Revue Documents pour l’Histoire du Français Langue Étrangère ou Seconde
38/39 | 2007
Le français langue des “élites” dans le bassin méditerranéen et les pays balkaniques (XVIIIe siècle-moitié du XXe siècle).
Actes du colloque tenu à l’université de Galatasaray, Istanbul, les 7-8-9 novembre 2006.
Sous la direction de Michel Berré et Osman Senemoglu
https://doi.org/10.4000/dhfles.129

Amr Helmy Ibrahim, « 1798-1976. Le français référentiaire des élites égyptiennes », Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde [En ligne], 38/39 | 2007, mis en ligne le 16 décembre 2010, consulté le 26 juillet 2021. DOI : https://doi.org/10.4000/dhfles.148

Amr Helmy Ibrahim
Université de Franche-Comté
& Université Paris-Sorbonne
(Laboratoire LaLIC), France

En 1798 les Français découvrent un pays pratiquement en voie de disparition et qui, rongé par les maladies et l’incurie de ses maîtres-esclaves, se vide lentement mais sûrement de sa population.


RÉSUMÉ

Depuis l’expédition de Bonaparte en Égypte et jusqu’à « l’ouverture » décrétée par le Président égyptien Anouar al-Sadate, soit pendant près de deux siècles, la langue française est considérée par les élites égyptiennes, toutes tendances et appartenances confondues, comme étant un vecteur exemplaire d’excellence. Le français et ce qu’il représente restera longtemps une référence malgré l’occupation britannique du fait qu’il aura été adopté par les lettrés musulmans, participera de la dynamique nationale du pays et sera la langue véhiculaire de toutes les minorités actives dans toutes les couches sociales. L’article analyse les ingrédients authentiquement égyptiens de la dynamique qui a donné au français son statut référentiaire ainsi que les raisons qui ont amené les élites égyptiennes à s’en détourner dans les années 1970


Plan


PREMIÈRES PAGES

Qu’est-ce que l’élitisme ?

Le français a eu, dès le XVIIe siècle et pendant plus de deux siècles un double privilège : ce n’était pas la langue du peuple français mais d’une élite qui a su imposer ses usages au peuple au point de lui confisquer la légitimité de sa parole ; du fait du rayonnement du savoir-faire, du savoir- penser et du savoir-être de cette élite, c’était une langue si légitimement véhiculaire qu’il n’y avait aucune honte à la considérer universelle.

Il y a là un tour de force dont Vaugelas a fixé très tôt le protocole :

Il y a sans doute deux sortes d’usages, un bon et un mauvais. Le mauvais se forme du plus grand nombre de personnes qui presque en toutes choses n’est pas le meilleur, et le bon au contraire est composé non pas de la pluralité mais de l’élite des voix […] Voici donc comme on définit le bon usage. C’est la façon de parler de la plus saine partie de la cour conformément à la façon d’écrire de la plus saine partie des auteurs du temps.

La langue devient ainsi un vecteur de modélisation des conduites et d’adhésion idéologique qui ne s’appuie ni sur la force brutale, ni sur le nombre ni, par conséquent, sur le terrorisme consensuel qui en découle.

La formulation de Vaugelas, plus de deux siècles avant l’œuvre de Pareto qui en fera le moteur de l’histoire et de l’économie, nous dit comment et surtout pourquoi l’élitisme construit, contre les pratiques et les usages du plus grand nombre, qu’il délégitime, un modèle de pratiques et un usage qui s’instituent en référence unique, universelle et exclusive de toute autre pratique ou usage.

De plus, le projet politique français à l’âge classique porte à sa maturité une tendance potentielle des langues : inscrire dans une nébuleuse de paradigmes prototypiques des significations qui se confondent avec les formes linguistiques dans lesquelles elles sont exprimées. Régir officiellement ces formes revient alors, sans avoir l’air d’y toucher, à régler au millimètre près rien moins que la production même du sens.

