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capture d’écran | France Mémoire

MSF affirme que le geste de solidarité ne doit être limité, ni par des frontières, ni des « raisons d’Etat », ni des contraintes géopolitiques

PAR PHILIPPE RYFMAN, PROFESSEUR ET CHERCHEUR ASSOCIÉ HONORAIRE, UNIVERSITÉ PARIS I, CHERCHEUR SPÉCIALISÉ SUR LES QUESTIONS NON GOUVERNEMENTALES ET HUMANITAIRES, AVOCAT AU BARREAU DE PARIS


Révélateur des tensions et des espoirs d’une époque marquée par les bouleversements des années 60, Médecins sans frontières émerge dans un contexte de montée en puissance des sociétés civiles dans l’action humanitaire, de remise en cause de la seule souveraineté des Etats pour sa délivrance et de développement de la médecine d’urgence. Dès les premières années deux axes, profondément novateurs, structurent ses interventions sur les terrains de crises : l’indépendance face aux Etats à tous les niveaux et la professionnalisation de l’aide humanitaire. En 50 ans cette organisation est passée du stade d’une petite association de French Doctors à un mouvement mondialisé et agissant dans 90 pays.  Devenue un acteur clé de l’aide humanitaire internationale, ses actions ont été récompensées, dès 1999, par un prix Nobel de la paix. Depuis lors, sa notoriété et ses moyens n’ont cessé de croître.

Pour les fondateurs de Médecins Sans Frontières (MSF), en 1971, imaginer que serait un jour commémoré son cinquantenaire aurait paru incongru. Ce groupe de médecins et journalistes, tous des hommes (reflet d’une époque encore très genrée dans ces deux secteurs), réunis à l’initiative d’un magazine médical (TONUS) aurait certainement considéré qu’elle était voué à s’effacer à court terme, une fois accomplies les tâches limitées et urgentes qu’ils lui assignaient. Un demi-siècle plus tard, l’empreinte de MSF sur l’action humanitaire a été telle que c’est l’idée de sa disparition qui semblerait absurde.

Cette Organisation Non Gouvernementale (ONG) symbolise la place et le rôle désormais des sociétés civiles dans l’action humanitaire, à côté des Etats et des Organisations Internationales (OI), particulièrement les agences de l’ONU. La tentative de sécession sur le continent africain d’un Etat de la Fédération du Nigéria, le Biafra, servira de déclencheur. La guerre (1967-1970) qui s’y déroule constitue pour une poignée de médecins européens, plus tard dénommés les French Doctors, une sorte de nouveau Solferino par référence à la bataille du XIXème siècle à la source de la Croix-Rouge. L’influence de mai 1968 n’est pas négligeable non plus, en même temps que la structuration concomitante en France d’une médecine d’urgence spécialisée, avec la création du SAMU. Le mandat originel est d’apporter une aide d’urgence à des populations civiles victimes de catastrophes, mais surtout de conflits armés. Particulièrement ceux dit « non-internationaux », autrement dit les guerres civiles, les affrontements de milices, les massacres inter-ethniques qui vont rapidement ravager divers pays fraîchement indépendants, suite à la décolonisation. Le néologisme de « sans frontiérisme » – aujourd’hui remplacé par l’adjectif « humanitaire » – s’inscrivait d’abord en rupture avec une double pensée alors dominante. D’une part, celle marquée par l’idéologie communiste distinguant dans les guerres entre « les bons et les mauvais morts », d’autre part la doctrine du Mouvement Croix-Rouge Croissant-Rouge, encore largement entravée par une interprétation restrictive de l’aval préalable des Etats à toute aide humanitaire dans un contexte international. Ensuite, elle contournait la paralysie d’OI, bridées par la Guerre Froide qui bat alors son plein. Au contraire, MSF affirme que le geste de solidarité ne doit être limité, ni par des frontières, ni des « raisons d’Etat », ni des contraintes géopolitiques.

