Titre : Le miracle capétien / sous la dir. de Stéphane Rials Éditeur : Perrin Date d’édition : 1987 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k48089113


  1. AUX ORIGINES DE LA FORTUNE CAPÉTIENNE : L’HÉRITAGE MÉROVINGIEN ET CAROLINGIEN
    1. L ’attachement au principe dynastique
    2. L’exaltation du titre royal
    3. Le ministère royal et les engagements du sacre
AUX ORIGINES DE LA FORTUNE CAPÉTIENNE : Le ministère royal et les engagements du sacre (pages 35 – 39)
Jacqueline THIBAUT-PAYEN

« Cette limitation volontaire que les rois acceptent scelle définitivement l’orientation de la monarchie : défense des églises, fidélité à l’égard des grands et du peuple, respect de la justice et maintien de la paix »

Lors du changement dynastique de 751, l’introduction du sacre auréole définitivement le titre royal. La catholicité des rois mérovingiens, si importante pour le prestige de la royauté, n’était pas seulement une adhésion personnelle au symbole de Nicée. Cela imprégnait la fonction qui se conformait de plus en plus à l’idée que les doctrinaires ecclésiastiques s’en faisaient. De grands évêques n’hésitaient pas à s’instituer pédagogues pour enseigner aux rois la piété et l’humilité qui doivent éclairer leur responsabilité de princes chrétiens. Cette tradition inaugurée par saint Remi fut illustrée notamment par Aurélien d’Arles à l’égard de Théodebert Ier.

Grégoire de Tours nous a conservé les termes de son exhortation à Chilpéric : « Si l’un de nous, ô roi, a voulu s’écarter du sentier de la justice, il peut être ramené par toi dans le droit chemin ; mais si c’est toi qui t’en écartes, qui te reprendra ? Nous te parlons et, si tu le veux, tu nous écoutes ; mais si tu ne le veux pas, qui te condamnera, si ce n’est Celui qui a déclaré qu’il est la justice ? » Cette considération de l’épiscopat est tout à fait remarquable parce qu’elle dissipe la vision moderne d’une monarchie sans lustre et sans but. A Rome, le pape Grégoire le Grand lui-même, pourtant élevé dans le climat de la reconquête byzantine, s’il n’est pas aussi révérencieux, n’a pas à l’égard des royautés barbares (franques et wisigothiques depuis leur conversion) l’attitude méprisante qu’on a coutume de lui prêter. Au demeurant le mot ministerium apparaît au IVe concile de Tolède (633) ; une invention qui fera fortune puisque tous les écrivains carolingiens insisteront sur l’importance de la fonction royale.

L’idéal de justice, de paix, de concorde et d’unanimité que doit réaliser le roi, et qui sera véhiculé par les capitulaires, procède du programme de gouvernement proposé par Alcuin à Charlemagne, la veille du couronnement impérial, pour remédier aux troubles que traversaient l’Eglise et la société. Sous Louis le Pieux, le même rôle sera rempli par l’évêque d’Orléans, Jonas, qui ordonnera, dans son De institutione regia, le sens du ministère royal autour de deux pôles : assurer la défense des églises et des faibles, gouverner avec équité et justice.

Avec le partage de Verdun (843) et les crises qui suivent la difficile élaboration de ce traité, la responsabilité du roi, influencée par les circonstances politiques, prend un tour différent. Nithard, donnant un tableau frappant de la désagrégation engendrée par les luttes des fils de Louis le Pieux entre eux, ne dénonce-t-il pas la folie qu’il y a à négliger l’intérêt public ? « Au temps de Charlemagne […] comme le peuple marchait dans une voie droite, […] la paix et la concorde régnaient en tous lieux ; mais, à présent, au contraire, comme chacun suit le sentier qui lui plaît, de tous côtés les discussions et les querelles se manifestent. » Sentiment identique chez Loup de Ferrière qui souhaite que le roi mette fin aux tensions anarchiques : « Que tous aient la notion que la commune utilité et l’intérêt général vous sont chers entre tout, pour que tous s’efforcent à l’envie de vous préférer à eux-mêmes. »

Mais pour ce faire il ne s’agit plus d’imposer — cela n’est guère possible — mais de composer. Charles le Chauve, maître de la Francia occidentalis, s’engage dans cette voie pour assurer la paix. Il inaugure une politique contractuelle tant avec ses frères Lothaire et Louis qu’avec les grands laïcs et ecclésiastiques. Par ces accords, ces convenientiae, qui, d’esprit romain, procèdent des institutions aquitaines et doivent sans doute beaucoup à Hincmar de Reims, Charles le Chauve s’affranchit de l’emprise épiscopale qui avait pesé trop fort sur le règne de Louis le Pieux.

