Titre :  Histoire de Paris et de son influence en Europe depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours…. Tome 1 / par A. J. Meindre…
Auteur :  Meindre, A J. Auteur du texte
Éditeur :  E. Dentu (Paris)
Date d’édition :  1855


INTRODUCTION (pages 1 – 4)

Dans l’histoire universelle des peuples, certaines villes favorisées de la Providence ont eu le privilège d’être le foyer de la civilisation et le flambeau de l’esprit humain, de même que dans les annales particulières des nations, quelques hommes d’élite se sont montrés de loin en loin chargés de la mission providentielle d’imprimer Le mouvement à leur époque et de doter leur patrie de la gloire. Les trois noms, Athènes, Rome, Paris, résument à eux seuls trois périodes immenses de lumière , au milieu de tous les siècles, comme les trois noms Alexandre, César, Charlemagne, représentent trois époques de gloire et de progrès pour certaines nations, au milieu de tous – les peuples. Ces trois cités, gardiennes tour à tour du feu sacré qui alimente la vie intellectuelle des peuples, ont paru, à des époques déterminées par la Providence, comme des phares majestueux projetant au loin une lumière vivifiante, au milieu des ténèbres qui enveloppaient presque tous les autres peuples, et comme des centres brûlants d’où rayonnaient des jets vigoureux de flammes sur toutes les nations.

Aussi les peuples, pleins de reconnaissance, se transmettent-ils, de génération en génération, les noms si grands de la ville de Minerve et de la cité de Mars. La gloire d’Athènes est partout. Depuis Hérodote, père du genre historique, et surtout depuis l’époque brillante de Périclès, la littérature, l’histoire et les arts retentissent des louanges de cette ville. Quelle imagination pourrait demeurer froide devant les noms héroïques de Thémistocle, de Périclès, de Phidias, de Platon, d’Aristote, devant les souvenirs imposants des Propylées, de l’Acropole, de l’Académie I quel cœur ne serait vivement ému, en face de Socrate dans sa prison !

Après Athènes, Rome nous saisit; depuis notre enfance nous sommes familiarisés et, pour ainsi dire, bercés avec tous les noms célèbres et tous les fastes remarquables de la ville immortelle. L’homme d’État, l’homme de guerre, le jurisconsulte, l’administrateur, l’économiste, apprennent leur science en méditant nuit et jour ses annales. Sous beaucoup de rapports, les nations modernes sont des débris du monde romain, reformés sur le modèle du peuple-roi et perfectionnés ensuite par la religion chrétienne ; c’est là ce qui explique et justifie, jusqu’à un certain point, cette connaissance universelle des choses romaines qui, en général, surpasse la connaissance des chroniques et des institutions nationales elles mêmes.

A Athènes littéraire, à Rome législative , le passé; mais à Paris, centre de la civilisation moderne, le présent et un long avenir. C’est en vain qu’on nierait la puissance et l’attraction qui entrainent irrésistiblement vers la France et vers Paris le mouvement général des idées. Toutes les sociétés européennes gravitent autour de la société parisienne. L’Europe, comme autrefois la Grèce, tend à une uniformité générale, et cette uniformité, c’est la France, c’est Paris qui en aura donné le type. C’est dans la capitale de la France que les penseurs de tous les pays viennent proclamer leurs découvertes utiles ou pernicieuses; c’est là que les écrivains de toutes les régions viennent chercher la consécration de leur renommée bonne ou mauvaise, et que les artistes des diverses contrées donnent à leurs talents cette perfection et cette élégance que nulle autre ville du monde ne peut leur offrir.

Ce n’est pas sans peine que Paris est parvenu à réunir dans son sein cette énergique centralisation qui répand une action uniforme sur tous les points de la France; ce résultat, commencé par des circonstances heureuses, n’a pu être définitivement obtenu qu’après un grand nombre de siècles de luttes, d’efforts en tous genres, de combats et de triomphes de toute espèce.

