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SOCIÉTÉ DES HISTORIENS MÉDIÉVISTES DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR PUBLIC (dir.). L’expansion occidentale (XIe-XVe siècles). Formes et conséquences : XXXIIIe Congrès de la SHMES (Madrid, Casa de Velàzquez, 23-26 mai 2002). Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Éditions de la Sorbonne, 2003 (généré le 06 août 2021). Disponible sur Internet : . ISBN : 9791035102036. DOI : https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.13628.
SOCIÉTÉ DES HISTORIENS MÉDIÉVISTES DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR PUBLIC (dir.). L’expansion occidentale (XIe-XVe siècles). Formes et conséquences : XXXIIIe Congrès de la SHMES (Madrid, Casa de Velàzquez, 23-26 mai 2002). Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Éditions de la Sorbonne, 2003 (généré le 06 août 2021). Disponible sur Internet : . ISBN : 9791035102036. DOI : https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.13628

Présentation

Croisade, Reconquête, Drang nach Osten. Autant d’expressions contestées aujourd’hui par les historiens, mais qui n’en expriment pas moins différentes modalités d’un phénomène de grande ampleur : l’expansion occidentale au Moyen Âge. Du XIe à la « première mondialisation » de la fin du XVe siècle, ce vaste mouvement aura poussé pèlerins, marchands et chevaliers des rives de la mer Noire jusqu’aux conquêtes latines de Syrie-Palestine.

C’est cette histoire passionnée, et souvent obscurcie par les arrière-pensées idéologiques, qu’éclairent les actes du XXXIIIe congrès de la Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public, accueilli en mai 2002 à la Casa Velasquez, à Madrid. Ils permettent de mesurer tout ce qui sépare l’expansion médiévale de la colonisation moderne, dont la péninsule Ibérique fut l’un des premiers acteurs. Cela se vérifie tant du point de vue des fronts de la conquête, orientés au Moyen Âge vers l’Est et le Nord tout autant que vers le Sud, que du point de vue de ses conséquences territoriales, n’affectant que marginalement le peuplement.

L’expansion occidentale ne saurait se réduire, au Moyen Âge, à l’élan inexorable d’États conquérants. Les études réunies ici permettent de restituer ce mouvement historique global dans la diversité de ses acteurs, dans la complexité de ses motivations et dans la variété de ses rythmes. Il en résulte une compréhension à la fois plus contrastée et plus sûre d’un fait historique qui appartient, qu’on le veuille ou non, au socle de l’identité occidentale.

La « Reconquête », clef de voûte du Moyen Âge espagnol
Miguel Angel Ladero Quesadar
p. 23-45
EXTRAIT
Référence électronique du chapitre
http://books.openedition.org/psorbonne/13658

Au cours des siècles médiévaux il s’est mis en place chez nos ancêtres un nouvel ordre social, politique et culturel, c’est-à-dire une façon d’être européens


EXTRAIT

Reconquête et formes d’appartenance et d’intégration dans l’Occident médiéval

https://books.openedition.org/psorbonne/13658#tocto1n5


Dans cette dernière partie de mon intervention, je voudrais montrer comment, quel que soit le point de vue ou l’aspect de la réalité que nous considérons, le fait dominant a été l’appartenance des pays de l’Espagne au monde religieux, politique et culturel de l’Occident médiéval, aussi bien par suite de l’héritage romain et germanique que, surtout, du fait de l’intégration dans l’Europe du plein Moyen Âge à partir du dernier tiers du XIe siècle. Le système social, les fondements économiques et les formes de répartition et d’exercice du pouvoir sont tout à fait similaires à ceux du reste de l’Europe, ce qui ne veut pas dire qu’ils soient identiques à ceux de la France du Nord ou de n’importe quelle autre partie de l’Occident, qui a toujours été une civilisation riche en diversités régionales. À l’intérieur de l’Espagne médiévale, il y avait aussi de telles diversités et de là vient une bonne part de notre identité commune.

