
https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb303873618
AVANT-PROPOS
Les Archives angevines de Naples, et surtout la série des 378 volumes connus sous le nom de Registres angevins, sont comptées ajuste titre parmi les plus précieuses collections qui soient en Italie. Elles occupent incontestablement le premier rang à côté des Archives du Vatican, pour la période qui s’étend depuis l’avènement de Charles d’Anjou, en 1265, jusqu’à la mort du roi Robert, en 1343. Malheureusement l’usage de ces archives est entravé par une confusion souvent extrême. Les difficultés deviennent surtout très grandes si l’on s’en prend aux plus anciens registres, à ceux qui remontent au règne de Charles 1er . Or, ces premiers registres, si pénibles à manier, sont, en même temps, les plus curieux à étudier sous le rapport de la diplomatique et de la paléographie, et, par leur contenu, les plus intéressants de beaucoup au point de vue français.
Soumettre ces premiers registres à un examen minutieux ; analyser fragment par fragment les volumes actuels et, à l’aide de ces fragments ainsi reconnus , reconstituer dans leur état primitif les anciens registres tels qu’ils existaient au treizième siècle ; puis , ces registres primitifs étant restitués , les grouper et les comparer entre eux afin d’établir les règles et les habitudes suivies par la chancelle rie angevine ; exposer , d’antre part, les principes d’administration en vigueur dans le royaume de Sicile et montrer les rapports de ces principes avec les règles qui ont présidé à la formation des registres ; enfin, compléter cette étude spéciale des registres de Charles Ier par des notions sommaires embrassant le reste de la collection : telles sont les grandes lignes de ce travail.
Puisse-t-il attirer l’attention des érudits, surtout des érudits français , sur un tel trésor de documents ! Puisse-t-il, en facilitant l’emploi, contribuer à faire éclore un jour quelque grand, ouvrage consacré à l’histoire de la Maison d’Anjou à Naples, histoire aussi glorieuse pour la France, patrie d’origine du roi Charles Ier et de ses descendants, que pour l’Italie, leur patrie d’adoption !
PREMIÈRES PAGES DE L’INTRODUCTION
HISTOIRE DES REGISTRES ANGEVINS DEPUIS LE TREIZIÈME SIÈCLE JUSQU’A NOS JOURS. — ÉTAT ACTUEL DE LA COLLECTION.
La collection des Registres angevins (Registri angioini) conservée dans les archives de Naples doit être rangée parmi les plus importants recueils de documents que nous ait légués le moyen âge. Commençant au dernier tiers du treizième siècle et s’étendant jusqu’aux premières années du quinzième, cette collection est une source d’une valeur hors ligne pour l’histoire de l’Italie méridionale durant plus de cent cinquante ans. Géographes, historiens ou généalogistes, tous les érudits qui se sont occupés du royaume de Naples l’ont mise largement à contribution en y puisant de précieuses indications. Summonte, Ammirato, Giannone, Tutini, Borrelli, G. de Lellis, Giustiniani, pour ne citer que les plus importants, et, parmi les auteurs modernes, MM. de Saint-Priest, Amari, G. del Giudice, Minieri-Riccio et Caméra y ont cherché les principaux éléments de leurs travaux et ne cessent d’en invoquer l’autorité lorsqu’ils étudient les règnes de Charles I er d’Anjou et dé ses successeurs jusqu’à la reine Jeanne II.
Les Registres angevins ont essentiellement le caractère d’archives administratives. Ils sont donc, avant tout, précieux pour les annales particulières du royaume, l’étude des institutions, la biographie des princes et des grands personnages , la généalogie des familles illustres. Mais leur intérêt ne s’arrête pas aux limites de la monarchie angevine. Tout au contraire , il dépasse les frontières d’Italie pour toucher en quelque sorte le monde du moyen âge tout entier. Ainsi les relations de la chrétienté avec l’Orient y occupent une place importante, aussi bien que les rapports de la maison d’Anjou avec le Saint-Siège et les Républiques de Toscane, les luttes contre l’Aragon et l’Empire d’Allemagne, ou l’intervention de Charles II et de Robert dans la querelle des Guelfes et des Gibelins. On peut y étudier, sous de nouveaux aspects, la dernière croisade de saint Louis devant Tunis , les négociations diplomatiques avec les souverains musulmans, l’occupation de Corfou, de l’Albanie, de la Roumanie par les troupes napolitaines ou les suprêmes efforts pour maintenir en Terre-Sainte l’influence chrétienne.
