Edition Folio 2019

QUATRIÈME DE COUVERTURE
(Édition Belin 2010)

L’histoire a longtemps juxtaposé des images simples pour définir les quatre siècles écoulés de 481 à 888 : aux Mérovingiens – à l’exception de Clovis, sanguinaires, incultes et incapables, succédaient des Carolingiens glorieux, conquérants et propagateurs actifs de la foi chrétienne. Les recherches des dernières décennies, fondées sur une réévaluation des sources écrites et sur les progrès de l’archéologie, ont libéré cette période du carcan des idées reçues. Ce livre, en forme de bilan, dresse des perspectives neuves. Il montre que l’Antiquité tardive se prolonge jusque vers 600 et que « les grandes invasions », comme « la barbarisation de l’Occident » appartiennent au registre des concepts arbitraires. Au viie siècle, commence effectivement le Moyen Âge. Alors, débute une croissance appelée à se développer jusque vers 1250 : elle fait glisser le centre de gravité de l’espace français (et européen) vers le nord-ouest. Parallèlement, le christianisme achève de devenir totalement coextensif à la société.

Forts de ce contexte, mais plus encore de la dynamique de leurs conquêtes, les premiers Carolingiens rassemblent sous leur sceptre presque toute l’Europe occidentale. Cette construction brillante marque pour toujours les mémoires. Cependant, elle s’avère d’une extrême fragilité : en effet, les conditions concrètes d’un monde avant tout rural restreignent la puissance effective à une échelle territoriale étroite et réduisent le pouvoir central à une collaboration obligée avec les aristocraties locales. Quand apparaît le nom de « Francie », il recouvre une mosaïque de communautés régionales très diverses.

Ainsi, les auteurs de cet ouvrage ramènent-ils les faits aux réalités de l’époque, rejetant les anachronismes et les outrances – négatives ou positives. Ils mettent en scène une société étrangère à celle d’aujourd’hui par ses hiérarchies, ses caractères anthropologiques et ses institutions, mais à laquelle la culture et le légendaire des Français doivent beaucoup. Ils appuient leur exposé sur des textes et des cartes et sur une iconographie abondante, qui donnent à voir et à comprendre. Cette histoire renouvelée possède un attrait majeur : au-delà des représentations traditionnelles, elle s’efforce d’atteindre le réel.


PRÉFACE
Jean-Louis Biget

La France avant la France
481-888
Préface

« Le peuple illustre des Francs, institué par Dieu »
Prologue de la Loi salique (vers 763-764)


Cette proclamation messianique figure en tête de la Loi salique, dans sa version de la fin du règne de Pépin le Bref († 768). Elle exalte les Francs, peuple élu par Dieu pour incarner la Nouvelle Alliance. Les succès du roi, sacré par le pape à Saint-Denis, paraissent fonder cette prétention.

Les Francs ont effectivement joué un rôle majeur dans la genèse, l’histoire et la christianisation de l’Europe, et plus particulièrement de la France. Jadis et naguère, ils ont fourni bien des héros à la geste nationale : Clovis, Dagobert, Charles Martel, Pépin le Bref, Charlemagne, voire Charles le Chauve. Et puis notre pays leur doit son nom.

Cette fonction éponyme justifie que toute « histoire de France » commence avec leur entrée en Gaule. Pourtant, il a semblé légitime d’intituler ce livre La France avant la France. C’est que le roman monarchiste ou l’épopée républicaine ont fait subir à la réalité bien des distorsions. À parcourir les pages qui suivent, on saisit que ce qui était donné pour l’histoire composait une fable aux strates multiples.  Le propos de l’ouvrage concerne évidemment le territoire français actuel, mais son contenu démontre que n’apparaît,  entre  le  Ve  et  le  IXe siècle, aucun des éléments constitutifs d’une entité « France » : État, nation, unité linguistique ou sentiment d’une identité commune.