Jusqu’aux accords de Coulaines (843), tout l’effort de l’Eglise tendait à moraliser la fonction royale. A partir de cette date, l’accent est mis sur le rôle d’arbitre, de garant de la stabilité. Chacun dans la société doit respecter la loi divine et les lois humaines pour autant que celles-ci sont justes. Et le roi, le premier, doit s’effacer devant leur autorité ; Charles le Chauve ne promet pas autre chose à Coulaines : « J’accorde que, Dieu m’aidant, je respecterai la loi particulière de chacun, telle que l’ont connue ses ancêtres au temps de mes prédécesseurs. » Une nouvelle étape est franchie : le roi doit être le serviteur de la loi.

Ce même esprit inspire l’engagement du sacre que Charles le Chauve est le premier roi à prêter en 869 sous l’égide de l’archevêque de Reims. Qu’il s’agisse, à l’origine, d’une promesse (M. David) ou d’un serment (E. Magnou-Nortier), il sera repris par tous les Capétiens (exception faite pour Louis XVIII), et cette limitation volontaire que les rois acceptent scelle définitivement l’orientation de la monarchie : défense des églises, fidélité à l’égard des grands et du peuple, respect de la justice et maintien de la paix. C’est pourquoi on doit souscrire à l’appréciation d’E. Magnou-Nortier : « Charles est le premier […] à fonder une monarchie qui, à la différence de la royauté mérovingienne et de la monarchie impériale carolingienne, si éphémère, devait traverser neuf siècles. Il faut redonner à ce règne toute la portée qu’il possède dans notre histoire. »

En effet, la fonction des premiers Capétiens se définit dans la droite ligne du ministère royal carolingien. Abbon de Fleury, contemporain de Hugues Capet, cite dans sa collection canonique un canon du concile de Paris de 829, inspiré par Jonas d’Orléans : « La justice du roi, c’est de n’opprimer injustement qui que ce soit, […] d’être le défenseur des étrangers, des pupilles et des veuves, de réprimer les vols, punir les adultères […] défendre les églises, nourrir les pauvres par des aumônes […] vivre en Dieu pour tout. » Mais à l’instar aussi des conseillers de Charles le Chauve, il s’inquiète de l’insubordination des grands : « Comme la fonction du roi est de régler jusqu’au bout les affaires du royaume, comment pourra-t-il pourvoir à de telles tâches si les évêques et les grands ne sont pas d’accord avec lui ? Comment exercera-t-il sa fonction si les grands du royaume ne lui fournissent pas, par l’aide et le conseil, l’honneur et le respect qui lui sont dus avec toute la reverentia ? »

De ce voyage en pays franc, une leçon s’impose : le désir et le sens de la continuité. Par souci de légitimer leur pouvoir, mais aussi par admiration, les trois races royales chercheront à se rattacher à leurs prédécesseurs. Peut-être la progressive exaltation du nomen royal, qui acquiert un éclat quasiment aussi grand que le titre impérial, explique-t-elle ce culte des devanciers qui apparaît très vite chez les Carolingiens, puis chez les Capétiens. Les Mérovingiens mêmes en avaient usé. Ainsi Théodebert, petit-fils de Clovis, frappait des monnaies à son effigie, rompant avec le monopole impérial. Les Carolingiens utiliseront très tôt les noms royaux mérovingiens Clotaire et Clovis qui deviendront respectivement Lothaire et Louis. Et on connaît la fortune de ce grand nom royal jusqu’à la Révolution.

Ce même désir de fusion historique se traduit également par le rattachement généalogique à la dynastie précédente, cela dès le règne de Louis le Pieux où cette fiction connaît un vif succès. Les Capétiens à leur tour, mais avec plus de vérité, se flatteront du reditus ad stirpem Karoli. Sans attendre son expression définitive au XIIIe siècle, Hugues Capet et son fils ne magnifieront pas l’importance de l’élection de 987 pour mieux se considérer comme les continuateurs des Carolingiens et bénéficier du prestige royal attaché à la seconde race. Peut-être une réflexion instinctive et viscérale sur le pouvoir, sur les conditions de sa durée, les conduit-elle assez vite, après avoir supplanté les rois précédents, à rehausser leur image ; ce qu’un sociologue pourrait appeler la théorie de la paternité politique adoptive.

Quoi qu’il en soit, la filiation politique et religieuse est indubitable, et les Capétiens continueront l’œuvre de Clovis, Charlemagne et Charles le Chauve.

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