via Rétronews
L’intransigeant 24 janvier 1938, p. 2/8
Fondé en 1880 par Eugène Mayer, L’Intransigeant était un quotidien de tendance socialiste. Ce qui ne l’empêcha pas, lors de l’affaire Dreyfus, de se laisser aller à un antisémitisme farouche

TEXTE INTÉGRAL
AVEC Georges Méliès, le cinéma perd le plus important personnage de son histoire, après Louis Lumière. Nous avons dit hier, dans nos dernières éditions, combien fut importante l’influence qu’il exerça sur la destinée de cette invention qu’il voulait acheter, mais que Louis Lumière ne voulut pas lui céder parce qu’elle n’avait aucun « avenir commercial » !…
Il avait 34 ans lorsque les premières projections apparurent au Grand Café, et ce garçon, qui avait été ébéniste, peintre, mécanicien, Industriel, caricaturiste (il dirigea et illustra « La Griffe » pendant la période boulangiste), cet étonnant « bricoleur » avait tout de suite compris quel parti spectaculaire on pouvait tirer du cinématographe.
LE PREMIER STUDIO DU MONDE
il avait toujours été attiré par la prestidigitation et la fantasmagorie, et son raconte qu’à Louis-le-Grand où, « fit ses études, il cachait dans son pupitre, un guignol qu’il avait construit lui-même; En 1897, il fit ériger à Montreuil-sous-Bois le premier studio de prise de vues : dans leur très intéressante Histoire du cinéma, MM. Bardèche et Brasillach content comment l’idée du studio vint à Méliès.
Paulus désirant que son numéro fût fixé sur la pellicule, vint demander à Georges Méliès de le cinématographier. Mais lorsqu’il se trouva devant l’appareil, Paulus refusa de tourner, prétextant qu’il ne pouvait absolument pas chanter en plein air, grimé et déguisé comme il l’était ! Méliès, alors, peignit lui-même son décor, construisit un plateau sur lequel il fit converger la lumière de plusieurs projecteurs, pour remplacer le soleil, et « enferma » ainsi Paulus qui voulut bien, dans ces conditions, faire son numéro. Pour la première fois on tournait en champ clos : le principe du studio était trouvé…
NAISSANCE DU BURLESQUE A L’ÉCRAN
Mais l’un des épisodes les plus curieux de sa vie — et de l’histoire du cinéma — nous est également rapporté par Bardèche et Brasillach ; il a trait à la révélation que reçut un jour Méliès des possibilités burlesques et fantasmagoriques du cinéma.
Il tournait un jour, place de l’Opéra, un film sur la circulation des voitures dans Paris. Tout à coup son appareil s’arrêta et Méliès, qui en connaissait la mécanique sur le bout du doigt, dut lui-même, sur place, le réparer. Deux minutes plus tard, sans avoir changé le champ de l’objectif, la manivelle pouvait de nouveau tourner. Méliès acheva son film, mais quelle ne fut pas sa stupéfaction de s’apercevoir, au développement de la pellicule, que pendant les quelques Instants d’arrêt à la prise de vues, un corbillard s’était substitué à l’omnibus qui était photographié. En une seconde, à la projection, l’omnibus se changeait en enterrement… Méliès devait par la suite tirer le parti que l’on sait des substitutions et métamorphoses d’objets et de personnages !…
MÉLIÈS LE BRICOLEUR…
Son œuvre ? On ne saurait énumérer tous ses films ; pendant de longues années il tourna au rythme d’une bande par semaine. Il ne cacha pas que ce qui l’avait tout d’abord séduit dans le cinématographe, c’était le côté technique, manuel, de l’invention. Il devait, à ce titre, lui apporter des perfectionnements d’une incalculable portée ! Tous ceux qui vont aujourd’hui applaudir Greta Garbo ou Charles Boyer, se doutent-ils que le cinéma actuel est ce que l’ont fait des hommes comme Méliès ? Devant l’opulence des salles et des studios d’aujourd’hui, l’infortuné Georges Méliès était saisi de timidité. Il est allé modestement mourir à l’hôpital, après une vieillesse précaire que de récents et multiples galas donnés à son bénéfice avaient pourtant adoucie un peu. Il faudrait souhaiter que tous les cinémas du monde projettent l’actualité de ses obsèques. Qu’une dernière fois passe sur l’écran celui qui, le premier, composa le spectacle cinématographique. ROGER REGENT.