Dans son fonctionnement, MSF va aussi s’avérer pionnier par la sacralisation systématique du terrain et la mise en avant de l’efficacité opérationnelle. Pour ce faire, la structure associative sera progressivement professionnalisée sur une base managériale, combinée à la priorité donnée au professionnalisme des personnels humanitaire, ainsi qu’à la qualité de l’aide. Tant dans le recrutement, qu’à travers un impressionnant appareil logistique. En même temps, l’ONG va faire preuve d’un incontestable talent, alors peu commun dans le secteur non-marchand, dans la levée de ressources privées afin de se financer sans dépendre de fonds publics, quelle qu’en soit l’origine. 50 ans plus tard, alors que la plupart des ONG humanitaires s’appuient sur un financement diversifié, mixant argent public et privé, le Mouvement MSF privilégie toujours cette dimension essentiellement privée, grâce à ses millions de donateurs, particuliers ou fondations. Elle va aussi innover dans la médiatisation de l’humanitaire. Celle-ci existait depuis le milieu du XIXème siècle, mais grâce à la télévision, plus tard Internet et les réseaux sociaux, le champ des possibles va être démultiplié. Sa première grande campagne en 1976 « Dans leur salle d’attente deux milliards d’hommes » rencontrera ainsi un succès auquel ses organisateurs ne s’attendaient absolument pas. La communication est aussi un outil de plaidoyer vis-à-vis des Etats, afin de faciliter l’accès des équipes à des zones que des autorités locales ou des puissances extérieures cherchent à soustraire à toute aide impartiale ou à des populations vulnérables opprimées ou marginalisées.

Cette réussite fulgurante conduira MSF à cultiver une relative distanciation par rapport aux autres acteurs humanitaires, y compris ceux nés dans la mouvance « sans frontiériste ». Sa dénonciation en 1985 – sans se préoccuper du positionnement des autres ONG – du détournement de l’aide par le gouvernement éthiopien de l’époque le symbolisera. Elle se répétera, par exemple, lors du tsunami en Indonésie en 2004.

Enfin – s’inspirant là d’ONG anglo-saxonnes et du Mouvement Croix-Rouge – MSF va comprendre que sa pérennisation et son renforcement passent par une sortie du cadre hexagonal et un développement à l’international. A travers une dynamique de multiplication de branches (dites « sections ») par pays ou régions. Dès les années 80, elle franchit ce cap. En 2021, devenue une ONG transnationale, elle compte 25 sections indépendantes adhérant à une Charte commune. Toutes n’assument cependant pas la même responsabilité. 5 ont celle de coordonner l’ensemble des programmes d’aide de l’organisation : au côté de l’historique (MSF-France), 4 autres basées respectivement à Bruxelles, Barcelone et Athènes, Amsterdam, Genève les structurent et les répartissent. Les 20 autres les appuient par le biais de recrutements, de collectes de fonds et de communications. Parmi elles, 5 sont des associations régionales couvrant respectivement l’Amérique Latine, l’Afrique de l’Est, l’Afrique Australe, l’Afrique de l’Ouest et Centrale, et enfin l’Asie du Sud. Enfin, une structure faîtière – aujourd’hui rebaptisée Bureau International – a son siège à Genève, avec des compétences de représentation et d’information.

En 2021, MSF – tout en étant toujours aussi active dans l’assistance médicale (notamment chirurgicale) aux victimes de conflits et de catastrophes – a largement investi bien d’autres domaines, médicaux et sanitaires : de l’accès aux médicaments essentiels à l’épidémiologie, des maladies négligées au SIDA (où son rôle fut crucial dans l’accès au traitement antirétroviraux des malades du Sud), de la prise en charge de la santé de migrants à la présence dans des camps de réfugiés ou déplacés de par le monde. Cet élargissement du répertoire d’actions est corrélé avec un travail intellectuel d’analyse, de recherche et de questionnement sur l’action humanitaire mené en interne par des structures dédiées, tel le CRASH. Première organisation privée d’aide médicale internationale et comptant parmi les plus importantes ONG mondiales, elle agit actuellement dans près de 90 pays et le budget cumulé de l’ensemble de ses sections dépassait en 2020  les 1,5 mds d’€. Un Prix Nobel de la Paix remis en 1999 a encore renforcé cette notoriété qui ne se dément pas. Même si elle n’empêche ni les interdictions d’accès, expulsions, agressions et prises d’otages d’employés, voire des assassinats… Cet acteur clef de l’écosystème humanitaire global agit souvent – dorénavant – en lien étroit avec le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) et défend avec pugnacité le droit international humanitaire et les principes humanitaires, notamment ceux d’impartialité et d’humanité. Précisément, le slogan « Cinquante ans d’humanité » adopté par l’ONG pour son entrée dans son second demi-siècle perdurera, probablement. Tant le besoin d’humanitaire ne devrait pas décroître ni à court, ni à moyen terme.

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