Pour parler comme Rivarol, dont le Discours sur l’universalité de la langue française (1783-1784) donne la mesure de la place que l’Europe des lumières réservait au français à l’époque de l’expédition d’Égypte, on peut dire qu’aucun peuple n’avait, depuis les Romains, bénéficié, comme les Français, d’une conjoncture aussi favorable à ce que sa langue devienne par sa pratique et l’imitation de ce qu’elle suggère, un aussi sûr vecteur d’excellence. Antoine de Rivarol, après avoir dressé la liste des bonnes raisons pour lesquelles tous les Européens se piquent de parler français et d’imiter les Français, n’écrit-il pas :

Nous sommes les seuls qui imitions les Anglais, et, quand nous sommes las de notre goût, nous y mêlons leurs caprices ; nous faisons entrer une mode anglaise dans l’immense tourbillon des nôtres, et le monde l’adopte au sortir de nos mains.


Le paradoxe de Milner

« Tout ce que l’Égypte emprunta à l’Europe, dans l’ordre matériel aussi bien que dans l’ordre intellectuel, lui vint d’abord de la France »

C’est en effet dans un pays occupé et dominé par les Anglais qu’émergera une élite qui aura choisi la référence française :

Tout ce que l’Égypte emprunta à l’Europe, dans l’ordre matériel aussi bien que dans l’ordre intellectuel, lui vint d’abord de la France. Si ses hautes classes furent quelque peu instruites, elles le furent par des maîtres français et dans les idées françaises ; le français devint même une langue officielle côte à côte avec l’arabe, et encore aujourd’hui, c’est en un français boiteux que les Anglais au service de l’Égypte échangent leurs lettres officielles.

On doit ce jugement, publié en 1892 dans L’Angleterre en Égypte, à Sir Alfred Milner, sous-secrétaire d’État au ministère égyptien des Finances pendant deux ans. La Grande-Bretagne occupe l’Égypte depuis déjà dix ans. Lorsque les troupes britanniques évacueront définitivement l’Égypte au terme de 74 années d’occupation, l’empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais n’aura pas pu éradiquer ni même réduire significativement la référence française implantée par Bonaparte en moins de trois ans (1798-1801) et relayée par une succession de choix élitaires que nous passerons en revue.

La semence française prend d’autant mieux qu’à l’arrivée de Bonaparte et pendant près d’un siècle l’Égypte n’a pas une aristocratie autochtone, tout au moins au sens européen de ce terme : une noblesse héréditaire et un ensemble suffisant de familles qui maintiennent dans leur descendance et leur clientèle immédiate les leviers du pouvoir, de la richesse et de la connaissance.

L’Égypte de l’époque a certes des groupes, des familles et des individus qui cultivent une forme ou une autre d’excellence intellectuelle ou se réclament d’une descendance qui leur impose des obligations sociales et des responsabilités politiques, mais ces îles ne donnent lieu à aucune conscience élitaire collective. L’on peut donc dire que même à cette échelle, c’est l’expédition de Bonaparte qui a réveillé en Égypte le fait élitaire, notamment dans sa fonction dynamique.

Il n’est que de voir ce Moustafa Kamel Pacha qui a 18 ans à la parution du livre de Milner et qui fera, trois ans plus tard, le 4 juillet 1895, à Toulouse, dans un français que lui envieraient bien des normaliens français de souche d’aujourd’hui, le premier grand discours nationaliste de l’Égypte moderne. Il fondera, après avoir achevé ses études de droit en France, un journal, l’un des premiers partis politiques dignes de ce nom ainsi que la première école comprenant un tiers d’élèves dispensés de frais de scolarité, un système dont s’inspireront les missions catholiques françaises en Égypte. Moustafa Kamel Pacha n’est pas l’exception mais le modèle, le prototype de cette nouvelle élite pour laquelle le français devient référentiaire.


L’expédition savante de Bonaparte

Bonaparte sait bien et il n’est pas seul en Europe à savoir que le ressort de la société égyptienne est cassé malgré les ingrédients de qualité dont elle a hérité. Il sait aussi, tout comme les Anglais, que l’Europe n’est pas viable sans la domination du monde et singulièrement de cet Orient dont l’Égypte, la Mésopotamie, l’Inde et la Chine constituent les passages obligés. Mais il pense aussi, ce dont doutent fort les Anglais, que c’est au cœur des vieilles civilisations que l’intelligence française, qui exprime la quintessence du dynamisme européen, doit rétablir, sous la houlette du plus éclairé des hommes, le nouvel Alexandre, l’équilibre du monde. C’est donc parmi les plus authentiquement croyants des lettrés musulmans, dans les familles de ces 3oulama’ dont la raison d’être est la connaissance du monde que la sauce du projet foncièrement laïc du caporal Bonaparte prendra le mieux. Ils finiront par comprendre en profondeur, ces lettrés, que ce que les élites françaises ont acquis de haute lutte dans leur concurrence féroce avec les autres élites européennes et qu’elles étaient disposées – du fait d’une conjoncture exceptionnelle – à leur transmettre sans menacer le moins du monde les fondements idéologiques et culturels de leur foi, était cela même que leur civilisation de référence avait progressivement perdu, pour avoir, peut-être à cause, justement, de son éclatant équilibre, oublié que le monde ne se réduisait pas à elle et qu’aucun équilibre n’était définitivement acquis.

