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ANTOINE, Gérald (dir.) ; MARTIN, Robert (dir.). Histoire de la langue française 1880-1914. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : CNRS Éditions, 1999. Disponible sur Internet : . ISBN : 9782271091222. DOI : https://doi.org/10.4000/books.editionscnrs.9255.

Présentation

Le vœu avait été exprimé, en 1975, de voir chacun des tomes à venir s’ouvrir sur un large panorama des faits et surtout des traits saillants de la vie quotidienne, sociale, politique qui ont exercé une influence sur les destins de la langue au long de la période considérée. Celle qui est ici en cause apparaît à cet égard fortement significative : l’instauration d’une école primaire et d’un service militaire obligatoires est un double facteur d’une extrême portée. Le progrès des sciences, la croissance industrielle, la montée des « nouvelles couches » sociales (Gambetta), l’intensité du débat politique qui en découle, le prodigieux développement de la presse, parisienne et plus encore provinciale, sont autant de manifestations majeures hors desquelles les mouvements de la langue ne sauraient prendre sens.

Le français en belgique
Maurice Piron
p. 369-379
Extrait
Référence électronique du chapitre
https://books.openedition.org/editionscnrs/9279

Pour la bourgeoisie flamande, qui n’usait des dialectes flamands que comme d’une langue vernaculaire, le néerlandais présentait le visage d’un idiome presque étranger

I) L’amalgame

Pour comprendre la situation du français en Belgique dans la période qui forme charnière entre les xixe et xxe siècles, il est utile de remonter aux années qui ont précédé la création du Royaume de Belgique en 1831.

Au lendemain des victoires de la France à Jemappes (1792) et à Fleurus (1794), l’incorporation des Pays-Bas autrichiens et de la principauté de Liège à la France (1795) unifia administrativement des territoires et des populations ayant jusqu’alors vécu sous des régimes différents. Cet amalgame, qui est à l’origine de la future Belgique, fut séparé de la France après la défaite de Waterloo pour être rattaché à la Hollande par le congrès de Vienne. Quinze ans plus tard, la révolution de 1830 détachait du royaume des Pays-Bas les provinces belgiques : celles-ci conquéraient leur indépendance pour former un État nouveau.

Comme les entités politiques dont il représentait à la fois l’aboutissement et la transformation, cet État était bilingue, en ce sens qu’il juxtaposait deux groupes ethniques : les Flamands au nord, les Wallons au sud de la vieille frontière linguistique qui traverse le pays d’est en ouest depuis que s’était fixée, dans le haut moyen âge, une ligne de démarcation entre populations germaniques et romanes. Cette frontière n’avait jamais constitué une barrière pour la pénétration du français dans les provinces flamandes ; durant la seconde moitié du xviiie siècle, le mouvement de francisation avait gagné les couches sociales élevées et même la bourgeoisie des petites villes.

Sous le régime hollandais (1815-1830), les mesures du roi Guillaume Ier allaient inaugurer, à partir de 1819, ce qui deviendra la question des langues en Belgique. Le but du gouvernement était d’enlever à la langue française, au moins dans les provinces flamandes, le statut de langue officielle qu’elle occupait en fait depuis le régime français. Les griefs linguistiques des Belges s’exacerbèrent après l’entrée en vigueur, en 1823, des arrêtés qui faisaient du néerlandais, langue nationale, la langue de la vie administrative et judiciaire. Cette politique de néerlandisation se heurta à une résistance tant dans les provinces flamandes que dans les provinces wallonnes. Pour la bourgeoisie flamande, qui n’usait des dialectes flamands que comme d’une langue vernaculaire, le néerlandais présentait le visage d’un idiome presque étranger, à quoi s’ajoutait la méfiance d’une Flandre catholique en face de la Hollande protestante. Quant aux Wallons, dont la langue de culture était depuis des siècles le français, leur opposition fut décisive : c’est elle qui arma le bras des révolutionnaires liégeois lors des journées de Bruxelles, en septembre 1830.

II) Une nation francophone

Née d’une séparation violente motivée en partie par un différend linguistique, la Belgique, on ne s’en étonnera point, fit de la langue française la langue du nouveau royaume indépendant.

Dès le 16 novembre 1830, le gouvernement provisoire avait proclamé le français langue officielle du pays. Sans doute, la Constitution belge votée le 7 février 1831 reconnaissait en son article 23 : « L’emploi des langues usitées en Belgique est facultatif ». En fait, les lois et arrêtés n’étaient promulgués qu’en français ; on les traduisait alors en flamand, c’est-à-dire dans une langue dialectalisée, variant selon les grandes régions et passablement différente du néerlandais écrit. Le régime des traductions sera supprimé en 1898 : désormais la promulgation des lois se fera dans les deux langues : français et nederlandsch.

En 1840, il y a en Belgique vingt-huit journaux quotidiens : tous sont rédigés en français. Mais quelques brèches vont bientôt entamer ce monopole linguistique.

Les premières escarmouches du taalstrijd (combat pour la langue) ont débuté aux alentours de 1840 par des libelles et des pétitions. Limitée encore aux milieux intellectuels, cette première phase du mouvement flamand se caractérise à la fois par son esprit antifrançais et son souci de restaurer le parler des Flandres menacé d’abâtardissement par la « gallomanie ». En 1856, avec le rapport de la Commission des griefs flamands, débute l’action qui sera poursuivie sans désemparer pour faire voter au Parlement, et non sans d’âpres résistances du côté francophone, l’appareil législatif qui, progressivement, réalisera l’égalité juridique des deux langues nationales. Une dernière étape sera franchie, au xxe siècle (à partir de 1932), avec l’unilinguisme officiel en Flandre en éliminant le français des actes de la vie publique, y compris l’enseignement.

[…]

Auteur
Albert Salon

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