via Persée
Ganshof François-Louis. G. Des Marez. La Place Royale à Bruxelles. Genèse de l’œuvre, sa conception et ses auteurs. In: Revue belge de philologie et d’histoire, tome 3, fasc. 4, 1924. pp. 946-948.
www.persee.fr/doc/rbph_0035-0818_1924_num_3_4_6324_t1_0946_0000_4
Le livre de M. Des Marez dépasse le cadre de l’archéologie; c’est une étude d’histoire urbaine. L’auteur s’est proposé, moins l’examen minutieux du détail des constructions, que l’exposé de la formation de la place Royale, élément essentiel du quartier que le xviiie siécle a vu se développer dans le haut de la ville de Bruxelles.
C’est en 1769, à la suite d’une initiative du duc d’Ursel, gouverneur militaire, que naît l’idée de transformer en une esplanade, l’ancienne « Place des Bailles » qui règne devant les ruines du Palais incendié en 1731. L’idée se précise, se rattache à celle de l’établissement du Parc et le 20 juillet 1776 des lettres patentes de Marie-Thérèse règlent l’exécution d’une convention conclue entre le gouvernement et la ville pour la création de la place Royale.
La place devait être établie suivant un plan unique et présenter la grandeur et la symétrie qui sont propres aux constructions classiques et monarchiques du XVIIIe siècle. Dans les projets envoyés à Paris pour être soumis à des artistes invités à dresser des plans, le gouvernement prenait soin d’indiquer que « le plan devrait être beau par une simplicité régulière »(p. 21).
M. Des Marez étudie le rôle de chacun des architectes dans la création de la place Royale. C’est Barré, un Français, qui sort le plus grandi de ces recherches. Car c’est à lui — la chose ne doit plus être mise en doute désormais — que revient le mérite des plans généraux, notamment du grand plan en élévation des façades entourant la place. Il est aussi l’auteur de trois projets successifs pour Saint-Jacques de Caudenberg. Le deuxième projet de façade qu’il présente pour cette église (planche 11) alliait le plus heureusement l’harmonie à la majesté.
Guimard, encore un Français, eut le mérite d’établir les plans d’exécution de toutes les façades et ceux de quatre portiques fermant la place vers l’extérieur. De plus il fut le véritable conducteur des travaux depuis 1775. C’est malheureusement à lui, pense M. Des Marez, que l’on doit les modifications malencontreuses des projets de Barré pour la façade de Saint- Jacques. Ces projets prévoyaient deux volées d’escaliers, séparées par un palier supportant quatre colonnes sur lesquelles devaient reposer le fronton ; Guimard supprima le palier. La conséquence fut le report en arrière des colonnes, supportées par des piédestaux trop élevés et trop rapprochées du fond de la façade sur laquelle le péristyle ne se détache plus.
M. Des Marez consacre ensuite quelques pages au rôle des architectes Montoyer et Fisco.
Le dernier chapitre du mémoire n’est pas le moins intéressant. On y voit que cet ensemble de constructions a put être réalisé « sans qu’il en ait coûté un sou aux finances de Sa Majesté ». Quelques particuliers, les abbayes de Caudenberg et de Grimberghe, la riche Corporation des brasseurs, ainsi que la Loterie Impériale et Royale (Lotto) se chargèrent de l’établissement des divers pavillons, les uns librement, les autres — notamment les abbayes — sous la pression du gouvernement. Ce fut, d’ailleurs, pour tous une très mauvaise affaire.
L’exposé de M. Des Marez a une triste fin : le relevé de toutes les atteintes qui, au mépris de la loi, ont été portées au xixe et surtout au xxe siècle à l’unité de la place Royale, grâce à la veulerie des autorités.
Avec infiniment de raison, M. Des Marez, a publié en annexe à son mémoire les principales pièces des dossiers qui ont été formés lors de la construction de la place. Elles proviennent presque toutes des Archives Générales du Royaume et principalement du fonds « Création de la Place Royale et du Parc ».
L’auteur a très justement rattaché l’établissement au XVIIIe siècle des quartiers classiques de Bruxelles, au grand mouvement de l’architecture classique du XVIIe et du XVIIIe siècle, en Europe. Parmi les ensembles dont la place Royale de Bruxelles peut le plus justement être rapprochée, nous aurions cité de préférence à tout autre, la Place Royale de Reims.
Ce que nous en avons dit suffira, croyons nous, pour faire saisir au lecteur tout l’intérêt du livre de M. Des Marez. Il est à peine besoin d’ajouter que l’on y retrouve jusque dans les moindre détails l’esprit critique et l’érudition qui distinguent tous les ouvrages de l’auteur. Le volume est illustré de très belles planches exécutées avec le plus grand soin.
François-L. Ganshof.