
CHAPITRE XVII
LOUIS LE LION, ROI D’ANGLETERRE !
Le légat Gallon a quitté Mel un furieux et décidé à passer en Angleterre au plus vite. Le roi Philippe lui a donné le sauf-conduit qu’il réclamait pour atteindre la côte sans encombre, mais le roi, toujours impassible – un peu narquois peut-être – a cru bon d’ajouter qu’il ne répondait de sa sécurité qu’à l’intérieur du domaine royal.
– « Ne me tenez pas pour responsable de quelque contretemps fâcheux, si vous tombiez entre les mains du moine Eustache et des hommes de mon fils Louis qui gardent les abords de la mer ».
Qui était donc cet Eustache dont le nom faisait figure d’épouvantail ? Un personnage pittoresque assurément. li avait commencé sa carrière agitée sous l’habit monastique, d’où son surnom. Tenté par l’aventure et se sentant pl us guerrier que moine, il n’avait guère tardé à jeter son froc aux orties. Devenu corsaire de grande réputation, il mit alors ses talents au service du roi d’Angleterre, lequel, en récompense de grands succès sur mer, le laissa bientôt régner à sa guise sur Guernesey et les îles voisines où il avait accumulé u ne immense fortune, fruit de pirateries de toutes sortes. Plus tard, une haine mortelle, née d’obscures raisons, succédait à cette fructueuse entente, si bien que nous retrouvons l’habile corsaire enrôlé sous les bannières de France, en ce printemps plein de périls pour la couronne du Sans Terre.
Eustache le Moine est u n homme d’action. Dans Londres, les rebelles s’impatientent et se croisent les bras ; à Paris, il semble y avoir quelques hésitations ; mais à Calais, les préparatifs vont bon train . Depuis sa nomination à la tête de la flotte, le corsaire pirate n’a pas perdu son temps : il a rassemblé plus de six cents navires et les équipages nécessaires. A terre, une troupe nombreuse est prête à embarquer au premier signal, si bien qu’à l’arrivée de Louis le Lion et de ses barons, il ne reste qu’à attendre des vents favorables pour mettre à la voile et aller cueillir la vacillante couronne des Plantagenêt.
Avant de quitter Melun pour Calais, le futur roi d’Angleterre -si Dieu le veut -a pris quelques précautions pour assurer ses arrières. Dès le départ de maître Gallon, il a plaidé à nouveau sa cause à la cour, de crainte que le roi n’ait été ébranlé par la mauvaise humeur du cardinal légat.
– « J’ai fait serment de venir au secours des barons d’Angleterre. Je ne puis m’y soustraire et préfère être excommunié pour un temps, plutôt que manquer à ma parole ».
Le roi Philippe est bien du même avis mais, fidèle à sa tactique, il ne donne pas ouvertement son accord : il ne permet pas, il laisse faire.
La différence est assez mince. La feinte désapprobation, un peu trop transparente, ne trompera sans doute pas le pape Innocent, aussi Louis le Lion dépêche-t-il à Rome trois chevaliers chargés d’informer respectueusement le Saint Père des intentions de leur maître, et de le justifier, en expliquant ses motifs.
Innocent III , très irrité, se radoucit quelque peu en recevant les délégués du prince Louis, car il considère cette démarche comme une marque de déférence. Toutefois, la démonstration concernant la vacance du trône d ‘Angleterre ne porte pas plus à Rome qu ‘à Melun devant le légat. Les pairs de France n’avaient aucune qualité leur permettant de juger un roi d’Angleterre. De toutes façons, ajoute le pape, Blanche ne peut reporter sur son époux, le prince Louis, un droit qui ne serait pas le sien, même si le roi Jean s’en trouvait privé. En effet , Alphonse, roi de Castille et père de Blanche, a plus de droit qu’elle à recueillir le royaume Plantagenêt, en vertu du vieil adage :« Le mâle exclut la femelle ». A défaut du roi de Castille, il resterai t encore sur les rangs la reine de Léon, Bérangère, sœur aînée de Blanche, dont les prétentions seraient plus justifiées.
[…]
Lire sur Google livres