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DÉSOS, Catherine. Les Français de Philippe V : Un modèle nouveau pour gouverner l’Espagne (1700-1724). Nouvelle édition [en ligne]. Strasbourg : Presses universitaires de Strasbourg, 2009. ISBN : 9791034404254. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pus.13470.

Présentation

Coup de tonnerre dans le ciel de la diplomatie européenne ! En novembre 1700, le jeune duc d’Anjou, petit-fils de Louis XIV, hérite de la couronne d’Espagne sous le nom de Philippe V. Une ère nouvelle s’ouvre pour un royaume gouverné, jusque-là, par les Habsbourg, si différent, si contraire, si évidemment ennemi de la France depuis près de deux siècles.

À la fois précautionneux envers les puissances étrangères, mais aussi désirant ménager l’orgueil castillan, Louis XIV ne souhaite pas s’ingérer dans les affaires intérieures de Philippe : « Laissons les Espagnols se gouverner eux-mêmes ». C’est la guerre qui, révélant les faiblesses internes de l’Espagne, nécessitera une union étroite entre les deux royaumes, avec pour conséquence un accroissement du nombre des Français au service du nouveau roi. Peu nombreux, bien placés, actifs jusqu'en 1724, prenant appui sur les novatores, ils influencent l'ensemble des rouages de la monarchie. La vie de cour et artistique, la pratique du gouvernement, l’administration des finances, le système commercial, l’organisation militaire, la politique étrangère, rien ne leur échappe. Mais ce processus réformateur, accéléré dans le contexte guerrier d’alors, ne va pas sans susciter des oppositions internes et des atermoiements, même de la part de Versailles, autant d’obstacles à surmonter.

Les Français de Philippe V : Un modèle nouveau pour gouverner l’Espagne (1700-1724)
Catherine Désos
Préface
José Manuel de Bernardo Ares
Référence électronique du chapitre
https://books.openedition.org/pus/13485

L’avènement des Bourbons en Espagne entraîna, grâce à cette familia francesa, dans un contexte de grand choc culturel ad intra et d’une guerre internationale ad extra, un nouveau modèle sociologique (renouvellement des élites au pouvoir) et politique (renforcement du pouvoir royal par la centralisation de toute l’administration de l’Etat)

 

Préface
José Manuel de Bernardo Ares,
Catedrático de Historia Moderna de la Universidad de Cόrdoba

Il y a quelques années, Catherine Désos publia un excellent livre intitulé La vie du R. P. Guillaume Daubenton, S. J. (1648-1723). Un jésuite français à la cour d’Espagne et à Rome (Publicaciones de la Universidad y Caja Sur, Cόrdoba, 2005). Dans cette biographie, non seulement l’auteur mit en œuvre une méthode de travail dénotant une grande rigueur scientifique, mais aussi, elle contribua à un enrichissement historiographique fondamental en reliant, selon une méthodologie que l’on peut qualifier d’exemplaire, la trajectoire personnelle d’une figure singulière aux plus épineux dossiers du moment, concernant aussi bien la politique intérieure qu’étrangère des deux cours influentes de Madrid et de Rome, sur fond de conflit international.

Aujourd’hui, l’auteur, reprenant cette démarche intellectuelle et l’approfondissant davantage encore, nous offre un nouveau livre où elle effectue une biographie collective de la familia francesa (environ 260 personnes) qui suivit, seconda et conseilla le premier roi bourbon de la monarchie espagnole, Philippe d’Anjou, sur une période courant de 1700 à 1724. Les trois éléments qui structurèrent cette petite, mais bien placée et influente, familia francesa sont – selon Catherine Désos – l’origine française commune, la confiance et l’appui du souverain et la réalité sociale de la cour madrilène alors très conflictuelle. Cette excellente étude de la familia francesa, de la maison française, de l’entourage français, du microcosme français ou de la colonie étrangère française à la cour madrilène, est une méticuleuse analyse prosopographique offrant des portraits individuels détaillés et la description d’une complexe trame relationnelle à travers des réseaux sociaux compacts et structurés autour de Versailles et de Madrid. Elle montre aussi quels sont les vrais auteurs (membres de la maison du roi, ambassadeurs, militaires, confesseurs, etc…) des décisions fondamentales à l’origine des transformations opérées au sein de l’organisation politique de la société espagnole durant ces années décisives et hautement conflictuelles du début du xviiie siècle. L’avènement des Bourbons en Espagne entraîna, grâce à cette familia francesa, dans un contexte de grand choc culturel ad intra et d’une guerre internationale ad extra, un nouveau modèle sociologique (renouvellement des élites au pouvoir) et politique (renforcement du pouvoir royal par la centralisation de toute l’administration de l’Etat), tout juste accepté par les quelques tenants de la tradition réformiste espagnole et par un cercle réduit de novatores.

