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MOULINIER, Pierre. Les étudiants étrangers à Paris au XIXe siècle : Migrations et formation des élites. Nouvelle édition [en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2012 (généré le 21 avril 2021). Disponible sur Internet : http://books.openedition.org/pur/132642. ISBN : 9782753569010. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.132642.

Quatrième de couverture

Une forme mineure de mondialisation s’opère au XIXe siècle, celle que provoquent les échanges universitaires, et notamment les migrations étudiantes : à la Belle Époque, profitant d’une politique universitaire très libérale de la France, de l’attrait international de Paris et de la position dominante des facultés parisiennes dans le marché national estudiantin, le Quartier latin attire de plus en plus la jeunesse des cinq continents, du Canada au Japon et de l’Argentine à la Russie. Les raisons de cet accroissement sont multiples : outre la diplomatie universitaire très ouverte de la France et l’accueil de persécutés et de réfugiés, dont les Polonais ou les juifs de Russie, citons la demande de formation supérieure des élites des États-nations nouvellement indépendants (Grèce, Bulgarie, Serbie) ou sortis de la colonisation (Amérique latine), les retombées de l’influence culturelle de la France (Égypte, Empire ottoman, Roumanie) et plus largement l’attrait de la culture française et la francophonie. Ce faisant, les universités françaises, et en premier lieu celle de Paris, entrent en concurrence avec les universités des autres grandes nations occidentales (Allemagne, Angleterre, Autriche) dans le cadre d’une compétition internationale en vue d’attirer les étudiants étrangers, censés être des facteurs d’influence des valeurs et des intérêts français à leur retour dans leur pays.

Qui sont ces étudiants venus d’ailleurs ? L’ouvrage s’attache à décrire leurs origines géographiques, leurs appartenances religieuses et sociales, leur niveau d’études et met en valeur une catégorie exceptionnelle d’étrangers : les étudiantes, constamment plus nombreuses que les Françaises avant la Grande Guerre. L’évolution du nombre des étudiants étrangers au long du siècle est décrite ainsi que leurs choix disciplinaires, les études qu’ils suivent, les diplômes qu’ils recherchent, leurs résultats scolaires et leur avenir professionnel, qu’ils s’établissent en France, ce qui est assez rare, ou retournent dans leur pays. Enfin, le livre évoque la vie quotidienne, matérielle et intellectuelle, de ces étudiants, leurs lieux de réunion, leurs activités politiques et sociales et les relations qu’ils peuvent nouer avec leurs compatriotes ou leurs camarades français.


EXTRAITS


Préface
Victor Karady
p. 7-16

Cet ouvrage d’une conception monographique porte sur un sujet apparemment bien délimité, les étudiants étrangers accueillis par les facultés parisiennes durant le long XIXe siècle, et surtout à la Belle Époque. Il traite en réalité un immense objet touchant aux conditions sociales de la formation des nouvelles élites européennes – voire pour partie mondiales – au moment historique où le déclin des anciens régimes permet à celles-ci le passage à la modernité des sociétés industrielles. Il prend en compte l’ensemble des pays dont provenaient des étudiants, et ceux-ci pouvaient s’inscrire dans l’ensemble du champ universitaire français, ce qui constituait un dispositif d’accueil privilégié, étant donné son pouvoir d’attraction qui n’avait de rival à l’époque de la IIIe République que dans les universités de l’Allemagne impériale. Il est donc destiné à servir d’ouvrage de référence à tous ceux qui s’intéressent à ce grand problème d’histoire sociale de l’Europe contemporaine que constituent les échanges universitaires. Dans ce contexte, le cas français semble en effet doublement exemplaire. La France a été, selon tous les indices chiffrés, le plus important pays récepteur et intégrateur d’étudiants étrangers pendant la haute époque des pérégrinations en question, c’est-à-dire entre la fin du XIXe siècle et la Seconde Guerre mondiale. De plus, ses autorités étatiques, de concert avec les principaux représentants de l’université, n’ont pas beaucoup varié dans la poursuite d’une politique presque toujours systématiquement favorable à l’accueil de ceux qui venaient du dehors de l’Hexagone à la recherche d’une formation supérieure.


[…]


