via voltaire foundation – Qui est Jean-Baptiste d’Anville, géographe français des Lumières?

Jean-Baptiste d’Anville, savant parisien du XVIIIe siècle, est l’un des plus grands géographes du siècle des Lumières. Pour ses contemporains, ses cartes modernes sont incontournables. Bougainville, l’explorateur, salue ses cartes des Moluques et de l’Asie dont l’exactitude lui a été d’une aide précieuse au bout du monde. Le jeune Bonaparte, sur le point de se lancer à la conquête de l’Égypte, emporte avec lui une carte de d’Anville qu’il a pris soin de faire entoiler avant son départ. Ses cartes du monde ancien demeurent des références jusque loin dans le XIXe siècle pour les érudits de l’antiquité. Le jeune Champollion dans son Égypte sous les Pharaons (1814) s’en remet presque à chaque page au géographe parisien. Au XVIIIe, comme au XIXe siècle, lorsqu’il faut définir les frontières du Brésil, ce sont encore les cartes de d’Anville qui sont incontournables pour les diplomates. Enfin, sa notoriété excède les milieux autorisés. Encore au début du XIXe siècle, quand les journalistes de Paris, mais aussi les écrivains, comme Chateaubriand ou Balzac, doivent citer un géographe célèbre, c’est d’Anville qu’ils mentionnent.
Aujourd’hui pourtant, malgré une renommée de près de deux siècles, rares sont ceux qui connaissent son nom, tant il est profondément tombé dans l’oubli. Si l’on prend l’expression au pied de la lettre, c’est le type même de l’illustre inconnu.
Pour tout historien du XVIIIe siècle cependant, d’Anville est incontestablement une figure majeure. Cette anecdote personnelle en témoigne: vers 2006, j’avais demandé conseil à Frank Lestringant, professeur de littérature à Paris-IV Sorbonne, également spécialiste reconnu de l’histoire de la cartographie, sur un passage de mon doctorat consacré à la cartographie occidentale de l’Égypte. Les cartes d’Égypte de d’Anville étant parmi les plus remarquables de mon corpus de recherche, Frank Lestringant s’était étonné de la quasi absence de références consacrées au grand géographe parisien. Du point de vue d’un spécialiste de l’histoire de la cartographie aguerri, il semblait inconcevable qu’aucun ouvrage n’ait été dédié à d’Anville. Et pourtant, à cette date, seuls quelques rares articles avaient été consacrés au grand géographe des Lumières.
Depuis la fin des années 2000, cependant, d’Anville fait l’objet d’un regain d’intérêt auprès de la communauté scientifique internationale. Des chercheurs sud-américains, américains, canadiens et belges ont commencé à publier des articles relatifs à d’Anville et à ses cartes. Cet intérêt mondial s’explique: d’Anville a cartographié toute la Terre, et nombre de ses cartes semblent avoir eu des conséquences diplomatiques et politiques importantes dans de nombreuses régions.

En 2008, la bibliothèque nationale de France a lancé de son côté un appel à chercheur associé sur Jean-Baptiste d’Anville, puis lui a consacré un programme triennal de recherches de 2010 à 2012. L’intérêt de la BnF pour d’Anville était naturel: le département des Cartes et plans y conserve depuis 1924 la quasi-intégralité de la collection cartographique de Jean-Baptiste d’Anville, complétée de manuscrits textuels et cartographiques réunis patiemment aux XIXe et XXe siècles et conservés à la fois au département des Manuscrits et à celui des Cartes et plans. L’entreprise colossale de catalogage et de numérisation de la collection d’Anville (près de 10 000 cartes) ne pouvait se concevoir sans y adosser des recherches scientifiques.
La mise en œuvre de ces programmes a donné lieu à de nombreux travaux: un recensement des sources et ressources sur d’Anville, une analyse plus fine de ses cartes manuscrites, la construction d’un carnet de recherche électronique pérenne (blog) qui diffuse un nombre très important de documents inédits relatifs à d’Anville, la tenue d’un colloque international en septembre 2012, organisé par la BnF et parrainé par l’Académie des inscriptions et belles-lettres.
Aujourd’hui, la monographie consacrée à Jean-Baptiste d’Anville par la Voltaire Foundation vient concrétiser plusieurs années d’efforts. Elle vient combler une lacune de la bibliographie sur un géographe de premier plan avec ce volume au contenu entièrement inédit par les archives qu’il exploite, comme par l’originalité des problématiques qu’il met en œuvre.
– Lucile Haguet