1) Au départ de notre démarche, nous trouvons la situation d’isolement caractéristique des siècles du Haut Moyen Âge (VIIIe-milieu du XIe siècle). Il existe des rapports avec l’Europe carolingienne et post-carolingienne, mais, à l’exception de la future Catalogne, ils sont sporadiques et ne touchent pas seulement les territoires chrétiens du Nord, mais également le califat de Cordoue, qui reçoit et envoie quelques ambassades au cours du Xe siècle. Un autre type de contacts serait constitué par les incursions des Normands sur les côtes de Galice et du Cantabrique, entre le milieu du IXe siècle et le début du XIe, mais il faut les considérer plutôt comme une forme de relation avec une autre périphérie de l’Europe, celle de la Mer du Nord et ses alentours, située également à l’extérieur du monde carolingien. En ce qui concerne la situation ecclésiastique, l’Église asturo-léonaise s’organisa sous la protection des rois, ce qui s’observe clairement encore au concile de Coyanza (1055), et il semble que durant ces siècles, ce qui importait le plus était les rapports avec les chrétiens d’al-Andalus, et, par ce biais, la permanence de l’héritage ecclésiastique de l’Hispania wisigothique et même des influences provenant des églises proche-orientales.

2) Le rapprochement décisif avec l’Occident médiéval s’est produit au cours de la seconde moitié du XIe siècle. Ce fut la mise au point du chemin de Saint-Jacques et des routes maritimes vers la Galice où se trouvait le tombeau de l’apôtre. Ce fut aussi la réception de la « réforme grégorienne » par Alphonse VI en León et Castille et par Sancho Ramírez en Aragon, fait capital qui coïncide avec le processus de restauration de sièges épiscopaux à partir de celui de Tolède (1086), et qui provoqua la disparition de l’ancienne liturgie hispana, l’entrée en nombre d’un clergé franco, la présence à partir de ce moment de légats pontificaux dans les royaumes d’Espagne et de clercs espagnols dans les conciles ecclésiastiques, et, au cours des siècles suivants, dans les écoles et les universités. En outre, les ordres bénédictins de Cluny et de Cîteaux s’épanouirent successivement dans la Péninsule, et, au début du XIIIe siècle, la présence hispanique était grande au sein des nouveaux ordres mendiants. Domingo de Guzman, un Castillan, fut le fondateur de l’un des principaux de ceux-ci. Nous sommes donc devant une révolution profonde des habitudes et des systèmes d’organisation, une révolution silencieuse décisive aussi par ses conséquences d’ordre politique, culturel et social.

Parmi ses effets on trouve l’introduction de l’idée de croisade, dès le deuxième quart du XIIe siècle, en tant qu’élément idéologique qui vient appuyer et compléter celui de la restauration-Reconquête. L’acceptation de l’idée de croisade permit d’accueillir sans réserve les ordres militaires de Terre sainte, d’en établir d’autres spécifiques à la Péninsule (Calatrava, Santiago et Alcantara) et de demander des ressources financières aux églises et aux fidéles des royaumes espagnols eux-mêmes. Les arguments religieux stimulaient de plus l’arrivée de gens d’autres pays : pèlerins vers Compostelle, croisés vers la frontière. Souvent ils devenaient des immigrants définitifs.

3) Les royaumes de l’Espagne chrétienne ont noué, à leur tour, des rapports solides avec d’autres pouvoirs politiques européens à partir du dernier tiers du XIe siècle. Les mariages successifs d’Alphonse VI, très influencés par Cluny, en fournissent l’exemple le meilleur et le plus ancien, mais la politique matrimoniale des rois de Castille montre la continuité de ces pratiques. Les alliances avec l’Aragon et Barcelone ont dominé la première moitié du XIIe siècle, mais, à partir du second mariage d’Alphonse VII avec Rica de Pologne, et de son rapprochement avec Louis VII de France, se sont noués des liens familiaux avec les Plantagenêt et les Capétiens, dont les noces d’Alphonse VIII avec Aliénor Plantagenêt, et celles de sa fille Blanche avec Louis VIII, constitueraient les meilleurs exemples. Déjà au XIIIe siècle s’ajoute le lien avec les Staufen par le mariage de Ferdinand III avec Béatrice de Souabe. Le fils de ceux-ci, Alphonse X, équilibra son attitude progibeline par un nouveau rapprochement avec la France de Louis IX, dont le résultat fut le mariage de son fils aîné, Ferdinand, avec Blanche, fille du roi français, mais aussi un rapprochement avec l’Angleterre, puisqu’il était le beau-frère d’Édouard Ier.

Les rapports des rois d’Aragon et des comtes de Barcelone avec les grands nobles du nord des Pyrénées venaient du Haut Moyen Âge, mais ils se renforcèrent depuis la conquête de la moyenne vallée de l’Èbre par Alphonse Ier, et par suite de la politique occitane de ses successeurs, Raymond Bérenger IV et Alphonse II, poursuivie jusqu’à la défaite de Muret (1213). En ce qui concerne le Portugal, rappelons l’aide importante des croisés venus par mer pendant les sièges de Lisbonne et de Santarém (1147) et celui d’Alcácer do Sal (1217), et le protagonisme du pape et du roi de France dans le processus de substitution de Sanche II par son frère Alphonse II, comte de Boulogne, en 1247-1248. Il est donc bien évident que les royaumes d’Espagne s’intégraient pleinement dans le réseau de rapports politiques de l’Occident européen.