Entre 1700 et 1724, l’auteur a distingué trois grandes phases chronologiques, selon que l’influence de cette familia francesa fut plus ou moins décisive. Durant les deux premières années (1701-1702), on ôta presque entièrement des mains des Espagnols le maniement des affaires du gouvernement. Louville fut la personnalité centrale de ces premières années, et son programme de réformes constitue la base de tout le nouvel édifice politique bâti durant la seconde phase, qui s’étend jusqu’en 1712. Cette seconde période, dirigée par le tandem Ursins-Amelot, fut celle du pouvoir absolu de la familia francesa, durant laquelle s’opérèrent les profondes réformes du système administratif, financier, religieux et militaire. A partir de cette dernière année et jusqu’en 1724, l’emprise de la familia francesa non seulement se réduit, mais finit par disparaître devant le rôle joué par d’autres groupes nationaux italiens ou flamands, en raison d’une situation internationale conflictuelle qui conduisit les deux couronnes bourboniennes à s’affronter.

Ce travail de recherche fouillé se concentre géopolitiquement sur la cour de Madrid, mais toujours étudiée sous l’angle de ses permanentes relations avec la cour de Versailles et de l’entremêlement des rapports des deux cours bourboniennes avec les autres cours européennes. En privilégiant une étude sur la société de cour, Catherine Désos intègre l’un des courants historiographiques européens parmi les plus prestigieux actuellement. Citons à cet égard, en guise d’exemple, l’Instituto Universitario de la Corte en Europa de l’Université autonome de Madrid (IULCE), dont les immenses et solides publications sur les règnes de Charles Ier, Philippe II et Philippe III ont éclairé et éclairent encore des questions aussi importantes que le pouvoir palatin au sein des maisons royales, le pouvoir politique des conseillers et secrétaires et le pouvoir bureaucratique des hauts magistrats ; l’Europa delle Corti, qui regroupe de prestigieux historiens italiens, parmi lesquels il faut citer Prosperi, Romani, Cattini et Guerzoni ; et, pour finir, l’importante et influente Society for Cour Studies, fondée à Londres en 1995.

L’édifice historiographique bien construit de ce livre, qui compte neuf chapitres, repose sur les fondations substantielles que sont les sources et la bibliographie. Les premières dotent le livre d’un matériel historique neuf et permettent d’élaborer une réflexion historique ex novo ; et la seconde la situe, par une confrontation constante, au niveau des plus intéressantes publications de la communauté scientifique internationale des modernistes. En effet, l’apport des sources, que le lecteur découvrira en bas de page et dans une présentation exemplaire en fin d’ouvrage, est un des atouts scientifiques les plus importants de ce livre. L’exhaustivité des sources françaises et espagnoles, tant manuscrites qu’imprimées, est quasi-totale ; de plus, le chercheur est agréablement surpris par la mise en relation de manière critique des multiples, complexes et contradictoires informations de ces sources.

Pour leur part, les références bibliographiques mettent bien en évidence le côté international de la recherche qui transparaît dans ce livre. La production scientifique de groupes nationaux et internationaux qui travaillent sur des thématiques semblables est citée avec abondance. Enfin, les nouveaux matériaux historiques sont confrontés méticuleusement aux anciens apports historiographiques d’autres auteurs, pour délimiter avec rigueur et précision les avancées de la connaissance historique dans le champ bien particulier de la société de cour. En ce sens, Catherine Désos rejoint une prestigieuse pléiade d’auteurs qui accordent une grande importance au « gouvernement par les clientèles » (Dubost, Coppolani, Onnekink, etc.) et qui affirment que le « fait politique est fondamentalement un fait social » (Root, Genet, etc.) Sur le plan méthodologique, ce livre est sans défaut. Les meilleurs enseignements de deux grandes écoles sont clairement réunis par Catherine Désos. L’Ecole des Chartes, à travers ses illustres représentants (Morel-Fatio, Ozanam, etc.), souligne le rôle irréductible du document, des sources dans la recherche historique. Et l’Ecole de Francfort (Popper, Adorno, Habermas, etc.) met l’accent sur l’impérieuse nécessité de l’esprit critique dès lors qu’on s’occupe des sciences sociales en général et de l’histoire en particulier. Or, ce livre parvient à cet équilibre subtil, si difficile à atteindre, entre « l’objectivité » du document et la « subjectivité » de l’historien, équilibre que Henri Marrou qualifiait de « richesse intérieure ». L’auteur, familière des conclusions actuelles des sciences cognitives (Varela, Lautrey, Mazoyer, Geert, etc.), a obtenu d’excellents résultats historiographiques, parce qu’elle a soumis à une analyse implacable et détaillée tous les éléments, les uns après les autres, recueillis à travers les nombreuses et riches sources qu’elle a consultées. Et, une fois atteinte cette objectivité empirique, elle a organisé cette immense quantité de données d’archives en quelques axes de recherche qui, interprétés comme il se doit, forment les neuf chapitres de ce livre, par ailleurs, très bien écrit. Le lecteur ne pourra qu’apprécier à la fois la rigueur scientifique et l’élégance de l’écriture de cet ouvrage.