La langue d’enseignement a été et est restée, depuis le passage du Latin aux langues vernaculaires, érigée par les élites dominantes en langues dites nationales, un critère décisif dans les choix du pays d’immigration scolaire. Ce processus de nationalisation du régime éducatif se généralise, on le sait, dans les décennies qui encadrent l’an 1800, partout en Europe. Toutefois, autant on peut en identifier assez bien les directions, autant il est malaisé d’en évaluer le poids avec quelque précision. C’est probablement cependant l’un des facteurs essentiels qui permettent à la France de continuer à exercer tout au long du XIXe siècle un attrait majeur sur les candidats étrangers aux études, alors que la qualité des universités de recherche à la Humboldt dépassait à coup sûr celle de l’offre d’études à base souvent largement rhétorique des facultés françaises. L’hégémonie du français avec son statut de langue culturelle universelle acquis aux temps des Lumières – incontestée dans la diplomatie, dans les relations culturelles internationales, voire pendant longtemps dans toute la « république des lettres et des sciences » – ne sera mise en question qu’au XXe siècle, d’abord dans la partie septentrionale de l’Europe. Le continent pouvait être tout au long du XIXe siècle encore aisément divisé en grandes zones culturelles selon la langue étrangère adoptée par les élites et préférentiellement promue dans l’horaire de l’enseignement secondaire. Avec quelques variations et évolutions dues surtout aux alliances géopolitiques, cette situation ne s’est pas beaucoup modifiée avant la montée en puissance culturelle – modeste – de l’Italie fasciste, et surtout avant la soviétisation des pays de l’Est. Si l’Autriche-Hongrie et les Pays Baltes, y compris les États-nations successeurs, ont formé des colonies culturelles proprement germaniques, les pays scandinaves ont partagé dès l’abord les influences allemande et britannique et les régions méridionales du continent, notamment tout le pourtour de la Méditerranée, sont demeurées francophones, alors que les autres territoires avec la Russie, la Pologne, la Roumanie, la Bulgarie et la Serbie ont été exposés à part plus ou moins égale à l’empreinte de la francophonie et de la germanophonie. La langue étrangère localement dominante a surdéterminé en quelque sorte la direction des pérégrinations en l’inscrivant de génération en génération dans les stratégies traditionnelles d’ascension sociale.

[…]


Introduction

p. 17-32


Au cours du XIXe siècle, plusieurs milliers d’étudiants, et plus tardivement d’étudiantes, venant de tous les continents, ont pris la malle-poste, la diligence, le bateau, le train, pour se rendre au Quartier latin où ils ont trouvé à se loger, en vue d’entreprendre des études dans une faculté parisienne. Ces « étudiants d’ailleurs », ces « visiteurs à bagage intellectuel », comme les nomme Caroline Barrera, sont des migrants, des résidents temporaires non travailleurs ou des voyageurs d’étude plutôt que des émigrés ou des immigrés, leur dessein n’étant que rarement de s’établir en dehors de leur pays, mais certains réussissent à faire carrière en France. Ils constituent un chapitre important de l’histoire des relations culturelles internationales.

[…]


Chapitre I. La France et Paris dans le marché universitaire mondial

p. 33-75 (Extraits)

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Pourquoi les étudiants étrangers vont-ils en France plutôt qu’ailleurs et qu’est-ce qui les motive à choisir Paris plutôt que Berlin, Vienne, Londres ou Édimbourg ? L’absence d’offre d’enseignement supérieur dans leur pays ? La qualité de l’enseignement supérieur français ? La facilité à obtenir nos diplômes ? L’efficacité de la propagande française ? Une francophilie débordante, voire la francophonie ? La réputation de la France et notamment la séduction de la vie parisienne ? Le caractère peu onéreux des études ? Les facilités de séjour ? Les traités et conventions diplomatiques passés avec la France ? Les relations économiques entre notre pays et le pays d’origine ? Ou encore l’ouverture plus libérale de la France aux immigrés, voire aux persécutés et aux minorités ethniques ? Toutes ces raisons existent, mais les motivations de ces jeunes gens et jeunes filles diffèrent d’un individu à l’autre, d’une époque à l’autre, d’un pays à l’autre, et l’on manque de monographies qui les mettraient à jour. Il ne faut sans doute pas minimiser l’importance des impulsions personnelles, ici impossibles à établir sauf à consulter des documents privés tels que des correspondances ou des journaux intimes, mais les motivations nationales et les facilités qui peuvent être accordées aux candidats au voyage jouent un rôle essentiel dans la décision de leur départ.

Les migrations étudiantes découlent de la rencontre de deux volontés, celle de l’étudiant ou de ses parents et celle du pays d’accueil. L’aspiration du premier peut être contrecarrée par le refus du second. Mais un troisième facteur intervient, qui est le désir de la patrie de l’étudiant de l’envoyer se former à l’étranger. Victor Karady explique ces migrations par la présence de deux moteurs : l’attraction et la poussée. Certains pays ou certaines universités agissent comme un aimant, d’autres nations incitent à la migration pour leurs besoins de développement ; mais parfois l’incitation au voyage de formation émane de minorités ou de sociétés exclues de l’offre locale de formation. La motivation du jeune voyageur peut ainsi être individuelle, nationale ou communautaire. Elle s’intègre de toute façon dans les rapports internationaux.

En dépit de mouvements d’hostilité qui sont à la fin du siècle surtout le propre des étudiants français en médecine, des médecins et des syndicats médicaux naissants, la France se distingue tout au long du XIXe siècle dans le concert européen par l’accueil très libéral réservé aux étudiants étrangers. Elle accorde généreusement la liberté d’étudier en France en vue de n’importe quelles études, sauf à celles qui conduisent aux concours nationaux pour les postes de la fonction publique qui sont réservés aux Français, ce qui n’est pas le cas dans la plupart des autres pays occidentaux. Cette politique ne connaîtra pas de fléchissement au XIXe siècle, même si de temps à autre, des restrictions à l’accès à l’enseignement supérieur sont formulées, restrictions qui touchent d’ailleurs autant les Français que les étrangers. L’ouverture généreuse des facultés françaises n’est bien sûr pas dépourvue d’arrière-pensées politiques, culturelles et même économiques. Les universitaires prêtent leurs concours à cette politique de recrutement d’étudiants étrangers en instaurant une sorte de diplomatie culturelle et en multipliant les aides à l’accueil et au séjour de ces hôtes du pays.