La période concernée a, depuis quarante ans, fait l’objet d’une réévaluation complète. Spécialistes avertis, Charles Mériaux — pour les temps mérovingiens — et Geneviève Bührer-Thierry — pour  l’époque carolingienne — présentent les résultats essentiels de cette relecture. Ils témoignent du profond effort d’objectivité qui  a  permis  de  dépasser  les  querelles  d’écoles  et  de  nations ;  ils  montrent  la  mise  à  distance  de  la  foisonnante imagerie  romantique,  dont  ils  ont  souhaité  que  soient  repris,  en  contrepoint,  quelques  exemples  significatifs.  Ils relèguent dans l’obsolescence scientifique l’effondrement du monde romain et la ruée des barbares ; ils donnent un fondement anthropologique et/ou rationnel aux drames et aux violences sanglantes du palais mérovingien, comme à l’incurie des « rois fainéants ». Ils ramènent la gloire des Carolingiens à de justes proportions.

Prenant appui sur les apports récents  de  l’archéologie,  ils  invitent  d’abord  à  considérer  les  « invasions barbares » comme une erreur de perspective et un abus de langage. En effet, les Goths et les Francs, romanisés de longue date et de plus très minoritaires, n’ont pas détruit l’héritage romain, mais ils en ont assuré la permanence en Gaule.  Ils  n’ont  bouleversé  ni  les  structures  agraires  ni  les  rapports  sociaux,  et  ils  ont  conservé  les  institutions administratives, culturelles et religieuses du Bas-Empire.

Ainsi l’Antiquité tardive se prolonge-t‑elle jusque vers 600 / 630.  Charles  Mériaux  et  Geneviève  Bührer-Thierry  soulignent  avec  raison  que  le  glissement  vers  le  Moyen  Âge  se  produit  pendant  les  règnes  de  Clotaire II (seul  roi  des  Francs  de  613  à  629)  et  de son  fils  Dagobert  (629‑639).  Cette  évolution fondamentale  fait  suite  au nadir économique et démographique consécutif à la grande peste du VIe siècle. Mais, à partir du point bas atteint à ce moment, débute un essor de la population et de l’occupation du sol, qui se prolonge ensuite jusqu’au XIIIe siècle. Particulièrement  sensible  dans  les  pays  du  nord  de  la  Loire,  il  entraîne  le  basculement  du  centre  de  gravité économique  de  l’Europe  occidentale  vers  le  nord-ouest  et  relègue  la  zone  méditerranéenne  dans  une  position subordonnée.

Le monde franc, à l’instar de celui des derniers siècles, gallo-romains, présente une société très contrastée, où s’affirment des rapports et des liens qu’on peut considérer comme les prodromes lointains du système féodal. Il vit  quasi  exclusivement  de  l’agriculture.  La  possession  du  sol  y  constitue  la  richesse  dominante.  Cette  donnée confère,  dans  chaque  cité,  la  prépondérance  à  quelques  familles  de  grands  propriétaires  fonciers,  qui  forment l’aristocratie.  Le  prestige  de  cette  dernière tient à l’importance de sa clientèle armée  et  de ses  dépendants  ;  il  se nourrit également d’une composante religieuse ; en effet, les puissants contribuent à l’avancée de la christianisation par la fondation d’églises et de monastères ; et puis la totalité des évêques et des saints appartient à leur milieu. Les conditions  matérielles  réduisant le  pouvoir  à  un  horizon  régional, la  relation entre  le  souverain et le  peuple passe par  la  médiation  obligée  de  l’aristocratie.  Dans  ce  contexte, l’autorité  royale  n’existe  que  par  le consensus  de la majorité  des  « grands ».  Charles  Mériaux  et  Geneviève  Bührer-Thierry  font  bien  voir  qu’une  telle  conjoncture intervient  seulement  dans  la  guerre  victorieuse,  qu’elle  soit  extérieure  — tournée  vers  l’expansion  du  regnum Francorum — ou bien — à défaut — intérieure, opposant d’abord Burgondie, Neustrie et Austrasie, puis les trois Francies issues de l’Empire à Verdun en 843. La victoire rassemble l’aristocratie autour du chef de guerre, car elle permet à ce dernier de distribuer butin, prisonniers, terres et charges.