Quant à cette puissance de l’opinion publique qui de Paris rayonne dans le monde entier et à cette impulsion vigoureuse que cette ville communique à tous les peuples, par la seule force des idées vraies ou fausses dont elle a toujours été le foyer, elle les doit à sa position incomparable ; et ce n’est pas des hommes qu’elle tient cet avantage, car d’autres capitales l’emportent sur elle par les souvenirs et les monuments ; elle le tient du temps et de l’histoire, qui lui ont ainsi donné le monopole de la civilisation.

Aussi Paris, voué tout entier à cette mission, n’est-il pas seulement la capitale de la France; il se trouve la grande cité européenne et cosmopolite recevant de tous les pays du monde des hommes et des idées, et renvoyant celles-ci partout, après les avoir frappées à son coin.

Nous nous proposons d’écrire l’histoire de Paris et de son influence en Europe; c’est l’histoire de la formation de l’unité française et du progrès de l’esprit humain dans l’Occident par la France. Ce point de vue va souvent nous forcer à sortir des limites trop resserrées d’une simple monographie parisienne ou locale, qui d’ailleurs a été donnée déjà plusieurs fois dans des ouvrages spéciaux. Le titre même de notre livre, qui en indique l’esprit et l’intention, nous obligera quelquefois à encadrer, pour ainsi dire, l’histoire de Paris dans les fastes de l’histoire de France, afin de rendre plus sensible l’influence de cette ville, aux diverses époques de nos annales. Cette influence, heureuse le plus souvent et féconde en grands résultats, s’est trouvée aussi quelquefois bien dangereuse et bien funeste. Si de Paris partent habituellement ces idées d’union, d’ordre, de perfectionnement et de vrais progrès qui ont porté si haut la gloire de la France, il faut bien reconnaitre aussi que de cette ville est sorti parfois ce souffle pernicieux d’idées irréligieuses et révolutionnaires qui a répandu le désordre et l’effroi chez tous les peuples de l’Europe occidentale. En exposant au lecteur, dans le cours de notre histoire, la bonne influence de Paris, nous ne manquerons pas au devoir de lui en signaler également la mauvaise.

Cette histoire commence au moment où Rome voit s’affaiblir peu à peu et tomber le prestige de sa puissance et de sa supériorité. C’est là que devrait aussi commencer notre ouvrage;


[…] CHAPITRE 1 – EXTRAITS

(p. 55-…)

Clovis, fondateur de la monarchie des Francs dans la Gaule, eut successivement pour résidences Tournai, Soissons et Paris.

Ces trois villes devinrent tour à tour capitales des contrées soumises à son autorité, à mesure que ses conquêtes s’étendirent de plus en plus dans l’intérieur du pays. Quand il ne possédait encore que quelques cantons, tous renfermés dans la Gaule-Belgique, il résidait à Tournai, qui se trouvait au centre de ses petits États. Lorsque la défaite et la fuite de Syagrius eurent mis sous sa domination tout le nord de la Gaule jusqu’à la Seine, Soissons devint sa capitale. Plus tard, après avoir forcé les Bourguignons, au levant, à se soumettre un tribut, après s’être emparé, à l’occident, des villes redoutables de L’Armorique et avoir conquis les contrées formant la monarchie des Visigoths, au midi, Clovis, maître ou dominateur de presque toute la Gaule, fixa sa résidence à Paris et y établit le siège de son empire (508).