La « seconde patrie du monde instruit »

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La prise en considération par la France de l’apport des étudiants étrangers remonte à la monarchie de Juillet, au moment où ceux-ci commencent à être suspectés de faire concurrence aux médecins français, et justement en vue de contester cette hostilité. Dans une circulaire du 26 juillet 1840 adressée aux recteurs, le ministre de l’Instruction publique Victor Cousin écrit :

« La noble hospitalité que la France a toujours offerte aux étrangers, et l’antique réputation de ses grandes écoles scientifiques, juridiques et littéraires ont sans cesse attiré un grand nombre de jeunes gens de diverses contrées qui viennent puiser parmi nous les connaissances qu’ils apporteront ensuite dans leur patrie. Il convient de favoriser ces habitudes dans l’intérêt de la gloire du nom français, et aussi dans l’intérêt de nos établissements universitaires. »

En 1846, alors que le gouvernement a entrepris une profonde réforme des études médicales, le ministre Salvandy conclut les travaux de la Haute commission des études médicales qu’il a réunie en 1845-1846 en rappelant la tradition française d’hospitalité :

« Si les étrangers abondent en France, explique-t-il, c’est que la France est la seconde patrie de tout le monde, et surtout du monde instruit. Cette disposition générale à se porter chez nous fait partie de l’ascendant que la France n’a jamais cessé d’exercer même après ses grands désastres : il faut faire une part à cet ascendant. Ce qui importe surtout, c’est d’obtenir la garantie que le médecin qui aspire à exercer en France est à la fois un homme capable et un homme honorable et moral. »

Cette politique d’ouverture, loin de fléchir quand la IIIe République naissante réforme en profondeur l’enseignement supérieur, ce qui provoque l’accroissement des effectifs étudiants dans les facultés, est prolongée et renforcée dans le second XIXe siècle. Le mot d’ordre est alors le rayonnement de la France et secondairement l’usage de la langue française à l’étranger. À quoi peut-on attribuer cette tradition d’ouverture de la France ? Victor Karady avance plusieurs explications qui s’appliquent aux débuts de la IIIe République, des « faiblesses relatives d’un système universitaire récemment modernisé et toujours en quête de modernisation » au « besoin de compenser symboliquement la grande défaite de 1870 par le “rayonnement culturel”, aux propriétés d’une société d’immigration en perte de vitesse démographique qui organise l’assimilation de ses allogènes par la scolarisation (même supérieure), à l’importance attribuée à la gestion d’un patrimoine culturel – la francophonie – susceptible encore, au tournant du dernier siècle, d’être regardé comme hégémonique en Europe (sinon dans le monde), enfin, peut-être, au fait que la France, n’ayant pas comme l’Allemagne, de colonies de peuplement européennes qui lui seraient culturellement et linguistiquement rattachées, n’a pas de repères en termes de parentés historiques ou d’affinités culturelles pour établir une hiérarchie simple entre étrangers plus ou moins désirable ». Cette politique d’ouverture, qui distingue la France de l’Allemagne ou de l’Autriche par exemple, perdurera jusqu’aux années 1930, années marquées par des mesures restrictives à l’égard des étudiants étrangers, notamment des étudiants en médecine.

Un marché universitaire aux échanges inégaux

Il s’agit d’abord pour les universités françaises, et principalement la parisienne, de se développer tant au plan quantitatif que qualitatif. Pour les universitaires, la finalité est d’augmenter le prestige des facultés françaises tout en assurant un accroissement de leurs ressources financières grâce à l’augmentation de leurs effectifs. Pour les hommes politiques, la qualité de notre enseignement supérieur doit contribuer au rayonnement et au prestige de la France. En attirant des étudiants étrangers, on crée par le biais des diplômés de retour dans leur pays, des cohortes d’ambassadeurs de la culture française dans le monde entier.

Cette stratégie a l’inconvénient de heurter les intérêts des universités des pays dotés des mêmes capacités scolaires et intellectuelles. Comme l’a montré Victor Karady, la demande et l’offre d’études supérieures s’intègrent bien avant le XIXe siècle dans une sorte de marché universitaire européen qui prend une dimension mondiale dès le milieu du siècle. Au Moyen Âge, l’offre d’études est limitée à l’Italie, à la France et à l’Angleterre, dont les universités attirent les étudiants du reste de l’Europe, en particulier ceux des pays germaniques et scandinaves. À l’époque moderne, dès le XVIe siècle, le réseau des universités s’étend pour couvrir la majorité de l’Europe, notamment l’Europe centrale (Allemagne, Bohème, Pologne), méridionale (Espagne) et septentrionale (Suède). Dès le XVIIIe siècle cependant, un phénomène de « nationalisation » commence à émerger. Les États confèrent à leurs universités une tâche de politique intérieure autant qu’extérieure.

