via L’Histoire
L’aventure archéologique des Français en Éthiopie – Le mardi 5 janvier 2016. (Propos recueillis par Huguette Meunier.)
A l’occasion de la parution du numéro des Collections de L’Histoire sur l’Éthiopie, retrouvez l’intégralité de l’entretien avec Francis Anfray qui, à la tête de la Mission française d’archéologie, a fouillé pendant plus de trente ans les plus grands sites antiques du pays.
L’Histoire : Depuis quand les archéologues s’intéressent-ils à l’Éthiopie ?
Francis Anfray : Il faut d’abord s’entendre sur les mots. L’archéologie, c’est l’étude des témoins matériels : sites, monuments et objets, de tout ce qui subsiste des civilisations plus ou moins anciennes. Elle se pratique selon des méthodes rigoureuses et requiert le concours de spécialistes en des disciplines variées. Il arrive que cette étude s’effectue sur le terrain à l’occasion de fouilles dites archéologiques.
Quand au nom Éthiopie, il désigne ce pays de l’Afrique du Nord-Est, proche de la mer Rouge. Naguère et jusqu’en 1993, l’Éthiopie avait une superficie plus étendue que de nos jours. A cette date, l’Érythrée, jusqu’alors province maritime, prit son indépendance. En conséquence, nombre de sites archéologiques ne font plus partie de l’Éthiopie à proprement parler. Ainsi Adoulis, situé en bordure de la mer, Qohayto, Tokonda, Matara, pour ne citer que ces sites du haut plateau qui furent, aux temps antiques, de riches agglomérations dont les ruines sont enfouies dans le sol, n’offrant à la vue des passants que des tessons de poterie et de rares monuments pour témoigner de leur existence dés longtemps passée.
S’agissant de l’archéologie, on peut indiquer le début du xxe siècle, avec les enquêtes de la Deutsche Aksoum-Expedition, conduites dans le nord de l’Éthiopie en 1906 par Enno Littman et, à la même époque, par Roberto Paribeni, dont il publia les résultats en 1908 dans son ouvrage Ricerche nel luogo dell’antica Adoulis. En réalité, ces recherches sur le terrain avaient été précédées par des missions scientifiques en Éthiopie méridionale, celle de Robert du Bourg de Bozas en 1902 dans la basse vallée de l’Omo, et celle de Chollet et Neuville en 1904 en vue d’une étude des stèles mégalithiques du Soddo.
Ces études se poursuivront par la suite, mais c’est surtout dans la seconde moitié du siècle qu’elles se multiplieront. On verra, chose nouvelle, se constituer des équipes formées de nationalités diverses pour exercer leurs recherches à maints endroits du pays. Des Anglais, des Allemands, des Français, des Italiens et des Américains, entre autres.
L’H. : Quel rôle la France a-t-elle joué dans la découverte archéologique du pays ?
F.A. : Ce sont des Français que l’on voit entreprendre sur le terrain une étude réellement archéologique de monuments dans ce canton méridional appelé le Soddo. C’était en 1904. Une date à retenir. Chollet et Neuville se livrent à un examen attentif des monolithes assez particuliers que conserve la région. Ils en publient les résultats dés l’année suivante dans le bulletin de la Société philomathique de Paris. Ils ouvraient ainsi un champ d’étude d’un intérêt reconnu, depuis lors défriché par d’autres archéologues au cours du siècle. Certes, en 1882, Paul Soleillet avait bien parlé de « pierres levées » qu’il avait observées dans le Shoa, mais il n’était pas archéologue et d’ailleurs il se bornera, action positive cependant, à une simple mention dans un livre de souvenirs.
Dans trois grandes régions du sud de l’Éthiopie, le Shoa, le Sidamo et le Harar, se concentrent le plus grand nombre de mégalithes de tout le continent africain (un chercheur des années 1920 rapporte qu’il s’en trouvait plus de dix mille ; ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, beaucoup ayant été l’objet de dégradations variées ; et l’extension des terres agricoles est partiellement la cause de disparitions).
Dans les années 1920, Azaïs et Chambard reprirent l’enquête et en produisirent les résultats dans un livre intitulé Cinq années de recherches en Éthiopie. Et n’allez pas croire que l’étude des mégalithes éthiopiens s’est arrêtée avec les recherches d’Azaïs et Chambard. J’ai moi-même apporté ma contribution à ces études du mégalithisme éthiopien dans un article de la revue Annales d’Éthiopie, tome XII, 1982 « Les stèles du Sud, Shoa et Sidamo » ? Cet article y présente le bilan d’une prospection de plusieurs mois dans le sud du pays.
Est-il besoin de vous rappeler les découvertes des paléontologues dans les basses vallées de l’Omo et de l’Awash, notamment celle de cet hominidé qui reçut le nom de « Lucy », par une mission internationale aux activités de laquelle participait une équipe française ? Elles enrichirent considérablement le dossier de la paléontologie humaine, et aussi de la Préhistoire, car dans le même temps (la fin des années 1960), un préhistorien, Jean Chavaillon, dans l’Omo, reconnaissait dans des éclats de quartz de véritables outils, les plus vieux du monde, qu’à l’époque il datait de deux millions d’années. Dans la moyenne vallée de l’Awash, ce même préhistorien, à partir de 1964, effectuait des recherches à Melka Kuntouré. Il y succédait à Gérard Bailloud qui y avait inauguré l’année précédente les premières études de gisements paléolithiques. Dés 1965, il en publiait le compte rendu dans les Cahiers de l’Institut éthiopien d’archéologie.
Par la suite, plusieurs campagnes archéologiques sur ce site révèleraient les étapes du développement préhistorique, de l’Oldowayen, période la plus ancienne de la préhistoire africaine, jusqu’à la plus récente à situer au cours des derniers millénaires.
L’H. : L’empereur Hailé Selassié s’est-il intéressé au passé archéologique de son pays ?
F.A. : L’empereur avait un intérêt pour beaucoup de choses touchant l’histoire de son pays, et l’archéologie en faisait partie. Je peux en témoigner à titre personnel. En deux ou trois occasion, il m’interrogea sur les recherches que menait la mission d’archéologie, ou d’autres groupes d’ailleurs que je n’ai pas mentionné, comme celui d’Henry de Lumley, de l’Institut de paléontologie humaine, sur le site de Fedjej, dans le sud de l’Éthiopie. A une époque déjà lointaine, Hailé Sélassié avait demandé à François Azaïs : « Pourquoi la France ne créait-elle pas un centre d’études archéologiques à Addis-Abeba ? ». J’ignore ce que répondit le Français, mais les choses en restèrent là. Rien ne se fit pendant une trentaine d’années. Hailé Sélassié avait de la suite dans les idées ; il renouvela sa demande en 1952 auprès de l’ambassadeur de France, Henri Roux, qui la transmit au ministère des Affaires étrangères où une convention fut préparée pour être signée le 4 septembre 1952. Un accord fut établi en décembre à Addis-Abeba : la France envoyait des experts tandis que dans la capitale éthiopienne une Section d’archéologie était organisée. Le vœu de l’empereur était exaucé.
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