C’est surtout au point de vue français que les Registres angevins doivent attirer notre attention. A cet égard, la collection est d’une extrême richesse et occupe un rang tout à fait exceptionnel parmi les archives d’Italie. Actes administratifs concernant la Provence et l’Anjou, lettres adressées aux rois de France, réclamations portées devant le Parlement de Paris, pièces écrites en langue française nous montrant les coutumes, les habitudes de la patrie transportées par les conquérants dans le royaume de Naples : tels sont, avec bien d’autres, les documents que l’on y rencontre en abondance.
Il faut dire, toutefois, que ce caractère, si attachant pour l’érudit français, ne tarde pas à s’affaiblir, à mesure que le temps relâche peu à peu les liens qui existaient entre la Maison royale de France et la branche d’Anjou établie à Naples. Mais, dans les vingt premières années qui ont suivi la conquête, pendant tout le règne de Charles Ier, l’influence française est absolument prépondérante. Elle se fait sentir alors, d’une manière accentuée, jusque dans les registres ou dans les fragments de registres qui sont le plus exclusivement consacrés au royaume de Sicile. En effet, les fonctionnaires, les officiers de toute classe, les gens d’armes, les possesseurs de fiefs et même les simples bourgeois, mentionnés dans ces actes, sont, dans une proportion très considérable, des compatriotes du roi, venus avec lui de toutes les provinces de la France, aussi bien du Nord et de l’Est, de la Picardie, de l’Ile-de-France, de la Champagne, de la Lorraine, de la Bourgogne, que du Centre et du Midi, de l’Anjou et de la Provence. En relevant les noms qui se lisent sur les Registres angevins du temps de Charles Ier , on peut reconstituer la liste, et bien souvent la biographie, de presque tous ces Français qui ont contribué à l’établissement et à la prospérité de la monarchie angevine, depuis les chefs, les Montmorency, les Joinville, les Vaudemont, les Brienne, les Beaumont, les l’Isle-Jourdain, etc., jusqu’aux simples hommes d’armes, jusqu’aux derniers serviteurs de la maison du roi. Il y a là une immense mine de renseignements nouveaux, qui est restée, on peut le dire , à peu près complètement inexploitée. A cet égard, ou ne saurait mieux comparer les registres de Charles Ier qu’à ce que seraient, si elles existaient encore aujourd’hui, les archives des rois de Jérusalem au douzième siècle et des barons de Terre-Sainte. Et, puisque les noms de Jérusalem et de la Terre-Sainte se présentent à nous, nous ajouterons encore que ces premiers Registres angevins se rapportant au règne du fondateur de la dynastie , qui sont les plus précieux au point de vue français, sont aussi les plus intéressants pour l’histoire de l’Orient latin.
Il suffit du reste, pour apprécier, dans son ensemble, la valeur de la collection des Registres angevins, de jeter les yeux sur les publications et les analyses de pièces éditées par Minieri-Riccio et del Giudice, ou sur les travaux des divers auteurs rappelés plus haut. D’autre part, en parcourant l’ouvrage de Schultz : Denkmàler der Kunst des Millelalters in Unter Italien, dont un volume entier est consacré aux pièces extraites des Archives angevines , on peut voir quelle est leur importance capitale en ce qui concerne l’histoire de l’art dans le midi de la Péninsule.
Chose remarquable, cette collection, si souvent compulsée et citée par des érudits qui en reconnaissaient tout le prix, est en elle-même à peu près inconnue. Qu’étaient à l’origine ces Registres angevins? Comment étaient-ils divisés et classés? De quelle manière y transcrivait-on les actes des souverains? Quelles étaient les règles adoptées par la chancellerie napolitaine? Autant de problèmes intéressants qui ont été à peine effleurés ou , pour mieux dire, dans bien des cas, à peine posés jusqu’ici. Les rares essais tentés dans celte voie se bornent à quelques paragraphes de Spinelli, du prince de Belmonte, de Michèle Baffi, de Minieri-Riccio, de Del Giudice, de Trinchera, et à cinq ou six pages excellentes, mais forcément bien sommaires, de M. le commandeur Capasso, l’éminent surintendant actuel des archives de Naples. Les renseignements donnés sont tellement restreints qu’ils ne peuvent même pas faire soupçonner quels seraient les principaux points à traiter. Parfois aussi des érudits distingués, faute d’avoir suffisamment étudié les originaux, sont arrivés à des résultats absolument arbitraires, en établissant à priori des règles et des divisions qui n’ont jamais été en usage sous la dynastie des rois angevins. […]