Les résultats historiographiques obtenus constituent le troisième sommet d’un triangle intellectuel tout d’abord mûri (l’hypothèse de départ), puis construit (vérification des thèses) par l’auteur. Les sources et la bibliographie forment les deux pointes de la base du triangle, tandis que la méthodologie en occupe le centre et les résultats scientifiques obtenus en forment le sommet supérieur.

Certains résultats (il aurait fallu le dire dès le début) ont contribué à substituer à quelques mythes idéologiques de l’histoire de l’Espagne des modèles d’interprétation raisonnés, suivant en cela la ligne méthodologique de David Ringrose. Il n’est pas facile de résumer en quelques lignes l’ample contenu de ces neuf chapitres si denses. Mais peut-être peut-on s’attacher au moins à deux des grands apports historiographiques. L’un d’eux est l’innovante biographie collective de la familia francesa ; l’autre est le rôle réformateur tenu par certains de ses membres au sein des rouages sociaux, politiques, culturels, économiques et internationaux, dont l’impact est observé tout au long des vingt-quatre premières années du dix-huitième siècle.

L’étude de la familia francesa est un apport historiographique de la plus grande importance, dans la mesure où elle offre à la communauté scientifique des modernistes des connaissances historiques ex novo. Par ce travail, la sociologie politique, développée par Badie et Birnbaum il y a quelque temps, est consolidée, tandis que les principes de base de la sociologie historique, défendue plus récemment par Michael Mann, trouvent leur consécration. On sait désormais que cette « colonie française » à la cour de Madrid, bien enracinée à travers d’étroits réseaux sociaux en France mais aussi en Espagne, a contribué à éloigner des plus hautes sphères du gouvernement de la monarchie les anciennes élites traditionnellement associées au pouvoir, formées par l’aristocratie espagnole (Grands d’Espagne et haute noblesse). Durant les premières années du siècle (au moins jusqu’en 1712), ce sont les membres de la familia francesa qui devinrent les vrais décideurs, supplantant tout type de participation espagnole ; et, lorsqu’ils perdirent ce premier rôle à la cour, ce sont d’autres élites espagnoles qui leur succédèrent et non l’ancienne noblesse, qui demeura définitivement en dehors de ce pouvoir souverain de haute décision. Jusque là, durant la période autrichienne, ce pouvoir souverain était partagé entre le roi et sa haute noblesse. Avec les Bourbons, le pouvoir royal se renforça, ne comptant plus que quelques fidèles serviteurs appartenant tous à une nouvelle « noblesse de service », dans un premier temps entièrement française, puis espagnole et italienne. En conséquence, cette familia francesa transforma de manière radicale, en peu d’années, la composition sociale, non seulement des maisons royales, mais aussi de l’ensemble de la cour madrilène.

L’autre grand apport du livre de Catherine Désos est la mise en relation effectuée entre cette « biographie collective » de la familia francesa et les évènements concomitants de cette époque charnière du début du xviiie siècle. Les mots utilisés par l’auteur elle-même, résumant cette interaction entre biographies et déroulement des évènements, sont ceux de « réforme radicale » sur tous les fronts, commençant par la maison royale, puis s’étendant à toute l’organisation politique de la monarchie espagnole, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Au niveau central, avec le renforcement incontestable du pouvoir royal : le système polysynodal de la dynastie autrichienne est éliminé ; aux niveaux territorial et municipal, les systèmes juridiques et les institutions particulières aux anciens royaumes des couronnes d’Aragon et de Castille disparaissent. Cette réforme substitue à tous les niveaux de l’organisation politique, au vieil Etat plurinational et aristocratique, un nouvel Etat unitaire et méritocratique. Sur le plan international, des transformations radicales se produisirent aussi. Dans la nouvelle Europe dessinée à Utrecht et à Rastadt, la monarchie universelle de France a vécu ; et la monarchie espagnole des Bourbons s’est trouvée réduite à une puissance de second ordre en perdant ses territoires européens et le monopole du commerce ibéro-américain, passé d’abord aux mains des Français, puis des Anglais. La décadence de ces deux empires, l’espagnol et le français, laissait la voie libre à la nouvelle puissance britannique.

Il faut sincèrement remercier Catherine Désos pour ce travail exemplaire dont les résultats, innovants sur bien des aspects et toujours enrichissants, aujourd’hui, en ce début du xxie siècle, s’inscrivent avec bonheur à la suite de ceux obtenus à la fin du xixe siècle par le grand historien français Alfred Baudrillart, qui condensa ses brillantes réflexions dans son immense et désormais classique ouvrage Philippe V et la Cour de France (Librairie de Firmin-Didot, Paris, 1890, 5 vols.).

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