« Désormais les universités seront non seulement intégrées dans la gestion des États, mais encore elles serviront d’instruments essentiels à l’affirmation de la dignité et de la puissance nationale sur le mode symbolique (que couvre bien le sens du mot “rayonnement”). […] Dans ce nouveau cadre universitaire, les études à l’étranger des nationaux dans l’Occident développé disposant d’universités furent pratiquement interdites, au lieu d’être, comme autrefois, encouragées. L’idéal de culture pour les classes dirigeantes montantes est devenu une éducation nationale, au sens propre, puisque les universités étaient désormais chargées d’inculquer les valeurs culturelles (et politiques) de l’État nation. Les étrangers, au sens contemporain de citoyens d’autres États, se rangent individuellement parmi les autres usagers et participent nécessairement, ne serait-ce que par le biais de la langue d’enseignement, à la réception des valeurs nationales diffusées dans les universités. »

Il s’agit ainsi pour les pays développés d’Occident de limiter les études à l’étranger de leurs ressortissants autant que d’acculturer les étrangers qui les visitent. Ce qui fait dire à George Weisz que cette politique d’expansion culturelle vise à se concilier les classes dominantes françaises.

Le développement des grands centres universitaires de l’Ouest européen crée au XIXe siècle une concurrence entre eux :

« Une compétition internationale de nouveau type [s’instaure] en tant qu’un des éléments constitutifs du marché international de l’enseignement supérieur en Europe où la lutte pour attirer des étudiants étrangers fait partie des stratégies d’hégémonie et d’extension des zones d’influence politique des grandes puissances par le biais de clientèles formées dans leurs universités nationales et provenant de certains pays ou régions visés. »

Trois « modèles » dominants, le français, l’allemand et le britannique, sont en lutte à la fin du siècle pour capter la demande des pays sous-développés en matière de formation de cadres nationaux et désireux de moderniser leur appareil universitaire, politique, administratif, scientifique, sanitaire et social. La France, l’Angleterre et l’Allemagne ont en commun, pour reprendre la remarque d’un contemporain, J. Novicow, de posséder un « outillage intellectuel complet », qu’il s’agisse d’enseignement ou d’édition. À la veille de la Grande Guerre, ces trois pays possèdent un nombre à peu près équivalent d’universités : 16 en France contre 20 en Allemagne et 19 en Angleterre, mais on en compte 21 en Italie, et seulement 7 en Autriche-Hongrie et 10 en Russie. À l’inverse, les nouvelles universités des nations émergentes possèdent trois handicaps majeurs : des équipements (bibliothèques, laboratoires) rudimentaires, une panoplie incomplète de disciplines enseignées et des conditions de séjour des étudiants limitées. Ces nations en quête de modernisation et de développement ont donc besoin de confier leurs futurs cadres aux universités des nations dominantes.

« Vues de Moscou, de Budapest ou de Varsovie, explique Victor Karady, le monde intellectuel occidental et ses agences constituent des sommets et des “valeurs sûres” de la haute culture universelle. Il s’agit donc d’une sorte de capital culturel collectif accumulé au travers des âges qui apparaît sous une forme consolidée et institutionnelle dans les grands établissements d’enseignement supérieur de Berlin ou de Paris. »

Les diplômes des universités occidentales sont donc pour elles un bien recherché.

« Un diplôme français, ajoute Victor Karady, est en général reconnu sans difficultés dans les pays francophones et, plus largement encore, étant donné le prestige traditionnellement reconnu au système universitaire de l’Hexagone, dans d’autres pays européens aussi, ne serait-ce que sélectivement. […] Un diplôme de lettres françaises octroyé par une faculté française ou son équivalent d’allemand obtenu dans un pays germanophone garantissait un surcroît de poids à la certification partout où ce type de diplôme pouvait être utilisé. »

La suprématie des nations occidentales repose ainsi sur « l’inégalité de développement des appareils universitaires dans les différents pays d’Europe ».

[…]


L’université dans la politique étrangère de la France
La politique des œuvres

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Un autre aspect de la politique d’accueil des étudiants étrangers est le soutien à la création d’institutions étrangères en France ou la fondation d’œuvres françaises en leur faveur, notamment d’œuvres confessionnelles créées dans l’idée d’une France protectrice des communautés chrétiennes d’Orient. L’histoire des relations méditerranéennes de la France explique le privilège accordé à deux nations musulmanes, l’Égypte et la Turquie, et l’afflux de leurs ressortissants dans les facultés parisiennes. La France accueille des missions d’étudiants égyptiens et des établissements ottomans dès la première moitié du siècle et envoie ses universitaires fonder des facultés dans ces pays.