La rencontre relève pratiquement du miracle et aurait pu si ce n’était l’entrave anglaise – près d’un siècle d’actions ouvertement négatives à l’encontre de l’Égypte – et le passif ottoman – trois siècles de l’une des occupations les plus stériles que le pays ait connues en 4 000 ans d’histoire – déboucher sur une renaissance qui aurait refait de l’Égypte un foyer de rayonnement civilisationnel, culturel et scientifique.

En 1798 les Français découvrent un pays pratiquement en voie de disparition et qui, rongé par les maladies et l’incurie de ses maîtres-esclaves, se vide lentement mais sûrement de sa population.


Quels déséquilibres pour quel équilibre ?

Chaque type de société s’organise autour d’un point d’équilibre qui lui est propre et qui finit par déterminer simultanément son évolution interne et sa relation aux autres sociétés. La lutte pour le maintien de cet équilibre peut tout aussi bien être une source de développement ou de dépérissement. Dans la mesure où l’ensemble du système se réorganise constamment pour tendre vers l’équilibre, certaines modifications, parfois infimes, de sa structure peuvent modifier radicalement son orientation générale.

L’équilibre dynamique de l’Égypte de l’époque comme d’ailleurs encore celui de l’Égypte actuelle s’appuie sur trois composantes :

  1. Pour qui connaît l’islam dans son extrême diversité, l’Égypte est probablement le plus musulman des pays musulmans et certainement le plus musulman des pays arabes. Non pas pour des raisons institutionnelles ou théologiques ou par rapport à une quelconque mesure savante de l’orthodoxie, mais parce que de tout temps l’Égypte a été le berceau d’une conception religieuse de l’ordre de l’univers fortement marquée d’une part par le monothéisme, d’autre part par une forme de religiosité populaire qui a constitué la colonne vertébrale de sa résistance identitaire aux deux étrangers, celui qui vient du dehors et celui qui, né en elle, l’opprime. Les Égyptiens, quelles que soient leur confession et leurs convictions comptent probablement parmi les derniers peuples du monde à voir encore des apparitions de la Vierge Marie. Même athée, le rapport au monde d’un Égyptien est fondamentalement médiatisé par sa relation à Dieu. Dans Sabah el ward, Naguib Mahfouz met en scène un personnage, très vraisemblablement lui-même, peu pratiquant mais dont un autre personnage dit qu’il a, malgré son apparente indifférence en matière de religion, des « tripes musulmanes ».
    Cette religiosité diffuse et cette confiance absolue dans la médiation divine produit le pire lorsque le musulman passe du tawakkol 3la-llahau tawâkol,c’est-à-dire de la confiance qui pousse à agir du fait qu’on se sent en droit, ayant fait le maximum, de s’en remettre à Dieu sans cesser pour autant d’être responsable de ses actes à la résignation fataliste qui justifie l’inaction et dégage indûment la responsabilité. Ce que Bonaparte montre aux Égyptiens, c’est d’une part qu’on peut être un militaire efficace sans cesser pour autant d’être intelligent, d’autre part que la maîtrise du monde se situe à un niveau qui n’a rien à envier au niveau des représentations religieuses, et qu’il correspond parfaitement à l’esprit comme à la lettre du Coran. Il leur montre au jour le jour pourquoi l’équilibre où ils se trouvent est négatif et comment ils doivent faire pour revenir à la positivité. C’est ce message, qui pendant un peu plus d’un siècle, s’identifiera à la référence française des élites égyptiennes.