L’importance de Paris s’accrut considérablement, dès qu’il fut ainsi devenu la capitale des Francs, et cette ville ne manqua pas d’acquérir, depuis ce temps, une prépondérance marquée sur toutes les cités de la Gaule. Durant les discordes et les démêlés sanglants des petits-fils de Clovis, on vit Paris perdre un peu de cette prépondérance, sans jamais cesser toutefois d’être la ville considérable des Francs. On la vit même plus tard s’éclipser pour quelque temps, dans les commencements de la domination des Carlovingiens mais bientôt l’esprit national et l’énergie de ses habitants, le génie de quelques hommes supérieurs qui les dirigeaient, des circonstances heureuses, et, plus que tout cela, la force des choses et cette position admirable que Paris tient de la nature seule, replacèrent cette ville à son rang de capitale nécessaire de la vaste contrée qui forme aujourd’hui la France. –

(P. 65…)

Clovis, depuis sa conversion, s’était en général montré docile aux conseils du clergé catholique, et quoiqu’il conservât beaucoup encore des mœurs, des habitudes et même de la cruauté du barbare, son âme élevée paraissait sentir parfois les beautés et les bienfaits de la religion chrétienne. Sous les inspirations de la reine Clotilde, il fit construire une église à Paris, et favorisa l’établissement de nombreux monastères dans toutes les parties de la Gaule qui lui étaient soumises. Cette église fut bâtie, sous le nom de basilique de Saint-Pierre et Saint-Paul, près du sommet du mont Leucotitius, appelé plus tard montagne Sainte-Geneviève, et sur la partie orientale où commence le clivus. Le haut de la montagne était un cimetière public où l’on inhumait indistinctement tous les habitants de Paris; car à cette époque il n’était pas encore d’usage d’enterrer les morts dans l’intérieur des villes, quoiqu’il y eût des églises. Non loin de cette basilique, Clovis fit construire un palais pour lui-même et pour la reine Clotilde. Il fonda aussi un monastère dans le même endroit, et le dota richement.

A cette époque, l’ordre monastique commençait à prendre un grand développement en Occident. L’Église le favorisait de tous ses moyens. Se trouvant, depuis la conquête des barbares, seule gardienne de la civilisation romaine, en même temps qu’elle l’était de la foi chrétienne, elle faisait partout les plus grands efforts pour amener ces fiers conquérants à un genre de vie moins grossier. En travaillant ainsi sans cesse et sans relâche à adoucir les sentiments et les mœurs, en décriant, en expulsant une foule de pratiques barbares, en modifiant et perfectionnant la législation civile et criminelle, elle parvenait peu à peu à améliorer la morale, à perfectionner l’état social et à hâter le progrès des idées. Mais l’Église elle-même, au milieu de cette atmosphère d’ignorance et de barbarie générales, avait besoin de moyens énergiques pour se conserver.

Souvent le manque d’hommes instruits et de mœurs régulières faisait admettre dans les rangs du clergé des hommes ignorants et corrompus; ces hommes à moitié barbares, devenus trop promptement prêtres, ou même évêques, retournaient bientôt à leurs premières habitudes; l’on en vit qui se firent chefs de bandes pour piller et guerroyer comme les compagnons de Clovis.

Ces désordres menaçants effrayaient les hommes de bien et frappaient tous les bons esprits; ils virent un remède capable d’arrêter le mal dans l’établissement de nombreux couvents où des hommes vertueux, tenus séparés avec soin des mœurs barbares et dissolues du siècle, se conservaient purs de toute corruption et travaillaient, dans la retraite, à acquérir une instruction solide.

Bientôt l’ordre monastique prit un immense développement en Europe. Les moines étaient d’abord des laïques, parmi lesquels on allait chercher des prêtres et des évêques; plus tard on les considéra comme faisant partie du clergé, et l’on vit un grand nombre de prêtres et d’évêques embrasser la vie monastique pour faire de nouveaux progrès dans la perfection chrétienne. Les monastères étaient, en général, respectés et même vénérés des barbares; la rigidité de la vie des moines, leur nombre et leur réputation de sainteté et de science, frappaient l’imagination des peuples bien plus que l’évêque, le prêtre et le clergé séculier, qui étaient constamment sous leurs yeux et qui vivaient au milieu d’eux. Les monastères devinrent, pendant la période barbare, un asile sacré pour les mœurs, pour la science, et même pour l’Église, de même que l’Église avait été d’abord un lieu d’asile pour les laïques.