La coopération franco-égyptienne

En dépit de la concurrence anglaise, la France conserve tout au long du siècle de fortes positions intellectuelles en Égypte après la campagne napoléonienne. L’Égypte est placée jusqu’en 1914 sous la tutelle de l’Empire ottoman, mais elle obtient une large autonomie en 1833. Un signe concret de l’amitié franco-égyptienne est l’envoi à Paris sous la Restauration et la monarchie de Juillet de jeunes Égyptiens qui viennent y recevoir une formation secondaire et supérieure. En 1818, le pacha d’Égypte avait envoyé un premier étudiant en Italie. Entre 1826 et 1835, le Pacha Mehemet Ali envoie des missions en vue de former des jeunes gens à diverses disciplines : la première mission de 44 personnes, dont un certain nombre de sujets ottomans, ne passe pas inaperçue. Ces étudiants égyptiens, accompagnés de leur imam, Rifa’a al Tahtawi, qui publiera un récit de son séjour à Paris, sont accueillis dans la première École égyptienne de Paris fondée en 1826 à l’initiative d’Edme François Jomard, qui a fait partie de l’expédition d’Égypte ; elle est supprimée en 1835. Certains destinés à la marine partent à Brest, d’autres vont travailler dans une ferme expérimentale ; la plupart apprennent le génie et l’artillerie, dont Ali Mubarak, le droit et la médecine. En 1833, elle comptait 115 élèves. L’un d’entre eux, Ali Heybah, né au Caire, arrivé en 1826 à Paris, est reçu docteur en médecine. En 1848, le directeur de la mission égyptienne, Stephan Bey, demande au ministère de l’Instruction publique de créer une commission chargée d’examiner un élève de la Mission, Abdallah Saïd Effendi, qui se destine à professer l’administration générale en Égypte. En 1811 et 1815, la Perse envoie à son tour un petit groupe d’étudiants en Europe.

Sous le Second Empire, plusieurs missions scolaires se succèdent dans la capitale : une promotion de 20 élèves est envoyée à Paris en 1855 ; en 1862, 14 nouveaux élèves viennent se perfectionner en médecine et chirurgie, suivis jusqu’en 1868 par une vingtaine d’étudiants. Enfin, en 1869, à l’initiative du colonel Mircher-Bey, l’Égypte, seule nation probablement à prendre cette initiative, loue un local au 97 boulevard Saint-Michel qui abrite une nouvelle École égyptienne ainsi qu’un pensionnat calqué sur les lycées français : elle reçoit 60 élèves inscrits dans les établissements secondaires et des facultés et partagés entre ceux qui suivent l’enseignement secondaire français et ceux qui fréquentent les facultés et les grandes écoles. La guerre de 1870 met fin à cet établissement.

L’une des marques de l’influence française en Égypte est la mission confiée par le vice-roi d’Égypte à un groupe de jeunes médecins français, dont le fameux Clot-Bey (1793-1868), officier de santé devenu docteur en médecine. Le Dr Clot, qui devient Clot-Bey, chargé dès 1825 de l’organisation du système sanitaire égyptien, fonde en 1827 sous le règne de Mehemet Ali l’École de médecine et de chirurgie du Caire sur le modèle français et avec un encadrement français, à laquelle il adjoint ensuite une école de sages-femmes et une école vétérinaire. L’École de médecine, qui forme surtout des officiers de santé, les médecins préférant aller se former à Paris, aura longtemps un directeur et des professeurs français. L’enseignement français à l’École – devenue la faculté de médecine du Caire – est menacé quand l’Égypte passe en 1882 sous le contrôle de la Grande-Bretagne. Sous prétexte de réorganiser l’enseignement, un décret du Khédive y nomme un directeur et des professeurs anglais, ce qui aurait provoqué le départ d’élèves de la faculté pour l’université libre de Beyrouth. Selon le rapport du professeur Lannelongue rédigé en 1897, la faculté du Caire « périclite aujourd’hui et se désagrège, malgré les efforts des Anglais. Elle ne compte pas moins de quinze professeurs et elle ne reçoit cette année que dix-sept élèves, parmi lesquels huit Arméniens ».

C’est justement pour conserver – contre l’Angleterre – l’influence française en Égypte qu’est fondée en 1890, à l’initiative du sénateur Boulanger et de M. Bouteron, administrateur des Domaines, l’École française de droit du Caire, dont le directeur et les enseignants sont français et nommés par le gouvernement. L’École du Caire est rattachée à l’université de Paris. Cette création est évidemment mal vue des Anglais qui, en représailles, mettent beaucoup de mauvaise volonté à reconnaître les parchemins français ; mais le résultat est aussi une légère augmentation des étudiants anglais à la faculté de droit de Paris (sept en 1903, dix en 1904), certains d’entre eux étant désireux d’acquérir une formation apte à les aider à exercer une profession en Égypte.

La faculté de droit, qui ne compte que deux professeurs en 1891, en possède sept en 1914. Les élèves, qui sont tenus de préparer et d’obtenir le baccalauréat français, suivent le même programme qu’en France et peuvent obtenir leur diplôme, soit dans une faculté française, soit devant un jury français dépêché au Caire. Au conseil de l’université de 1912, il est déclaré qu’en 1911, une convention est intervenue aux termes de laquelle les étudiants du Caire passent dans leur École les examens de première et de deuxième année devant un jury de professeurs de droit de l’université de Paris. Le professeur Berthelémy, qui a présidé le premier jury, déclare dans son rapport que l’École du Caire ne reçoit du gouvernement français qu’une subvention insuffisante ; aussi les étudiants sont-ils tenus de payer non pas seulement les droits d’inscription, de bibliothèque et d’examens perçus par l’université de Paris ou le Trésor français, mais ils doivent aussi supporter les frais de jury et contribuer à la rétribution de leurs professeurs et à l’achat des livres de la bibliothèque. L’université ne peut subventionner l’École du Caire, mais il est choquant qu’elle reçoive de chaque étudiant égyptien dix francs de droit de bibliothèque alors qu’elle ne contribue pas à l’entretien de la bibliothèque de l’École ; il est équitable d’employer à leur profit les droits de bibliothèque versés par les étudiants du Caire. Le professeur demande en conséquence que le conseil vote un crédit de 3 000 francs à la bibliothèque de la faculté de droit pour l’achat de livres qui figureront au catalogue et resteront la propriété de la faculté, mais seront mis en dépôt à l’École du Caire.

