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L’écriture caroline : un outil de transmission

La minuscule caroline, qui naît à la fin du VIIIe siècle au cœur du royaume franc, est incomparablement plus fonctionnelle

La volonté des carolingiens de simplifier et d’unifier l’écriture dans tout le royaume aboutit, après un lent processus, à imposer la minuscule caroline dans toute l’Europe occidentale dès le second quart du IXe siècle. Cette écriture unique, promise à devenir universelle, atteint une perfection inégalée vers le milieu du siècle.

Les graphies anciennes, utilisées jusqu’à la fin du VIIIe siècle environ, présentaient en effet des inconvénients majeurs. L’écriture mérovingienne, en lettres majuscules, était trop longue à copier ; et les écritures onciale et semi-onciale latines étaient difficiles à déchiffrer à cause de leurs ligatures compliquées et de leurs spécificités régionales, qui les rendaient incompréhensibles aux étrangers. La minuscule caroline, qui naît à la fin du VIIIe siècle au cœur du royaume franc, est incomparablement plus fonctionnelle que ces deux écritures : à la fois plus lisible et plus facile à reproduire, elle s’impose en quelques années, amenant avec elle de nouvelles pratiques.

La caroline est conçue à partir de 770 par les scribes de la chancellerie chargés de la rédaction des actes royaux et de leur diffusion dans tous les territoires. Elle trouve très rapidement un écho dans les grands scriptoria, celui de Corbie d’abord, dès l’abbatiat de Maurdramne (772-781), puis celui du Palais, où le poème que Godescalc dédie à Charlemagne est copié en caroline dès 781-783.
 


Corbie : un scriptorium particulièrement novateur


Saint Jérôme, Commentaire sur Isaïe, Livres 1-18
Frontispice et incipit avec initiale E ornée
Corbie (?), 2e moitié ou fin du VIIIe siècle
BnF, Manuscrits, Latin 11627 fol. 1v
Le format inhabituel du volume et la fameuse écriture « ab » utilisée pour sa copie rattachent ce recueil à l’un des plus anciens groupes de manuscrits copiés pour Corbie. Caractéristique de l’art mérovingien, la page frontispice, où le titre s’inscrit sous une double arcature, donne un bon exemple de l’illustration des livres avant 800.

 

L’abbaye de Corbie est depuis le milieu du VIIIe siècle un foyer d’étude exemplaire. Elle dispose de l’un des plus importants scriptoria monastiques, qui travaille pour la bibliothèque de l’abbaye et pour d’autres institutions. Plus de huit cents manuscrits copiés dans cette abbaye nous sont parvenus ; le grand nombre de volumes conservés permet une analyse paléographique unique des écritures successives utilisées à la fin du VIIIe et au début du IXe siècle.

Le premier type, dit « e-n-a », est encore une écriture mérovingienne. Le second, pratiqué entre 751 et 768, présente une forme de précaroline. La célèbre écriture « ab » figure dans trente-cinq manuscrits passés par Corbie. Il s’agit d’une écriture précaroline, qui rappelle fortement l’écriture de chancellerie mérovingienne ; employée depuis la fin du VIIIe siècle jusque dans les années 820, son emplacement, ses acteurs comme son origine véritable restent encore énigmatiques.  Une caroline aux traits parfois archaïques, mais marquée par un évident souci de clarté, apparaît sous l’abbatiat de Maurdramne (772-781). Sa révision de la Bible en est le plus ancien exemplaire datable. Un bon exemple de cette première caroline, avec ses a ouverts, ses nombreuses ligatures rt, st, et et ra, est fourni par l’ouvrage d’Alcuin (les Questions sur la Genèse et les Lettres), réalisé à Corbie entre 798 et 817-820.

C’est également à cette époque que le scriptorium de Corbie joue un rôle important dans la naissance et la maturation de nouvelles pratiques d’écriture, comme le point d’interrogation, qui apparaît simultanément ici et dans d’autres ateliers contemporains. Ce système de ponctuation est bien plus satisfaisant pour la compréhension des textes que la simple indication des pauses, pratiquées par les scribes de la Basse Antiquité et du Haut Moyen Âge.

Enfin, dans le troisième quart du IXe siècle, l’écriture pratiquée à Corbie est une minuscule harmonieuse et parfaitement proportionnée, qui intègre les aspects les plus novateurs de l’écriture caroline ; sa perfection est presque typographique. Homogène et claire, elle introduit aussi la séparation entre les mots, qui facilite grandement la lisibilité.


Les scriptoria de la Loire

Dans la région de la Loire, avant même l’avènement de la dynastie carolingienne, les scribes pratiquaient une sorte de « cursive améliorée » qui, comme son nom l’indique, est émaillée de traits cursifs, mais présentait déjà quelques caractères de l’écriture caroline.

Déplorant dans une lettre datée de 799 la « rusticité » des scribes tourangeaux, Alcuin entreprend ensuite de réformer l’écriture à partir de modèles antiques. Il remet à l’honneur les différents styles calligraphiques pratiqués dans l’Antiquité, et s’efforce d’établir une hiérarchie entre la capitale, la capitale rustique, l’onciale et la semi-onciale, et de perfectionner la cursive améliorée. Il introduit, par ailleurs, l’usage systématique de la ponctuation, pour des raisons à la fois esthétiques et grammaticales. Afin de fournir des exemples concrets aux scribes, il fait venir des livres d’Angleterre où le souvenir de l’Antiquité ne s’était jamais réellement estompé.

Copiés par cinq mains différentes, les Évangiles de Saint-Martin de Tours réalisés vers l’an 800 offrent un excellent aperçu de la diversité des styles d’écriture pratiqués à Tours et des réformes calligraphiques menées par Alcuin. Bien que certains passages soient écrits en une cursive embellie qui présente de nombreux traits archaïques hérités de l’époque mérovingienne, on observe un réel effort d’embellissement de l’écriture. Celui-ci est en particulier perceptible à travers l’emploi d’une minuscule régulière et aérée, de signes de ponctuation et de styles d’écriture variés (capitale, onciale et semi-onciale), même si la hiérarchie entre ces différents styles n’est pas encore respectée, comme à la période suivante.

Ce renouveau de l’écriture se confirme sous les abbatiats successifs de Fridugise, d’Adalard et de Vivien, donnant naissance à ce qu’on appelle le « regular style ». Celui-ci atteint sa pleine maturité sous les deux derniers abbés, après une longue période de transition durant laquelle certaines habitudes anciennes, notamment certains traits cursifs, persistent encore. Ce nouveau style se caractérise entre autres par l’élaboration d’une minuscule aux formes parfaites, le respect systématique de la hiérarchie entre les différents types d’écriture et le recours fréquent à l’écriture semi-onciale pour certaines parties du texte, l’utilisation d’un nouveau style de réglure et d’une nouvelle méthode de ponctuation.


Évolution de la Caroline

À partir du XIIe siècle, la caroline décline lentement, pour laisser la place, au XIIIe siècle, à l’écriture gothique, plus anguleuse. Mais elle est reprise par les humanistes de la Renaissance, et réadaptée pour les premiers caractères d’imprimerie. La caroline a marqué les débuts d’une véritable unification de la graphie. Aujourd’hui encore, nous bénéficions de l’influence de cette normalisation dans la structure de nos minuscules.


http://expositions.bnf.fr/carolingiens/arret/06_1.htm


 

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