Ainsi, les ordres religieux qui furent, pendant si longtemps, l’ornement de l’Église, ne se montrèrent pas moins utiles à la société et à la civilisation qu’à la foi chrétienne, en conservant fidèlement comme un dépôt sacré, au milieu de la harbarie, et en transmettant de génération en génération, les vérités religieuses avec les différentes découvertes des peuples, et les progrès réalisés avant eux dans toutes les branches des connaissances humaines. Ils procurèrent à ces siècles de turbulence un autre avantage matériel qui contribua beaucoup à faire cesser la vie errante du barbare, et à lui faire trouver une patrie, en le fixant au sol. Ces nombreuses réunions, sur un point donné, d’hommes laborieux et pleins de foi, exécutèrent sur un sol, jusqu’alors inculte, d’immenses travaux de défrichement et de mise en exploitation que n’auraient jamais pu faire des hommes isolés; de tous côtés, l’on vit tomber ces forêts séculaires qui couvraient la Gaule; à leur place s’élevèrent bientôt de riches moissons, et les populations plus heureuses s’accrurent avec l’abondance générale qui suivait partout la multiplication des monastères.

Ces maisons de retraite et de travail étaient, en outre, des pépinières d’hommes de talent pour les besoins de l’Église et même de la société civile ; elles avaient en général des directeurs ou abbés qui se distinguaient par leur piété, leurs vertus et leurs bons exemples, non moins que par leur science et par a haute sagesse des règles qu’ils donnaient à leurs communautés.

L’église de Saint-Pierre et Saint-Paul, que Clovis commença près du sommet du mont Leucotitius, et le monastère qu’il fonda dans le même lieu, n’étaient pas éloignés d’une chapelle construite au midi, sur un coteau appelé alors Mons Cetarim ou Mons Cetardus, d’où le peuple a fait Mon-Cétar, altéré depuis et devenu Mouffetard. C’est dans cette chapelle qu’avait été enterré autrefois saint Marcel, le plus illustre et le plus vénéré des évêques de Paris, après saint Denis. Depuis longtemps sa renommée de sainteté attirait tous les jours dans ce lieu un grand concours de peuple qui allait prier sur son tombeau. Cette affluence avait fait construire un certain nombre de maisons tant dans le voisinage de la chapelle, que sur le chemin même qui conduisait à Paris. L’église et le monastère que fonda Clovis, non loin du coteau Mons-Cetardus, firent beaucoup augmenter ces constructions. Bientôt la population de cet endroit fut assez considérable pour former un gros bourg, une espèce de faubourg de Paris. L’historien Grégoire de Tours, qui est mort en 595, dit que saint Marcel reposait dans le faubourg de Paris : in ipsius civitatis parisiensis vico. Il est constant toutefois qu’aucune enceinte ni clôture ne le réunissait encore à la ville, et que la cité parisienne était alors renfermée tout entière dans l’île.

Le commerce considérable par eau qui, depuis plusieurs siècles, faisait la prospérité de Paris, continuait sous la domination des Francs. Les habitants de cette ville se composaient, ainsi que nous l’avons déjà dit, de Gallo-Romains et d’un certain nombre de marchands étrangers qui y résidaient. On ne saurait comprendre parmi ces habitants les Francs de Clovis, dont les bandes armées ne demeuraient jamais bien longtemps dans le même endroit et dont le nombre variait sans cesse.

Depuis la conquête de la Gaule, un grand nombre de Gallo-Romains avaient quitté les campagnes et s’étaient retirés dans les villes, où ils se sentaient plus à l’abri de la licence des soldats. C’est ce qui était arrivé surtout à Paris. On y trouvait le haut clergé, et en général ceux que les écrivains de cette époque appellent nobles, expression qui chez eux désigne plutôt la supériorité de fortune que la supériorité de naissance. Il ne restait guère dans les champs que les colons et les esclaves, troupe asservie de tout temps à des maîtres et conséquemment indifférente aux changements de domination.

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