Cette institution reçoit des étudiants provenant des différentes écoles libres ou de l’administration gouvernementale. Le nombre des étudiants passe de 13 étudiants en 1891 à 410 en 1913. Dans son Rapport pour l’année 1896-1897, le doyen de la faculté de droit se plaint d’une baisse des élèves égyptiens, de 64 à 40, malgré les efforts de l’École du Caire ; il constate une mauvaise volonté des autorités britanniques à reconnaître la valeur des diplômes français. En 1913, les 410 étudiants se répartissent ainsi : 250 Égyptiens, 70 Turcs, 35 Grecs, 12 Italiens, 22 Français, 5 Austro-Hongrois, seize de diverses nationalités ; les neuf dixièmes ont été élèves des écoles primaires et secondaires françaises, notamment au Caire et à Alexandrie. Dans le Rapport pour 1902-1903, le doyen sépare les 360 étrangers de sa faculté en trois catégories : 233 font leurs études de licence ou doctorat comme les Français ; 62, après des études à l’École du Caire, viennent passer leurs examens à Paris ; enfin 65 sont seulement immatriculés, passent une ou deux semaines à Paris et se contentent d’un certificat d’assiduité pour que le temps passé en France leur soit compté dans leur pays. Parmi les 233 « sérieux », on compte 96 Roumains, 22 Russes, 17 Turcs, 15 Serbes, 13 Grecs, 12 Bulgares ; parmi les 65 immatriculés, 16 Allemands, 15 Austro-hongrois, 8 Suisses, 7 Luxembourgeois, 3 Anglais.

En 1897, le professeur de médecine Lannelongue rend compte au conseil des facultés de Paris d’un voyage au Proche-Orient qui l’a mené au Caire : il précise que les Anglais ont l’intention de fonder au Caire une école de droit où seraient enseignés à la fois les droits français et anglais. En 1909 une université privée est inaugurée au Caire, et ce n’est qu’en 1925 qu’est créée une université d’État dans la capitale de l’Égypte.

L’accueil des Ottomans

La coopération franco-turque prend dès le début du XIXe siècle des formes multiples, médicales, hospitalières, militaires et éducatives, en particulier grâce à la fondation d’établissements religieux d’enseignement secondaire. À Paris, cette coopération s’incarne dans deux institutions, le collège arménien et l’école impériale ottomane.

Le collège arménien

En 1865, le ministère de l’Instruction publique refuse d’assimiler au baccalauréat français le certificat de capacité du collège arménien mekhitariste de Paris. Le collège arménien, collège privé catholique de la congrégation des mekhitaristes de Samuel Moorat (1760-1816), toujours présent à Sèvres (92), est fondé à Padoue en 1834, puis établi à Paris par ordonnance royale de 1846 sous la dénomination de collège arménien Samuel Moorat, par les soins et aux frais de l’académie arménienne des mekhitaristes de Venise ; il est placé sous la protection spéciale du Gouvernement français. Le discours d’ouverture du collège arménien le 4 septembre 1848 est prononcé par Lamartine. Constitué comme un établissement d’utilité publique étranger, il demeure entièrement libre pour les études et pour la discipline comme pour l’administration. En 1865, il instruit chaque année 50 à 60 jeunes Arméniens pauvres : ils suivent le programme de l’enseignement secondaire français, moins l’étude du grec et du latin qui sont remplacés par des cours de turc et d’arménien. Le refus de la France est motivé par le souci du ministère de ne pas donner à un établissement libre un droit réservé en France aux facultés. Le siège de Paris oblige le collège à fermer ses portes. Il est à nouveau ouvert en 1880 rue Monsieur, avant d’émigrer à Sèvres en 1928.

L’école impériale ottomane de Paris

Créée à l’initiative du sultan Abdul Madjid et placée sous le haut patronage de l’empereur Napoléon III, l’école impériale ottomane de Paris est ouverte en octobre 1857 au 53 de la rue Violet à Grenelle, à la suite d’un accord entre le ministère des Affaires étrangères de la Sublime Porte et le ministère français de l’Instruction publique. L’objectif est de créer en France un internat pour des étudiants ottomans boursiers de l’État. Elle doit leur permettre de tirer profit des institutions d’enseignement de la capitale tout en les tenant à l’écart des tentations parisiennes. Elle est fermée en 1864. L’École, qui est soutenue financièrement par la Turquie, est dirigée par un commandant et un directeur des études turc, le colonel Ali Bey ; le conseil de surveillance est présidé par Rouland, le secrétaire général du ministère de l’Instruction publique français, et par le premier secrétaire de l’ambassade de Turquie.

