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Toussaint Auguste. Les débuts de l’imprimerie aux Iles Mascareignes. In: Revue d’histoire des colonies, tome 35, n°122, premier semestre 1948. pp. 1-26.
DOI : https://doi.org/10.3406/outre.1948.1098
L’introduction de l’imprimerie à l’Ile de France en 1767 constitue, comme on va le voir, un événement bien digne d’attention. A ce moment, en effet, aucun autre pays de l’Océan Indien ne pouvait se vanter d’être, à cet égard, bien en avance sur cette colonie
EXTRAIT
REVUE
D’HISTOIRE DES COLONIES
LES DÉBUTS DE L’IMPRIMERIE
AUX ILES MASGAREIGNES
L’imprimerie aux Colonies
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Par contre, l’introduction de l’imprimerie à l’Ile de France en 1767 constitue, comme on va le voir, un événement bien digne d’attention. A ce moment, en effet, aucun autre pays de l’Océan Indien ne pouvait se vanter d’être, à cet égard, bien en avance sur cette colonie. L’imprimerie laïque n’apparut pour la première fois dans cette région du globe qu’en 1668 lorsque la Compagnie des Indes Hollandaises en installa une à Java. Mais jusqu’au début du xixe siècle cette imprimerie ne fut pas très active. Elle ne servit qu’à l’impression de publications officielles ou religieuses, de quelques almanachs et, à partir de 1744, de trois feuilles commerciales qui n’eurent, chacune, qu’une courte durée. A Ceylan, un matériel assez primitif fut fabriqué en 1729 par un armurier hollandais du nom de Sehadé. Ses premières productions se bornèrent à des extraits de la Bible, en langue cingalaise. En 1736 un nouveau matériel comprenant des caractères romains fut importé de Java mais jusqu’à la conquête anglaise il ne sembla pas avoir servi à autre chose qu’à la publication d’actes officiels et de livres de prières. Quant aux autres pays de l’Océan Indien, ils ne possédèrent une imprimerie laïque que bien plus tard et c’est à tort que les organisateurs d’une exposition d’ « incunables » sud-africains qui se tint à Johannesburg en 1934 ont réclamé pour le Cap l’honneur d’avoir été « the earliest printing centre in the Southern Hémisphère » car ce n’est qu’en 1784 seulement, c’est-à-dire, dix-sept ans après l’Ile de France, que cette ville fut dotée d’une presse dont la production n’est guère impressionnante.
A l’Ile de France il en fut tout autrement. La première presse joua, dès le début, un rôle important. Au début du xixe siècle deux autres imprimeries encore mieux montées la remplacèrent et lorsque cette île devint anglaise en 1810 le chiffre des publications s’élevait à plusieurs centaines, très remarquables tant au point de vue historique qu’au point de vue bibliographique et, dans l’ensemble, encore plus peut-être que celles des Antilles et du Canada français pour la même époque. Voici d’ailleurs, qui permettra d’en juger : de 1767 à 1810 il se publia dans cette colonie, outre un grand nombre de documents officiels, actes administratifs et judiciaires, codes, etc., plusieurs ouvrages d’intérêt littéraire ou scientifique dont quelques-uns furent assez importants pour retenir l’attention de l’Académie des Sciences, une excellente série d’almanachs, commencée en 1769, et pas moins de dix journaux, dont le premier parut en 1773. Parmi ces derniers on compte, notamment, un journal politique, le premier de ce genre à paraître dans cette partie du monde, et deux littéraires. Si l’on tient compte de la petitesse de cette île, de son éloignement de l’Europe, de la lutte presque qu’elle eut à soutenir contre les Anglais, du chiffre peu élevé de sa population européenne, qui n’atteignait même pas 10.000 âmes en 1810, cette réussite n’en paraît que plus étonnante.
Comment s’explique-t-elle ? D’abord par le fait que la population des Mascareignes, bien que numériquement faible, était d’une qualité bien supérieure à celle de la plupart des autres colonies françaises, comme l’a montré naguère Bourde de la Rogerie dans une excellente étude sur le peuplement de ces îles au xviiie siècle x. L’Ile de France, surtout, comptait une véritable élite intellectuelle suffisamment intéressante pour inspirer au botaniste Commerson un projet d’académie encore plus ambitieux que celui des « sociétés de pensée » de Saint- Domingue. Quoique cette île fût surtout commerçante et militaire, l’esprit n’y perdit jamais ses droits et rien ne le démontre mieux que l’étude des publications sorties de ses premières presses.
Autre facteur favorable : alors qu’à Saint-Domingue les premiers imprimeurs furent vus d’un fort mauvais œil par l’administration, à l’Ile de France une attitude plus libérale prévalut ; les imprimeurs ne reçurent pas toujours, il est vrai, du gouvernement l’aide qu’ils réclamaient, ils furent soumis à une censure plutôt sévère qui ne se relâcha que pendant les premières années de la Révolution, les engagements pris avec eux ne furent pas toujours fidèlement tenus, mais ils ne furent jamais brimés ni maltraités et, dans l’ensemble, n’eurent pas trop à se plaindre des administrations qui se succédèrent dans la colonie de 1767 à 1810. Notons, au reste, que c’est l’un des premiers administrateurs royaux, l’intendant Poivre, à qui les Mascareignes sont redevables de tant d’autres bienfaits, qui introduisit la première presse pour servir plus aux besoins de l’administration.