La prééminence  de  l’aristocratie  s’exprime  clairement  tout  au  long  du  viie  siècle  et  plus  encore  dans l’éviction  des  Mérovingiens  par  une  puissante  famille  austrasienne,  après  une  « longue  marche »  d’un  siècle  et demi, concomitante du « décollage » des pays du Nord-Ouest. Il s’agit bien sûr des Carolingiens, dont le pouvoir se fonde en premier lieu sur la conquête ; afin de le pérenniser, Charlemagne essaie d’étendre simultanément à toute l’Europe le modèle d’un patrimoine privé, géré par une clientèle qu’unissent à son patron des liens de dépendance et/ou  des  liens  familiaux.  Ainsi  naît  une  « aristocratie  d’empire »,  détentrice  de  biens  et  de  fonctions  dans  de nombreuses régions. En parallèle, la religion constituant le lien fédérateur essentiel de la société, les Carolingiens s’appuient également sur l’Église et tentent d’assimiler la communauté de leurs sujets à celle des chrétiens.

L’ordre carolingien ne présente donc aucunement les caractères d’un État ; il repose très largement sur des collaborations aristocratiques et ecclésiastiques précaires. Aussi bien, malgré la restauration de l’Empire en 800, le regroupement  territorial  extraordinaire  opéré  par  Charlemagne  connaît  des  difficultés  dès  que  s’épuise  le dynamisme  de  la  conquête.  Ouvert  aux  attaques  des  pirates,  scandinaves  au  nord,  sarrasins au  sud,  il  s’avère  un puzzle  éphémère,  dont  les  composants,  des  entités  d’espace  restreint,  retrouvent  leur  autonomie  structurelle.  Charles Mériaux et Geneviève Bührer-Thierry dissipent ainsi des illusions longtemps entretenues dans l’historiographie et ramènent l’histoire à  la  vérité  des  faits.  Cette  hygiène  permet  de  mieux  comprendre  les évolutions politiques de l’époque franque.

Faut-il pour autant considérer celle-ci comme un âge sombre, après qu’elle a jadis été célébrée comme  le temps  des  héros  fondateurs ?  Si  ce  livre  jette  à  bas  toute idée d’État  pour  l’époque,  il  n’en  met  pas  moins  en évidence des phénomènes décisifs pour l’avenir : un premier développement de l’économie entre Loire et Rhin, le progrès  de  la  christianisation  puis  l’émergence,  dans  la  seconde  moitié  du  IXe siècle,  d’une  Francie  occidentale appelée à devenir la matrice de la France ultérieure.

Charles  Mériaux  et  Geneviève  Bührer-Thierry  soulignent  également  que  la  période  n’est  pas  celle  de  « l’infélicité  des  Goths  »,  le  long  tunnel  d’ignorance  déploré  par  Rabelais  et  les  humanistes.  La  convergence culturelle  des  élites  «  barbares  »  et  des  élites  gallo-romaines  a  permis  leur  fusion  rapide.  Aux  ve  et  VIe siècles, aucune  régression  ne  se  discerne  dans  la  culture  des laïcs ni dans l’usage de l’écrit, et la langue évolue selon un processus  normal.  Par ailleurs,  monastères  et  églises  jouent  un  rôle  positif  dans  la  conservation  des  œuvres antiques. De même, les Carolingiens, parallèlement à l’instauration d’une écriture  normalisée,  dans  un  empire  ou des  royaumes  dépourvus  d’unité  linguistique,  s’efforcent  de  promouvoir,  comme  langue  de  l’Église  et  de l’administration,  un  latin  aussi  proche  que  possible  de  son  expression  classique.  Cette  volonté  favorise  la  copie systématique  des textes anciens.  La période  du ve  au  IXe siècle  ne  correspond  donc  nullement au  degré  zéro de la culture. Tout au contraire, elle assume un rôle primordial dans la transmission d’une grande part de la littérature latine à l’Occident des temps futurs. La très belle iconographie de ce volume rend superbement compte de l’activité de production des manuscrits déployée à cette époque.

