Deux textes, extraits de la Bibliographie de la presse de Hatin (1866) et de la Revue orientale et américaine (1859), sur ce qu’il conviendrait d’appeler la presse en Turquie, tant sont nombreuses publications en langues étrangères et en Français.
L’histoire de la presse turque n’est ni vieille ni longue. Les seuls détails, à peu près, que je puisse donner sur son compte sont extraits des Lettres sur la Turquie de M. Ubicini, publiées en 1853.
Le créateur du journalisme en Turquie fut un Français, M. Alexandre Blacque, qui vint, au commencement de 1825, à Smyrne, où il fonda le Spectateur de l’Orient. Toutefois l’idée n’était pas entièrement nouvelle. Verninhac, envoyé extraordinaire du la république française près de Sélim III, en 1795, fit paraître pendant quelque temps une gazette en langue française, qui fut imprimée par ses soins au palais de France, à Pera ; mais cette publication n’eut pas de suite. Vers 1811, pendant la campagne de Russie, l’on imprimait et l’on distribuait également au palais de France des extraits des bulletins de la grande armée à l’arrivée de chaque courrier. Le Spectateur de l’Orient, qui ne tarda pas à prendre le nom de Courrier de Smyrne, fut donc la première feuille périodique et politique qui parut en Turquie, et il exerça, sous ce nouveau titre, une influence marquée sur les événements qui signalèrent la fin de l’insurrection grecque, de 1825 à 1828. Alors que toute la presse en Europe, comme prise d’un accès de vertige irrésistible, applaudissait avec fureur à la récente déclaration de l’indépendance , et appelait de tous côtés à la Croisade contre les Turcs, le Courrier de Smyrne défendit constamment les droits et les intérêts de la Porte.
En 1831, M. Blacque, appelé à Constantinople par le sultan Mahmoud, y fonda le Moniteur ottoman, journal officiel de la Sublime Porte, en langue française, qu’il rédigea jusqu’à sa mort, arrivée en 1836, et qui ne lui survécut que quelques années.
M. Blacque, en quittant le Courrier de Smyrne, l’avait cédé à M. Bousquet-Deschamps, qui en changea de nouveau le nom en celui de Journal de Smyrne. La ville de Smyrne, qui avait été la première à posséder un journal, ne tarda pas à en avoir successivement deux, puis trois, enfin jusqu’à cinq.
Le second fut l’Écho de l’Orient, également en français, créé en 1838 par M. Bargigli, consul général de Toscane, et qui passa plus tard entre les mains de M. Couturier, négociant français.
A quelque temps de là, M. Edwards, ancien collaborateur de M. Deschamp, créa une troisième feuille, sous le titre de l’Impartial de Smyrne, publiée d’abord en anglais, puis en français.
L’Impartial est le seul de ces trois journaux en langue française qui se soit maintenu à Smyrne. Le Journal de Smyrne et l’Écho d’Orient ont été transférés successivement à Constantinople, où ils se sont réunis et n’ont plus formé qu’une seule feuille, paraissant tous les cinq jours, sous le titre de Journal de Constantinople, écho de l’Orient (1846). En revanche quatre feuilles nouvelles ne tardèrent pas à s’établir à Smyrne.
De même à Constantinople, le nombre des journaux s’accrut progressivement à mesure que de nouvelles idées, de nouveaux intérêts se faisaient jour dans le pays. Le gouvernement se montra constamment disposé à favoriser ce mouvement des esprits, si bien qu’en 1862 Constantinople ne comptait pas moins de treize journaux ou feuilles périodiques, dont quatre en français : le Journal de Constantinople, écho de l’Orient ; le Courrier de Constantinople ; le Commerce de Constantinople ; la Gazette médicale. En 1856, il y avait à Constantinople 12 journaux et 4 revues, les uns et les autres plus ou moins politiques et littéraires, parmi lesquels un nouveau journal français, la Presse d’Orient.
Plusieurs autres journaux se publient encore, soit en français, soit dans la langue du pays, à Belgrade, à Beyrout, à Alexandrie, etc.
Enfin la presse périodique a pris en Orient depuis quelques années un développement qui tend toujours à s’accroître. La vente des journaux au numéro, qui dans ces derniers temps s’est si extraordinairement développée dans la plupart des grandes villes, s’exerce même à Constantinople, où elle a été importée par un Anglais. Les Turcs lisent peu de livres, bien qu’ils aient une des langues les plus raffinées du monde, mais ils lisent avidement les journaux.
Nous ne prenons pas d’une manière absolue le nombre des journaux comme un signe de la prospérité, des progrès et des lumières dans un pays : les passions politiques à de certaines époques de l’histoire moderne ont enfanté plus de journaux que la science et le pur amour du bien public; mais on ne peut cependant méconnaître dans ce tableau de la presse périodique de Constantinople le symptôme d’une nouvelle ère intellectuelle, qui tend а changer singulièrement les mœurs et les institutions politiques de cette nation des Osmanlis, si puissante autrefois par son mutisme.
Extrait de Eugène Hatin, Bibliographie historique et critique de la presse périodique française…, Paris, Firmin Didot, 1866
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Documents sur la presse turque au XIXe siècle, 1853 et 1857 – Turquie-culture