Par Aujourd’hui la Turquie
le 13 septembre 2013
Longtemps absente après une longue histoire de plus de deux siècles, la presse francophone en Turquie réapparaît à Istanbul en avril 2005 avec le premier numéro du mensuel Aujourd’hui la Turquie fondé par M. Hussein Latif. Le journal se présente comme l’héritier de cette vieille tradition de presse francophone, véritable trait d’union entre la France et la Turquie, pour une meilleure connaissance de nos deux cultures. Aujourd’hui la Turquie vient de publier son 100e numéro, une formidable occasion de revenir sur ces deux cents ans de presse francophone en Turquie.
Ce journal fut pendant près de vingt ans un organe de presse en langue française, porte-parole semi-officiel de la Porte Ottomane

A l’origine, une presse francophone politique
L’histoire de la presse écrite francophone dans l’Empire Ottoman débute en 1795par la publication de la gazette Bulletin des Nouvelles en langue française sous le règne de Sélim III, à l’initiative d’un envoyé de la République Française au Palais de France à Constantinople, M. Verninhac. Censée informer les marchands levantins francophones et les commerçants français résidant à Istanbul du déroulement des évènements de la Révolution française, cette feuille bien qu’éphémère amorce l’entrée de la presse écrite dans l’Empire ottoman. Ce premier journal a été suivi par trois autres publications jusqu’en 1797 : la Gazette française d’Istanbul, le Mercure Oriental et le Spectateur Oriental. Les exemplaires qui étaient directement tirés dans l’Ambassade de France avaient une audience très limitée et peuvent être seulement considérés comme le stade embryonnaire de la presse écrite politique.
La parution d’un périodique politique voit le jour en 1825, lorsqu’Alexandre Blacque débarque à Smyrne et fonde le Spectateur de l’Orient appelé par la suite le Courrier de Smyrne. C’est en effet autour de Smyrne et non pas de Constantinople que la presse écrite prend son essor, Smyrne et sa région regroupant alors la majeure partie des ressortissants étrangers, essentiellement là pour le commerce. La ville de la côte égéenne connaît un accroissement de la population d’étrangers beaucoup plus important que pour Istanbul jusqu’aux environs de 1855. Cette population s’élève à plus de 4000 personnes en 1844 contre seulement 1000 à Istanbul, selon des estimations données en 1848 par Mgr Jacques Mislin, lors de son pèlerinage en compagnie du futur roi de Belgique vers Jérusalem en passant par l’Empire ottoman.
Vers une information pour les commerçants
La trajectoire politique du Courrier de Smyrne va prendre une tournure particulière avec les évolutions de l’insurrection en Grèce, alors saluée par l’Europe entière. C’est une période où souffle dans les milieux libéraux européens un vent de philhellénisme, qui va jusqu’à porter les voiles de bateaux européens (chargés d’armes et de promesses à destination des insurgés) sur les côtes grecques. Le poète Lord Byron pris d’une errance romantico-philhellène meurt lors du siège de Missolonghi en avril 1824. Dans le même temps, Delacroix peint le célèbre Massacre de Scio. Alors que les positions européennes sont tout à fait philhellènes, Alexandre Blacque attaque sans relâche les prétentions indépendantistes grecques dans les colonnes de son journal. Son attitude lui valut la pleine confiance du Sultan Mahmoud, soutenant et finançant son projet de fondation d’un nouveau journal dans la Capitale : le Moniteur Ottoman en novembre 1831. Ce journal est alors essentiellement destiné à un lectorat francophone ottoman, avec une position foncièrement pro-ottomane. Plusieurs journaux voient le jour dans la région en plus du Courrier de Smyrne. L’Orient est créé en 1838 et un an plus tard c’est au tour de L’Impartial du négociant anglais Edwards de voir le jour, afin de répondre aux demandes de nouvelles économiques, financières et politiques venues d’Orient et d’Occident. Ces journaux constituent un trait d’union dans l’information commerciale de l’Empire avec l’extérieur, une source d’information indispensable pour les affaires entre les centres financiers et chambres de commerces d’Europe et les échelles levantines.
La défense des intérêts ottomans
L’Orient se déplace à Istanbul et devient le Journal de Constantinople, Echo de l’Orient en 1843. Comme ses prédécesseurs, ce journal fut pendant près de vingt ans un organe de presse en langue française, porte-parole semi-officiel de la Porte Ottomane et bien souvent des intérêts commerciaux français. Rédigé par des journalistes et rédacteurs français installés à Istanbul, financé par des capitaux privés étrangers et de négociants levantins, le Journal de Constantinople s’est fait l’écho du point de vue ottoman et des intérêts du gouvernement français (cf. Bibliographie Historique et critique de la presse périodique française d’Eugène Hatin). Les quatre feuilles sortirent sans discontinuer de début 1843 à juin 1866, en changeant à trois reprises de nom. Le premier titre, Le Journal de Constantinople et des Intérêts orientaux publia de janvier 1843 à Juillet 1846, vint ensuite la période d’août 1846 à Septembre 1859 avec pour titre Le Journal de Constantinople, Echo de l’Orient, et pour finir plus sobrement sur Le Journal de Constantinople jusqu’en juin 1866. Le journal eut une ligne éditoriale particulièrement orientée tout au long de sa parution, comme en témoigne le premier éditorial du Journal de Constantinople et des intérêts orientaux rapporté par le spécialiste de la presse turque Gérard Groc dans son étude historique. En 1843, le rédacteur en chef remerciait le Sultan pour « la faveur spéciale qu’a daigné nous accorder sa Hautesse en nous autorisant à continuer dans la Capitale le Journal que nous avons publié à Smyrne, nous impose des obligations, dont nous ne méconnaissons ni l’importance ni l’étendue. Cependant nous avons […] pour unique but de justifier par d’utiles services une pareille marque de confiance. ».
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