  2. L’Égypte est un pays quasiment plat, relativement étendu – le double de la France – militairement indéfendable mais suffisamment peuplé, structuré et homogène sur sa bande centrale habitable et exploitable – un trentième du territoire – pour absorber et digérer à terme les incursions étrangères qui ont souvent beaucoup de difficulté, une fois entrées, à repartir… L’Égypte utile est paradoxalement, avant le développement du transport aérien, aussi isolée qu’une île perdue dans l’Océan. La référence française, sous Mohammad Ali notamment, c’est aussi une option pour répondre à la question récurrente : comment se défendre ?

  3. L’Égypte n’a rayonné lorsqu’elle en a eu les moyens qu’en attirant à elle. Isolée mais sur une voie stratégique, l’une des branches de l’ancienne route de la soie et réservoir de richesses dans un environnement relativement stérile, l’exercice de son influence a été un cycle d’attraction, de transformation et de restitution. Cette fonction était au cœur du projet napoléonien et correspondait parfaitement à la vocation de l’Égypte. C’est celle que la France contemporaine essaie, après une longue absence, de ranimer mais avec une compétence et une énergie qui auraient fait sourire les savants et les soldats de Bonaparte…


Le pari de Mohammad Ali

Le fondateur indiscutable de l’Égypte moderne, malgré sa basse extraction, ses origines étrangères, sa mauvaise maîtrise de la langue arabe, son mépris de la vie humaine et des droits des gens ainsi que son illettrisme, est aussi le premier homme de pouvoir en Égypte à avoir tiré des leçons utiles de l’expédition de Bonaparte, à avoir jeté les bases d’un renouvellement de ses élites autochtones et à leur avoir rendu symboliquement l’initiative dans la reconstruction de l’Égypte et ce, à travers la France et avec des Français. Pressé par Edme-François Jomard, commissaire impérial pour la Description de l’Égypte, dès 1811, pour « envoyer une colonie en France et l’y laisser assez longtemps pour y puiser, malgré la différence des mœurs, une instruction complète », il finit par accepter… en 1826. Les 44 premiers boursiers égyptiens resteront à Paris jusqu’en 1835 et constitueront le noyau de cette élite francophone et musulmane à travers laquelle la référence française s’est enracinée au plus profond de la sensibilité des classes moyennes et supérieures de l’Égypte moderne.

Mohammad Ali a débarrassé l’Égypte d’au moins quatre de ses plaies : l’ensemble de la fausse élite de son époque, la caste militaire des Mamelouks qu’il a fait massacrer en une soirée, la chape tétanisante et stérilisante de la domination ottomane – il a failli occuper Istanbul –, l’influence symbolique d’une Arabie d’opérette totalement étrangère à l’islam des origines – il a occupé La Mecque – ; enfin il a rendu aux Égyptiens leur indispensable confiance dans leur pouvoir de nuire à qui leur ferait ombrage. Il a bâti, grâce aux Français, des usines, des voies de communication et une armée qui sera la première, depuis le califat fatimide, à déployer efficacement sur un théâtre d’opérations des soldats égyptiens armés d’armes égyptiennes et dirigés par un Égyptien, son fils Ibrahim.


Le canal de Suez

La présence française la plus conséquente et la plus longue en Égypte a été celle des Français de Suez, mais elle s’est développée sur le mode habituel de la présence coloniale européenne en Afrique et en Asie. Les Français du canal ont vécu pendant près d’un siècle comme si les Égyptiens, et notamment les musulmans égyptiens, n’existaient pas, d’où leur surprise lors de la nationalisation du canal par Nasser !

Malgré cela le canal a été longtemps une vitrine positive de la référence française. Ismaïlya, la ville des Français du canal, a été longtemps et tend à redevenir, après avoir été ravagée par les alliés israéliens de la France, l’une des plus belles, des plus propres et des mieux urbanisées des villes égyptiennes. Une oasis de civilisation à la française dans un pays devenu progressivement étranger aux civilisations qu’il avait pourtant portées à un rare degré d’épanouissement.