À l’inverse de l’École arménienne, et certains le lui reprochent, elle n’accepte pas d’élèves français. Les élèves sont envoyés par le gouvernement ottoman ou par les Écoles militaires turques, et aux frais de la Sublime Porte ; ils doivent être âgés de 17 ans au plus, mais on en trouve ayant 19 ou 20 ans, et ils doivent savoir un peu de français, ce qui est, selon un professeur, difficile à cet âge déjà tardif. L’enseignement dure trois ans au cours desquels ils apprennent en première année le français, l’histoiregéographie, le dessin ; les deux années suivantes, ils sont répartis entre deux sections, une civile, l’autre militaire, mais ils ont tous des cours de français, d’histoire-géographie, de mathématiques, de physique, de chimie et de dessin. L’effectif des élèves est réduit : ils ne peuvent en principe être plus de trente-six, mais il y en a près de 50 la première année : ils ne sont plus qu’une vingtaine en 1859, 25 en 1861, au point que la fermeture de l’école est envisagée. Il y a parmi eux des externes et des pensionnaires, ces derniers se destinant au métier militaire, mais pendant la première année, ils sont placés dans des pensions françaises afin d’apprendre le français. L’école divise ses élèves en quatre groupes : les élèves de Saint-Cyr, les étudiants en droit (« les meilleurs »), les externes militaires et les internes. Certains préparent le baccalauréat et apprennent le latin en vue d’entrer à la faculté de droit ou des lettres. À l’issue de leur scolarité, ils sont destinés à entrer dans divers établissements en fonction de leur futur métier : par exemple, en 1861, sur les 16 internes, sept entreront à l’École militaire de Saint-Cyr, « les neuf autres sont malheureusement doués d’une intelligence très médiocre » et seront rappelés à Constantinople ; la même année, quatre anciens élèves ont été reçus bacheliers en 1860 et suivent les cours de la faculté de droit ; en 1862, trois élèves ont suivi pendant trois ans les cours de cette faculté. En 1862, le palmarès des succès de l’école est le suivant : trois ont obtenu la capacité en droit ; deux sont sortis en 1861 de Saint-Cyr et deux y sont encore ; quatre sont à l’École d’État-major, un élève, inscrit en spéciale à Louis-le-Grand, est candidat à Polytechnique, un autre suit les cours de la faculté de médecine et cinq devraient « arriver à Saint-Cyr ». En 1864, lorsque l’école ferme, il y a encore 41 élèves dont 15 externes ; huit élèves sont placés à l’extérieur : trois à la Flèche, trois à Sainte-Barbe place du Panthéon et deux à Louis-le-Grand.

La fermeture de l’école impériale ottomane provoque indirectement la création du lycée de Galatasaray d’Istanbul en 1868, pépinière de nombreuses générations de francophones influents. Accueillant 600 élèves internes, il offre un enseignement de turc, latin et français, d’histoire-géographie, de sciences physiques, mathématiques et naturelles, fait par des professeurs français. Ce lycée a la particularité d’être ouvert aux musulmans comme aux minorités religieuses et culturelles. En 1892, un rapport au ministère de l’Instruction publique sur l’enseignement secondaire en Turquie dû à Mme Coignet signale que, dans les écoles secondaires d’Athènes, du Pirée, de Constantinople, de Smyrne et de Brousse, en majorité tenues par des congrégations religieuses (lazaristes, frères des écoles chrétiennes, filles de la charité, etc.), de 30 000 à 35 000 enfants reçoivent l’enseignement de la langue française. Selon les universitaires français qui visitent ces pays, l’enseignement secondaire turc a été relevé grâce à l’influence française. Le lycée de Galatasaray à Constantinople est selon elle « français par le personnel et le programme ». Il aura joué un rôle considérable dans l’occidentalisation des élites ottomanes et turques.

L’université Saint-Joseph-de-Beyrouth

Le collège français des Jésuites de Beyrouth est ouvert en 1875 et son baccalauréat obtient l’équivalence du baccalauréat français. Il devient l’université Saint-Joseph en 1881 et est lié dès sa naissance à l’université de Lyon. La Sublime Porte refusant de créer une université d’État en Turquie, la faculté de médecine et de pharmacie qu’elle a ouverte en 1883 obtient en 1893, avec le soutien de Gambetta, le privilège de délivrer des diplômes d’État français. En 1901, l’USJ fonde en son sein la faculté orientale vouée à la langue arabe et en novembre 1913, ouvre une faculté de droit qui ne se développera qu’après la Grande Guerre. Selon Paul Cornuet, elle est « la citadelle de l’influence française en Orient ». La France lui octroie une subvention annuelle. L’enseignement est donné sur le modèle français par des professeurs nommés par les Jésuites avec l’accord du gouvernement français et ce sont des professeurs français qui inspectent la faculté. À partir de 1895, chaque année, un jury placé sous la présidence d’un Français et composé de professeurs français et ottomans vient à Beyrouth pour conférer le titre de docteur en médecine et de pharmacien au nom de l’État français ; ces titres sont par conséquent équivalents aux titres nationaux. Les étudiants « orientaux » y sont admis sur production du baccalauréat français, syrien ou libanais. Beaucoup d’entre eux ont été formés dans des institutions secondaires « soutenues par les largesses de la France ». La durée des études est comme en France de quatre ans. Les cours débutent en 1883 avec neuf étudiants « qui subirent leurs examens devant la Faculté de Constantinople avec succès ». En 1895, le nouveau régime français des études médicales est adapté à l’enseignement donné à Beyrouth. Les élèves de la Faculté de Beyrouth ont la possibilité de poursuivre leur scolarité dans les facultés françaises.

