; un Frère des Ecoles chrétiennes, fixé au Caire depuis trente ans, qui nous servait de guide, nous prévint que notre casque allait amener une catastrophe : on nous prenait pour des Anglais, honneur que nous ne méritions nullement. Nous nous empressâmes d’abandonner la coiffure anglaise et de parler en français à haute voix ; ce fut un revirement subit ; les mêmes Arabes qui portaient déjà la main sur leur poignard, nous saluèrent amicalement.


Possession des sanctuaires de Terre-Sainte.

L’influence religieuse de la France, qui date des croisades, s’affirme et se maintient par la possession des principaux sanctuaires de Terre-Sainte qui constituent
en quelque sorte le patrimoine religieux de notre patrie. 

Depuis six siècles, les Franciscains se tiennent au poste que leur ont confié la religion et la France. Ils veillent sans relâche, avec un soin jaloux, sur tous les sanctuaires qui se rapportent aux diverses phases de la vie de Notre-Seigneur. A Nazareth, ils gardent la basilique de l’Annonciation ; grâce à leur hospitalité, les pèlerins du monde entier peuvent méditer dans le recueillement, le sublime mystère que rappellent les mots gravés sur le marbre sacré Ilic Verbum caro factum est !

Les Pères Franciscains possèdent à Saint-Jean dans la Montagne, le sanctuaire du Magnificat, élevé sur l’emplacement de la maison de sainte Elisabeth, ainsi que la basilique de la Nativité de saint Jean-Baptiste, et la grotte du saint précurseur, qui domine la vallée où David tua Goliath. A Bethléem, les Franciscains, qui de tout temps avaient été regardés comme les seuls propriétaires de la grotte de la nativité de Notre-Seigneur, ont versé leur sang en 1873 pour défendre ce lieu auguste contre les odieuses violences des Grecs schismatiques. Cana, le mont Thabor, le tombeau de Lazare à Béthanie, en un mot tous les sanctuaires qui rappellent les principaux actes de la vie publique de Jésus-Christ, sont entre les mains des Pères Franciscains. Les sanctuaires qui se rattachent à la Passion appartiennent plus étroitement encore aux enfants du grand saint qui reproduisit dans ses membres les stigmates des plaies du Sauveur.

Avec quel bonheur et quel respect ils gardent et nous ont fait visiter pendant 1a. semaine sainte le Jardin des Oliviers, la grotte de Gethsémani, la chapelle de la Flagellation ; puis dans la basilique même du Saint-Sépulcre, la 10 e station du Chemin de la Croix, où Notre-Seigneur fut dépouillé de ses vêtements; la 11 e , celle du Crucifiement ; la 13 e , celle du Stabat; ainsi que la chapelle où sainte Hélène retrouva la vraie-croix.

Enfin, ils espèrent reconquérir entièrement un jour la garde du Saint-Sépulcre, qu’ils sont obligés de partager aujourd’hui avec les schismatiques. Les Franciscains ont en outre la propriété exclusive des chapelles élevées sur les emplacements vénérés où Notre-Seigneur, ressuscité, apparut successivement à sa divine Mère et à sainte Marie-Madeleine. Sur les bords du lac de Tibériade, ils possèdent également le sanctuaire bâti au lieu môme où Notre-Seigneur apparut à saint Pierre et lui confia, par trois fois, la sublime mission de gouverner l’Église. D’autres religieux, venus de France depuis quelques années, renforcent l’antique phalange des Franciscains. Les Pères de Notre-Dame d’Afrique, congrégation de missionnaires fondée par S. E. le cardinal Lavigerie, sont préposés à la garde de la basilique de Sainte-Arme, construite sur l’emplacement de la maison de sainte Anne et de saint Joachim; c’est là que s’accomplirent les mystères de l’immaculée conception et de la nativité de la sainte Vierge.

La basilique de Sainte-Anne a été cédée à la France en 1856, après la guerre de Crimée. Merveilleuse coïncidence ! En 1858, la Vierge de l’Immaculée Conception apparaissait à Lourdes sur la terre de France, comme pour donner à notre patrie, par une double marque de confiance et de prédilection, la mission de défendre le plus auguste privilège de la Mère de Dieu. Mentionnons aussi l’arc de YEcce Homo, qui depuis 1856 appartient à la Congrégation des Dames de Sion, fondée par un Français, le célèbre Père Marie Ratisbonne.

Enfin, parmi les souvenirs précieux qui sont sous la garde des ordres religieux, nous ne pouvons omettre le sycomore séculaire qui abrita la sainte Famille en Egypte; cet arbre avait été offert par le Khédive à l’impératrice Eugénie qui l’a confié aux Pères Jésuites de France.

Les descendants de nos vieilles races catholiques se liguent avec les ordres religieux dans une nouvelle et pacifique croisade qui a pour but de reconquérir un à un tous les sanctuaires de Palestine. Plusieurs familles françaises, dont les ancêtres ont été frères d’armes de Godefroid de Bouillon, suppléent généreusement à l’initiative de notre gouvernement qui méconnaît trop souvent la mission de la France.

Nous avons lu avec émotion, dans le sanctuaire de l’Atelier de saint Joseph, un nom souvent applaudi dans nos congrès catholiques ; c’est le marquis de Nicolaï, père de notre ami le comte de Nicolaï, qui a racheté de ses deniers l’atelier où Jésus-Christ vint donner au monde l’exemple du travail et fournir, comme le dit éloquemment le comte de Mun, la solution vraie des questions ouvrières et sociales.

A Béthanie, c’est Mlle de Nicolaï, digne imitatrice de sainte Paille et de sainte Eustoehie, qui s’est chargée en 1868 d’acheter l’emplacement de la maison où sainte
Marthe et sainte Marie-Madeleine reçurent si. souvent Notre-Seigneur : c’est elle encore qui a donné aux Pères Franciscains la propriété du couvent et de l’église
d’Emmaüs, où Notre-Seigneur se révéla à deux de ses disciples le lendemain de la résurrection. […]

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