Puisque l’évolution des savoirs procède d’une approche neuve des sources, Charles Mériaux et Geneviève Bührer-Thierry  introduisent  aussi  leurs  lecteurs  dans  l’atelier  de  l’historien,  afin  de  les  familiariser  avec  les méthodes dont use aujourd’hui ce dernier. Ils leur permettent notamment de découvrir les aléas de l’interprétation des textes, à partir de l’exemple éclairant des Dix livres d’histoires de Grégoire de Tours. Ils  montrent également que  l’archéologie,  en  apparence  moins  sujette  à  caution  que  la  documentation  écrite,  se  prête  néanmoins  à  des controverses,  de  sorte  qu’il  a  fallu  revenir  sur  l’interprétation  ethnique  ou  religieuse  du  mobilier  de  certaines sépultures.  Ils  évoquent  encore  les  rivalités  franco-allemandes  qui  ont  relayé  les  regrets  des  hommes  de  la Renaissance pour nourrir la légende des « invasions barbares ».

Voici  donc  un  beau  livre.  Fondé  sur  l’état  actuel  de  la  recherche,  il  présente  la  substance  des  révisions opérées  au  cours  des  dernières  décennies.  Tout  en  reprenant  une  trame  chronologique  usuelle,  éclairée  par  une cartographie pertinente et originale, il offre un panorama entièrement revisité de la période écoulée entre la fin du Ve siècle et celle du IXe. Il modifie de manière essentielle les perspectives concernant « les origines de la France ». Premier  volume  d’une  série,  il  offre  une  solide  pierre  d’attente  aux  tomes  suivants,  l’ensemble  promettant  de constituer  un  édifice  majeur,  qu’on  pourrait  à  bon  droit  nommer,  en  s’inspirant  d’une  collection  antérieure, Monumenta Franciae Historica, « Les Monuments historiques de la France ».

JEAN-LOUIS BIGET
(directeur du volume)

Auteurs : Geneviève Bührer-Thierry, Charles Mériaux.

Geneviève Bührer-Thierry, ancienne élève de l’École Normale Supérieure de Saint-Cloud, agrégée d’Histoire, est actuellement professeur d’Histoire du Moyen Age à l’université Paris-Est-Marne la Vallée où elle dirige le laboratoire de recherches « Analyse Comparée des Pouvoirs ».
Elle est spécialiste du monde franc et germanique du haut Moyen Age, ses travaux portent sur le pouvoir des évêques, sur le rôle des femmes, sur la construction des territoires et les échanges culturels aux frontières. Elle est aussi directeur de la revue Médiévales.
Elle a notamment publié L’Europe carolingienne (741-888) chez Armand Colin (2002, nouvelle édition en septembre 2010) et Pouvoirs, Eglise et société en France, Bourgogne et Germanie (888-XIIe siècle) en collaboration avec Thomas Deswarte aux éditions Sedes en 2008.

Charles Mériaux, agrégé d’histoire, est actuellement maître de conférences en histoire du Moyen Âge à l’Université Charles-de-Gaulle Lille 3. Il travaille sur l’histoire religieuse du haut Moyen Âge, les fondations monastiques, l’encadrement des villes et des campagnes par l’Église, et le culte des saints. Sa thèse, intitulée « Gallia irradiata ». Saints et sanctuaires dans le nord de la Gaule du haut Moyen Âge a été publiée à Stuttgart (éd. Franz Steiner) en 2006.

Édition compacte 2014

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