4) Cette tendance à l’homogénéité avec le reste de l’Europe s’observe aussi dans l’ensemble de l’ordre social et dans chacun de ses aspects. Les guerres et les colonisations ont certes promu une mobilité sociale plus souple et des situations particulières dans maintes régions au cours de différentes époques. Rappelons-nous encore l’importance des libertés urbaines et paysannes et l’existence de groupes de chevaliers non-nobles, la caballería villana, en rapport avec la capacité militaire de tous les hommes libres, munis d’armement et obligés de suivre les appels de mobilisation lancés par le roi. Mais il est également vrai que les cadres généraux d’organisation sont les mêmes que ceux d’autres parties de l’Occident. L’ordre social trouve son fondement dans la religion et seuls les chrétiens sont des membres à part entière de cette société définie par les ordres, les privilèges particuliers de chaque groupe ou de chaque ville ou territoire, marquée déjà par la permanence des gens dans le même statut et le même office au cours des générations, et où le pourcentage des groupes sociaux, avec plus de 80 % de paysans, n’admettait pas beaucoup de changements.

Il est vrai aussi que la royauté, surtout celle de Castille et León, a toujours gardé entre ses mains de nombreux ressorts de pouvoir – judiciaires, fiscaux, militaires – et qu’elle payait souvent les services de la noblesse avec de l’argent, ou moyennant la cession temporaire de la terre (prestimonios, tierras), et non avec des fiefs héréditaires, excepté dans le cas catalan, mais les structures politiques se fondaient sur des liens de fidélité et de vassalité, et, au cours des XIIe et XIIIe siècles, prit forme une noblesse lignagère, à l’égal de celle d’autres pays de l’Occident. Le fait le plus original a peut-être été le développement précoce de l’autonomie communale dans les villes de León et Castille, et la naissance des assemblées d’États, les Cortes, dès la fin du XIIe siècle.

5) Il va sans dire que l’Espagne chrétienne accueillit sans réserves les nouveaux courants architectoniques et artistiques dès le dernier tiers du XIe siècle, ainsi que les courants littéraires. Il y eut des thèmes épiques autochtones (Bernardo del Carpio, Fernán Gonzalez, Les Sept Infants de Lara, Le Cid), à côté des thèmes carolingiens diffusés grâce au chemin de Saint-Jacques, tandis que la continuité d’une poésie lyrique influencée par les modèles andalousiens n’empêchait pas l’acceptation des troubadours dans les cours royales et aristocratiques. Vers la seconde moitié du XIIe siècle, les langues néo-latines, castillan, galicien, catalan, avaient atteint leur niveau littéraire et les initiatives culturelles d’Alphonse X (1252-1284) consolidèrent cet usage écrit du castillan et du galicien, de même que celles des rois d’Aragon entre Jacques Ier et Pierre IV celui du catalan.

Si l’on veut parvenir à une véritable compréhension des fondements médiévaux de l’Espagne, il serait absurde d’oublier ou de minimiser l’importance des aspects du patrimoine culturel hispanique que je viens de décrire sommairement, ainsi que de ne pas reconnaître leur poids historique.

Au cœur du mot de Reconquista se cachent donc des réalités historiques très complexes et variables selon les époques, mais toujours axées sur les luttes et les rapports de deux sociétés, voire deux systèmes de civilisation, d’un côté et de l’autre d’une frontière mobile, sur les débris et les souvenirs de l’Hispania gothique.

Les conséquences de la Reconquête sur l’histoire espagnole ont été nombreuses et durables, à commencer par la formation territoriale des régions et des royaumes et par les résultats des grands processus de colonisation et de peuplement. Au cours des siècles médiévaux il s’est mis en place chez nos ancêtres un nouvel ordre social, politique et culturel, c’est-à-dire une façon d’être européens, et, d’autre part, un type de rapports avec le monde islamique proche caractérisé par la conscience aiguë d’une altérité, où se mêlaient la familiarité, produit de la fréquence des rapports, et la méfiance relevant des affrontements. C’est à partir de ces données du passé, à côté d’autres plus récentes, qu’il devient possible d’imaginer un futur meilleur pour nous tous.


Auteur
Miguel Angel Ladero Quesada

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