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La période de la dynastie des Orléans-Longueville, trop effacée des mémoires par le souvenir de l’appartenance de Neuchâtel au roi de Prusse, n’en est pas moins celle de la formation de l’unité territoriale; celle de l’établissement d’une autorité politique forte; celle de réformes administratives
Jean-Daniel Morerod; Rémy Scheurer: « Neuchâtel (canton) », in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 30.05.2017.
Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/007397/2017-05-30/, consulté le 14.04.2022.
EXTRAIT
2.3 Formation de l’Etat et gouvernement sous les Orléans-Longueville

A la mort de Philippe de Hochberg (1503), sa fille Jeanne hérite du comté de Neuchâtel et épouse l’année suivante Louis d’Orléans (mort en 1516), prince du sang, descendant de Jean d’Orléans, l’illustre Dunois compagnon de Jeanne d’Arc. Le voisinage d’une si évidente présence française conduit les cantons suisses à occuper préventivement le comté pendant les guerres d’Italie et à le faire gérer par des baillis (1512-1529). Réintégrée dans ses terres grâce notamment à François Ier, la comtesse ne peut empêcher ses sujets de passer à la Réforme; sa mauvaise gestion des finances l’oblige en outre à affermer aux bourgeois de Neuchâtel la plus grande partie des revenus d’un comté qu’elle envisage même de vendre à Fribourg. Ce n’est qu’à la fin du XVIe siècle, grâce au bon gouvernement de Marie de Bourbon, régente du comté, que le risque pour les Orléans-Longueville de voir Neuchâtel devenir une ville-Etat, à l’instar d’autres villes suisses, disparaît. Mais une opposition des autorités urbaine et comtale subsiste et traversera les siècles. Leur éloignement conduit les Orléans-Longueville à se faire représenter dans leur comté par un gouverneur (1529) et à développer autour de lui un conseil qui prend, dès 1580, le nom de Conseil d’Etat, organe de conseil, certes, mais aussi d’administration et surtout de justice, particulièrement actif dans la prévention des différends et dans l’arbitrage des conflits, surtout ceux relatifs aux communautés. Cette institution faîtière de l’Ancien Régime survivra à la révolution de 1848.
Le comte, qui prend dès 1571 le titre de «comte souverain de Neuchâtel en Suisse» (Léonor d’Orléans) avant de revêtir celui de «par la grâce de Dieu prince et seigneur souverain des comtez de Neufchastel et Vallangin» dès 1618 (Henri II), choisit en général le gouverneur dans les familles patriciennes (patriciat) de Fribourg ou de Soleure, donc de confession catholique (catholicisme). Parfois il se fait représenter temporairement par un seigneur français qui, sous le nom d’ambassadeur, a autorité sur le gouverneur en place. Le Conseil d’Etat est constitué d’un nombre fluctuant (deux à 14), mais restreint de magistrats, presque toujours des laïcs, surtout des officiers de justice et de finances, nommés à vie et choisis dans des familles bourgeoises de Neuchâtel, plus rarement de Boudry ou du Landeron, qui, à partir du XVIe siècle, se voient reconnaître par le prince la condition de noble. Beaucoup de conseillers d’Etat, ainsi que des officiers civils et militaires, se rendent personnellement auprès du prince (en France), qui a autour de sa personne un conseil particulier pour les affaires de la principauté, de sorte qu’une influence française se manifeste alors à Neuchâtel. Le Conseil d’Etat coiffe l’administration traditionnelle et c’est à partir de lui que se développe une administration centrale incarnée dès le milieu du XVIIe siècle par un chancelier. C’est le Conseil d’Etat qui propose à la nomination du prince les officiers de finances et de justice des circonscriptions (châtellenies et mairies) de la principauté; c’est lui aussi qui les contrôle. Mais les conseillers d’Etat, s’ils ont parfois des responsabilités ministérielles, comme le receveur général des finances, exercent eux-mêmes très souvent des offices de châtelains, de maires ou de receveurs régionaux.