Un Opéra pour Eugénie, des barrages sur le Nil, un Parlement, des chemins de fer, des postes : l’âge d’or du rayonnement français

La France et les Français occuperont la première place dans la vie administrative, juridique, économique, culturelle et intellectuelle de l’Égypte pendant très exactement 25 ans sous les règnes de Sa3îd Pacha (1854-1863), fils de Mohammad Ali et Isma3îl Pacha (1863-1879), fils d’Ibrahim Pacha. C’est l’époque de la construction du canal, mais c’est aussi une époque d’autres grands travaux – régulation du Nil, création de voies de chemin de fer, d’un système postal moderne – et de bon nombre de réformes institutionnelles – abolition de l’esclavage, stabilisation de l’impôt agricole, création d’un Parlement – qui vont redonner à l’Égypte sa stature « naturelle » et lui faire retrouver la place qui lui revient. Les Italiens, les Autrichiens et les Anglais y participent, mais c’est la France et le français qui jouent les premiers rôles et occupent le devant de la scène. Et tout ce monde, y compris dans la haute administration égyptienne, ne parle que français. C’est aussi une époque de paix et d’indépendance – la tutelle ottomane n’est plus que symbolique. Lorsqu’Isma3îl Pacha inaugure l’Opéra du Caire dans la foulée de l’inauguration du canal de Suez en 1869, c’est aux côtés de l’impératrice Eugénie. Le rêve égyptien de Bonaparte qui se voyait empereur enturbanné d’Orient et d’Occident est relayé par le rêve égyptien d’Isma3îl attirant dans le berceau des civilisations toute la grandeur, la beauté et la modernité de l’Europe.

Mais l’intendance n’a pas suivi. La modernisation est encore plus chère que la guerre. L’Égypte s’y endettera jusqu’à y perdre son indépendance. Hier comme aujourd’hui, seules les très grandes puissances peuvent se permettre d’être déficitaires. Développée puis ruinée par les intérêts français, l’Égypte sera confisquée en 1882 par les Anglais.

On comprend mieux dans ce contexte que pour les élites égyptiennes en formation se mêleront longtemps, attachés à la France et au français, d’une part les rêves d’indépendance, de progrès, de beauté, de luxe, de plaisir et, par dessus tout de cette grandeur qu’ils n’ont jamais su assumer, d’autre part cette représentation de la culture, de la science, du savoir et du savoir-faire que la passion de Bonaparte et de ses savants pour l’Égypte a rendus pour ainsi dire indissociables du versant à la fois patrimonial et moderne de leur identité.

Le très pragmatique Milner le subodore, mais a du mal à l’admettre. Les Anglais aideront les Égyptiens à rendre leur système agricole aussi parfait que la nature le permet, ils leur permettront de triompher des principales maladies endémiques qui les ont décimés à travers les siècles – notamment la bilharziose –, respecteront scrupuleusement leurs deux religions et n’interféreront jamais dans leurs usages et coutumes. Ils n’en resteront pas moins, tout en étant souvent admirés et respectés, et jusqu’à leur départ en 1956, au mieux des Martiens, au pire des occupants haïs, profondément étrangers aux aspirations des Égyptiens, du peuple comme de l’élite.


Une mosaïque d’immigrés francophones

Le mouvement en faveur de la référence française ne concernait pas les seuls Égyptiens, coptes ou musulmans. Il concernait aussi cinq minorités qui joueront un rôle décisif dans le façonnement de la société égyptienne au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle : les juifs – notamment ceux qui étaient protégés par l’empire ottoman –, les Levantins qui ont trouvé refuge en Égypte à plusieurs reprises notamment dans le courant de la deuxième moitié du XIXe siècle, les Grecs, très nombreux dans toute l’Égypte pendant toute la première moitié du XXe siècle, les Italiens et les Arméniens. Pour diverses raisons ces cinq minorités adopteront le français comme langue véhiculaire commune, en grande partie sous l’impulsion des juifs et des écoles de l’Alliance israélite universelle. Ces minorités seront présentes à tous les échelons de la vie sociale. Dans le commerce, l’artisanat, les professions libérales mais aussi parmi les ouvriers et dans le mouvement syndical. Le dialecte égyptien tant dans ses versions cairote, alexandrine ou de Haute-Égypte a arabisé un nombre considérable de termes français utilisés par ces minorités dans différents domaines d’activité. L’arabe égyptien, l’un des éléments les plus importants de l’identité des Égyptiens et de leur rayonnement culturel dans le monde arabe pendant près d’un siècle porte de nombreuses traces du français référentiaire des élites comme du petit peuple d’Égypte.

Un réseau exceptionnel d’écoles

https://journals.openedition.org/dhfles/148#tocto1n4


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