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Depuis la fin du XIXe siècle, la France exalte « ses ancêtres les Gaulois ». C’est pourtant à un autre peuple, venu de Germanie, qu’elle doit son nom. Longtemps désunis, les Francs s’allient au Ve siècle sous l’égide de Clovis, qui leur offre à la fois la gloire, des terres et une nouvelle dynastie.

Par Bruno Dumézil Publié le 24/11/2020 


Capture d’écran | Histoire et civilisations

Vers 510, les Francs ont pour la première fois une monarchie, une dynastie régnante – les Mérovingiens – et même une capitale : Paris.


Pourquoi la patrie de Vercingétorix ne s’appelle-t-elle plus la Gaule ? Et surtout, pourquoi porte-t-elle le nom des Francs, un peuple de langue germanique ? Au début du XXe siècle, alors que la France et l’Allemagne sont à couteaux tirés, la question embarrasse. Le Petit Lavisse, célèbre manuel scolaire utilisé par tous les écoliers depuis sa première parution en 1884, propose une solution simple : « Après son baptême, Clovis devint roi de toute la Gaule. Dans la suite, la Gaule changea de nom. Elle s’appela la France. » En somme, les Francs n’ont pas transformé les Gallo-Romains, mais ils ont été transformés par eux, ce qui les a amenés à changer de coutumes et même de religion. La nation française n’est donc pas le produit d’une invasion germanique ; on doit plutôt la voir comme le résultat d’un brassage qui a permis une transition harmonieuse de l’Antiquité au Moyen Âge.

S’il est aujourd’hui de bon ton de critiquer ce « roman national » construit par des manuels de la Belle Époque, leurs analyses ne sont pas dépourvues d’intérêt. Avant Clovis, l’histoire des Francs manque singulièrement d’éclat. Ce peuple est d’ailleurs une création relativement récente : selon toute probabilité, il apparaît dans la région des bouches du Rhin au cours de la seconde moitié du IIIe siècle.

L’Empire romain connaît alors une crise majeure, et les opportunités de pillage se multiplient pour les peuples assez puissants pour entrer dans les riches provinces des Gaules. Se forme ainsi une confédération de tribus de moyenne importance comme les Ampsivariens, les Bructères ou les Chamaves, qui prennent le nom unitaire de « Francs », ce qui signifie sans doute les « Vaillants ».


Mercenaires de l’Empire

Chaque tribu garde toutefois une large autonomie : pendant deux siècles, il n’y a pas de souverain unique. Les membres de la confédération franque auront d’ailleurs des destinées très variées. Au IVe siècle, certains continuent de combattre l’Empire, tandis que d’autres passent dans le monde romain pour servir comme mercenaires. Plusieurs officiers francs font d’ailleurs de belles carrières au sein de l’Empire, et une demi-douzaine parvient au consulat.

Le plus ambitieux de ces officiers francs, Arbogast, dirige toute l’armée romaine d’Occident au début des années 390. Dans ce cadre, beaucoup de Francs connaissent un processus de romanisation ; ils reçoivent la citoyenneté romaine et se convertissent au christianisme, qui est alors la religion officielle de Rome. Certains ne savent plus trop où ils en sont, et une inscription latine d’Aquincum (l’actuelle Budapest) nous transmet les doutes d’un homme qui écrit : « Je suis citoyen franc, mais soldat romain quand je porte les armes. »

Au Ve siècle, alors que l’empire d’Occident se délite, ceux que l’on appelle les « Francs » sont avant tout les soldats de métier qui gardent les provinces du nord de la Gaule. Au nom de Rome, officiellement, même s’ils n’hésitent pas à piller les territoires ou à prêter leur force au plus offrant ; mais les derniers généraux romains font de même. Dans l’ensemble, les Francs demeurent fidèles à l’Empire. En 451, ils aident ainsi l’empereur Valentinien III à repousser une invasion menée par Attila.

Toute l’ambiguïté de cette situation est illustrée par la tombe du roi Childéric, mort à Tournai vers 481 : le souverain fut inhumé avec un costume de général romain, mais il était entouré de chevaux sacrifiés à la mode germanique. Romain ou barbare ? Les hésitations existent dans tous les camps. Au même moment, un certain Aegidius, général romain installé à Soissons, n’hésite pas à s’intituler « roi des Francs », peut-être parce que ses troupes sont essentiellement composées de barbares.