La Caroline influence le droit de la principauté (dès 1532), mais son utilisation n’a jamais été officialisée. Aux XVIe et XVIIe siècles, les usages administratifs du royaume de France marquent fortement ceux de Neuchâtel et le vocabulaire institutionnel. Mais les Orléans-Longueville se montrent très jaloux de leur souveraineté envers Louis XIV et réussissent à éviter que le parlement de Paris ne devienne le tribunal d’appel des causes jugées à Neuchâtel. En 1648, Henri II tente même de faire accepter Neuchâtel comme canton au sein de la Confédération. Pour faciliter l’utilisation à leur profit des revenus du comté, les Orléans-Longueville réunissent en une seule entité des recettes territoriales et créent un office permanent de receveur général. Restés essentiellement ceux d’un grand domaine, les revenus du comté continuent à être perçus en nature. Le vignoble permet l’exportation du vin, transporté par voie d’eau. Les marchands soleurois en sont les principaux acquéreurs et paient en écus d’or au soleil, de sorte que retourne ainsi en France au profit des Orléans-Longueville une partie de l’or versé par le roi aux Suisses. Quant à la monnaie frappée à Neuchâtel par les Orléans-Longueville (frappe réintroduite par Marie de Bourbon en 1589), elle est plus la revendication de leur souveraineté que l’illustration de l’importance économique de la principauté, même si Henri II conçoit le projet d’une ville nouvelle, Henripolis, appelée dans son esprit à prospérer avec la création d’une voie navigable de Rotterdam à Marseille (projet du canal d’Entreroches).

Avers et revers d’un teston avec la tête d’Henri II d’Orléans-Longueville (Musée d’art et d’histoire Neuchâtel, Cabinet de numismatique).
Ce teston du comte de Neuchâtel a été produit en 1631 avec une presse à rouleaux. Ses armoiries aux lys de France et chevrons de Neuchâtel figurent au revers.
La période de la dynastie des Orléans-Longueville, trop effacée des mémoires par le souvenir de l’appartenance de Neuchâtel au roi de Prusse, n’en est pas moins celle de la formation de l’unité territoriale; celle de l’établissement d’une autorité politique forte; celle de réformes administratives, comme la création de la mairie de La Chaux-de-Fonds (1656), qui entraîne dans les Montagnes un découpage parallèle et non plus perpendiculaire aux crêtes du Jura; celle de la suppression de la condition de taillable (1634), qui subsistait par îlots, surtout dans le Val-de-Travers; celle de l’élévation d’officiers civils et militaires d’origine bourgeoise et de leurs descendants à la condition de noblesse; celle enfin d’une distinction marquée entre les autorités civiles et religieuses conforme à la situation d’une principauté qui constituait en Europe une rare exception au principe cujus regio, ejus religio.
La principauté de Neuchâtel entretient avec la Confédération des liens forts grâce à des traités de combourgeoisie, conclus par le souverain, mais aussi la ville de Neuchâtel, Le Landeron et Valangin, avec de nombreuses villes suisses: Fribourg, Berne, Soleure et Lucerne surtout. Les autorités neuchâteloises revendiquent cette appartenance, particulièrement dans les domaines religieux et économiques. Pays allié des cantons, Neuchâtel ne dispose toutefois pas de siège à la Diète. Le droit suisse s’étend à Neuchâtel surtout après l’occupation de 1512-1529. S’il a échoué à faire reconnaître sa principauté comme canton, Henri II obtient en 1657 de Louis XIV un traité d’alliance qui inclut Neuchâtel dans les futurs renouvellements de l’alliance franco-suisse et où il est désigné comme «prince souverain de Neufchastel et Valengin en Suisse».
Au XVIe siècle et au début du XVIIe siècle, le comté est le plus souvent sous l’autorité de femmes – Marie de Bourbon notamment –, exerçant la régence pendant la minorité de l’héritier légitime. Henri II, prince le plus marquant de la dynastie, laisse deux héritiers mâles en 1663: l’aîné Jean-Louis-Charles abdique en faveur du cadet Charles-Paris en 1668; mais celui-ci meurt en 1672. C’est une période trouble qui s’ouvre alors entre les prétendants à la succession, d’abord entre Marie de Nemours, fille d’un premier mariage d’Henri, et Anne-Geneviève de Bourbon, mère et tutrice de Jean-Louis-Charles, devenu dément, puis, après la mort de ce dernier (1694), entre Marie de Nemours et François-Louis de Bourbon, prince de Conti. La succession de Neuchâtel est donc ouverte bien avant la mort, le 15 juin 1707, de Marie, dernière de la dynastie à la tête de la principauté.
Auteure/Auteur: Jean-Daniel Morerod, Rémy Scheurer