Dominique BRIQUEL
Université de Paris IV
dominique.briquel@paris-sorbonne.fr

Essentiellement élaborée dans la région entre Rhin et Loire, l’écriture  caroline se répandit tout d’abord dans une zone d’unité plus culturelle que politique : la Francia, avec les scriptoria de Reims, Metz, Corbie, Fleury, Lyon, puis dans les zones périphériques de l’empire


EXTRAIT

4. LA MINUSCULE CAROLINE.
C’est la convergence et la conjonction de toutes ces recherches de clarification et d’harmonisation graphique qui vont aboutir à la formation d’une écriture simple, claire, nouvelle non dans ses formes, qui sont une synthèse de modèles préexistants, mais dans son caractère universel : la minuscule caroline. Avec elle renaît, dans les premières décennies du VIII° siècle, l’unité graphique de l’occident, unité qui avait disparu depuis la chute de l’empire romain (pl.15). La plupart des paléographes se sont jusqu’ici épuisés à rechercher l’origine géographique de cette nouvelle écriture. En réalité elle résulte de la mise au point, de la sélection et de l’harmonisation de formes préexistantes, qui se produisirent dans le cadre monastique européen, où la discipline portait à la recherche de la simplicité et de la perfection d’un instrument d’usage universel, et à la faveur de la renaissance intellectuelle du temps de Pépin le Bref et de Charlemagne. Savoir où, quand et par l’œuvre de qui cette écriture s’est formée est donc une fausse problématique. Par une fusion intime des activités d’écriture livresque et documentaire, la minuscule caroline s’imposera, grâce à sa simplicité et son équilibre, comme l’écriture unique et universelle dans tout l’occident, au moyen-âge et jusqu’à nous.

La morphologie de l’écriture caroline se ressent très fortement de la perte de conscience d’une écriture véritablement usuelle, cursive , un phénomène qui persistera au moins jusqu’au XIV° siècle : absence de ligatures, tracé de chaque lettre comme un dessin isolé et complet, divisé en temps et en séquences que l’on doit nécessairement inscrire suivant un ductus défini, un ordre et un sens préétabli et obligatoire. Deux seules ligatures subsistent, st et et, que l’on retrouvera , la première jusqu’au XVIII° siècle, la deuxième dans la typographie commerciale et anglosaxonne, jusqu’à nos jours (pl.16). L’écriture caroline se caractérise donc par son aspect arrondi, l’équilibre entre le corps des lettres et les hastes montantes et plongeantes, l’espacement des lettres et des mots, et l’absence quasi-totale des abréviations. Cette écriture va se répandre dans toute l’Europe mais avec une rapidité diverse suivant les régions :

1° dans les territoires faisant partie de l’empire de Charlemagne : essentiellement élaborée dans la région entre Rhin et Loire, l’écriture  caroline se répandit tout d’abord dans une zone d’unité plus culturelle que politique : la Francia, avec les scriptoria de Reims, Metz, Corbie, Fleury, Lyon, puis dans les zones périphériques de l’empire, germaniques et helvétiques (Rhétie), avec les scriptoria de Lorsch, Trèves, Cologne, Salzbourg, Mayence, Fulda, Reichenau et Saint-Gall. En Italie du nord, où une multitude de tentatives d’unification graphique avaient eu lieu tout au long du VIII° siècle, les grands centres intellectuels adoptèrent la caroline dès la fin du siècle : Vérone, Bobbio, Lucques,Novare, Nonantola, Verceil et bien d’autres églises dont l’activité fut très florissante.

2° hors des territoires de l’empire : en Italie du sud l’adoption et l’évolution de l’écriture caroline prirent des orientations plus typées, dans des villes antiques et puissante telles que Gaète, Naples, Amalfi, Sorrente, Vietri, Tarente, et surtout l’abbaye du Mont-Cassin, mais un peu plus tard en raison de la concurrence de l’écriture bénéventaine et aussi à cause des multiples destructions sarrasines que ces régions eurent à subir. En Espagne, il faudra attendre la réforme liturgique du pape Grégoire VII promue par les Clunisiens et les évêques de Gaule, à la fin du X° siècle, pour voir dominer l’écriture caroline dans les manuscrits : la position de ce pays était très comparable à celle de l’Italie ; totalement pénétrée de culture latine et de pratique de l’écrit, elle fut victime de l’occupation arabe qui interrompit le développement normal de son activité intellectuelle et artistique. Après la réforme grégorienne et la suppression du rite mozarabe, la minuscule caroline put enfin dominer partout, favorisée par une décision du concile de Léon en 1090. En Angleterre enfin, c’est aussi la réforme grégorienne et l’influence de Cluny qui viendront à bout des particularismes graphiques, avec la réforme religieuse du roi Edgard (fin X° siècle), en liaison avec l’abbaye de Fleury (Saint-Benoit sur Loire), complétée par la conquête du pays par Guillaume le Conquérant (1066). Désormais la vieille écriture insulaire se retranche en Irlande où elle vécut plus
longtemps.

Le seul domaine où l’écriture mérovingienne résista plus longtemps est celui des chancelleries, royale et locales, milieux éminemment conservateurs et cléricaux, surtout sous les carolingiens. L’écriture mérovingienne s’y maintient donc, avec ses artifices diplomatiques, mais lisible, de plus en plus claire et même élégante, jusqu’au temps de Charles le Chauve, dans les dernières décennies du IX° siècle, puis supplantée par la caroline.

C’est à cause du succès universel et de la pérennité de la minuscule caroline que l’on peut dire qu’à partir des temps carolingiens l’écriture latine n’a plus d’histoire. Désormais on ne parlera plus que d’évolution, de péripéties, d’accidents de la mode. Le processus d’unification de la caroline atteint son terme au XI° siècle, quand la chancellerie pontificale se sera enfin décidée elle aussi à l’adopter, mais son âge classique se situe vers la fin du IX° siècle et elle se maintint sans grands changements jusqu’au XI° siècle : une stabilité graphique qui pose, parfois de manière aiguë le problème des datations. Au XI° siècle, l’écriture est plus soignée, les lettres plus étroites et resserrées, les hastes montantes sont fourchues ou en bannière, les jambages sont pourvus d’empattements à la base, le e cédillé remplace définitivement la diphtongue ae, les abréviations deviennent plus fréquentes. On sent un plus grand souci d’économie dans l’écriture (pl.17) : manuscrits utilitaires, mais aussi manuscrits plus élégants, mieux décorés, miniaturés avec élégance.

 

 

 

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