Clovis conquiert la Gaule 

Autour de 500, les Francs demeurent toujours désunis, mais un de leurs dirigeants, Clovis, entreprend de conquérir la Gaule. Ses troupes s’emparent de la Picardie, du nord de la Bourgogne et de la moyenne vallée du Rhin. En 507, Clovis obtient un succès décisif en envahissant l’Aquitaine wisigothique, qui s’étendait du sud de la Loire aux Pyrénées.

Fort de la gloire et des richesses obtenues, Clovis réussit à abattre tous les autres rois francs. Vers 510, les Francs ont pour la première fois une monarchie, une dynastie régnante – les Mérovingiens – et même une capitale : Paris. Clovis a aussi fait le choix de se convertir à la religion catholique, sans que son geste n’ait en son temps suscité un grand intérêt ; beaucoup de chefs francs étaient déjà chrétiens ou avaient de bonnes relations avec les catholiques. En somme, aucun contemporain ne pense à faire du baptême de Clovis la date de naissance de la France ! À la mort de Clovis en 511, son royaume est divisé entre ses quatre fils, qui récupèrent chacun un royaume.

Les historiens du XIXe siècle n’auront pas de mots assez durs pour ce partage qui leur semble contraire aux principes de la France « une et indivisible ». Ne soyons pas dupes sur les fondements de cette légende noire.

Certes, les héritiers de Clovis ne sont rebutés ni par les assassinats familiaux, ni par les guerres civiles. Pourtant, la dynastie parvient à se maintenir sur le trône pendant trois siècles. Et elle contrôle un territoire immense. Dans les années 530, les Francs ont en effet annexé le royaume burgonde (à savoir la Bourgogne, le Lyonnais et la région de Genève), puis obtenu des Ostrogoths la cession de la Provence. Par la suite, ils ont conquis la Thuringe, l’Alémanie, la Hesse et la Bavière. La Saxe et l’Italie du Nord leur paient tribut. De la mer du Nord au Danube et des Pyrénées aux confins du monde slave, on est en terre franque.

La clé du succès réside dans ces fameux partages successoraux : avec plusieurs rois, la dynastie mérovingienne peut agir au plus près du terrain. Les partages présentent d’ailleurs des logiques administratives. Chaque souverain reçoit des régions abritées, qui fournissent hommes et ressources, et des frontières actives, qu’il peut défendre, voire étendre. Et comme chacun sait qu’il faut descendre de Clovis pour monter sur le trône, l’aristocratie n’aurait rien à gagner à un coup d’État.


Le succès des Mérovingiens

Par ailleurs, le système de succession ne risque pas d’émietter le royaume. Contrairement à une légende tenace, chaque fils de roi mérovingien n’a pas droit à une part du territoire paternel : il ne peut y avoir que trois ou quatre rois en même temps, et les princes surnuméraires sont envoyés soit au monastère, soit au cimetière.

Ajoutons que l’improvisation règne en maître. Le roi défunt n’a pas de fils ? Ses territoires sont transférés à un cousin. Il n’a pas de cousin ? Un bâtard fera aussi bien l’affaire. Et lorsque la dynastie risque de s’éteindre, les Francs sont prêts à fermer les yeux sur des situations assez ahurissantes : en 584, à la mort du roi Chilpéric, un bébé de provenance incertaine est intronisé à la va-vite ; les Grands jugent que c’est bien un descendant de Clovis.

Au-delà de ces stratagèmes, les Mérovingiens jouissent d’une réelle popularité. Ils protègent l’Église et fondent des monastères. La piété de plusieurs reines leur vaut de mourir en réputation de sainteté ; tel est le cas de Clotilde, de Radegonde ou de Bathilde, respectivement veuves de Clovis, de Clotaire Ier et de Clovis II. La couronne dispose souvent d’excellents ministres ; la chanson ne se trompe pas en faisant de saint Éloi un remarquable conseiller du roi Dagobert.

Évidemment, ce monde franc n’est pas la France. Pour que celle-ci apparaisse, il faut un drame qui brise l’unité entretenue par Clovis et ses héritiers. La faute en revient à la famille de Charlemagne : en échouant dans leur projet d’empire universel, les Carolingiens sont responsables de la naissance des États médiévaux.

Auteurs : Par Bruno Dumézil

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