Ces Levantins ne sont pas accueillis avec sympathie. En février 1900, dans le Journal de médecine de Paris, un certain docteur Lutaud s’émeut à l’idée que « les nombreux gradués de notre Faculté de médecine de Beyrouth, recueillis dans la population famélique du Levant, ne tarderont pas à envahir le territoire national. […] Vous allez être débordés par une population bigarrée qui abandonnera les côtes désolées de l’Asie Mineure pour s’établir sur les bords riants de la Seine et de la Loire ». Quelques journaux politiques tels L’Aurore ayant reproduit cet article et une campagne de presse étant menée en France contre cette institution, le recteur de l’université de Paris Louis Liard commande une enquête. Selon le rapport dû à un certain D. de Brun, médecin sanitaire à Beyrouth, le Dr Lutaud serait inspiré « par le drogman du consulat d’un pays qui a le plus grand intérêt à voir disparaître notre Faculté » (les États-Unis ?) et qui est dignitaire d’une loge maçonnique de ce pays. Certes, déclare le rapporteur, le doctorat de Beyrouth confère le droit d’exercer en France, mais seulement trois anciens élèves sont installés sur le territoire français, dont deux à Marseille, et aucun en Algérie, en Tunisie ou dans tout autre colonie française. Quinze élèves qui ont passé leurs examens en France et y ont été diplômés se sont installés en Syrie, au Liban ou en Égypte (Damas, Homs, Le Caire, Alexandrie, Smyrne, etc.). Quant aux « côtes désolées », l’Anatolie, où deux étudiants de Beyrouth sont installés, un pharmacien et le Dr Balladur qui exerce à Smyrne, est « riche et verdoyante ».

Selon le Dr Lutaud, « les fruits secs de nos facultés peuvent se rendre à Beyrouth et y faire leurs études médicales, ils y trouveront les avantages suivants : pas de baccalauréat, pas de PCN, pas de service militaire, avis aux familles pauvres de cancres ! ». Or, la faculté de Beyrouth ne reçoit pas les étudiants français ni même les étudiants étrangers : un Allemand, un Suisse et deux Français y ont été refusés. Quant au service militaire, certes un Français résidant en Orient en est dispensé, « à condition qu’il ne s’installera pas en Europe ». Et quand Lutaud affirme que la faculté de Beyrouth prive les médecins français « des positions qu’ils occupaient autrefois dans les diverses régions de l’Asie Mineure », c’est faux ! Avant la création de cet établissement en 1883, il n’y avait que deux médecins français en Turquie, l’auteur du rapport, appartenant à la médecine navale, médecin sanitaire de France à Smyrne, et le médecin du consulat de France. Selon le rapporteur, « les anciens élèves de Beyrouth, anciens internes des hôpitaux, ont su faire couronner plusieurs de leurs travaux par l’Académie de médecine et l’Institut. Grâce à leur renom, les Syriens de Jérusalem, Jaffa, Tyr, Sidon, Saint-Jean d’Acre, Alep, Tripoli, Damas, etc., ne s’adressent pas pour se faire soigner à des médecins anglais ou allemands, mais à des Français ».

L’effectif étudiant de l’USJ passe de onze en 1884 à 305 en 1913. En 1897, les 126 élèves viennent de Syrie, mais aussi de l’Égypte, de la Mésopotamie ou des îles grecques. Cette même année, le professeur de médecine Lannelongue, dans le compte-rendu qu’il fait au conseil général des facultés de Paris de son voyage au Proche-Orient, cite la concurrence faite à la faculté de médecine de Beyrouth par la faculté protestante américaine. Le Syrian protestant college, fondé en 1866 par une mission américaine en vue de contrer les missions d’autres obédiences et devenu l’American University of Beyrout, offre des cours de lettres, médecine et pharmacie, et il est très soutenu et influencé par l’Angleterre. Selon le professeur Lannelongue, l’établissement français est recherché en raison de la valeur des études qu’il offre : les docteurs qu’il forme exercent en Palestine et en Égypte, ainsi qu’en Turquie après validation de leur diplôme à la faculté ottomane de Constantinople. Quant à la faculté américaine, l’enseignement médical qu’on y donne serait « loin d’être bien sérieux ». En 1907, pour lutter contre la concurrence américaine, la France apporte à Beyrouth du matériel pour l’enseignement de l’anatomie et de la médecine opératoire.

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