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1. Les langues européennes qui ont actuellement le caractère national furent anciennement des idiomes locaux, parlés, à l’origine, sur un territoire peu étendu, qui, grâce à des circonstances diverses, gagnèrent du terrain, parvenant peu à peu à se substituer dans l’usage littéraire et dans l’emploi officiel, sinon dans la conversation, à d’autres idiomes moins favorisés des circonstances. L’espagnol n’est autre chose que le castillan devenu la langue officielle de l’Espagne entière; l’italien est, à proprement parler, le toscan ; le français est la langue du pays aux limites flottantes qu’on appelait France au XIIe siècle, et qui s’étendait vers le nord jusqu’au Beauvaisis, vers l’ouest jusqu’à la Normandie, vers le sud-ouest et le sud jusqu’à la Touraine et à l’Orléanais, vers l’est jusqu’à la Champagne. L’emploi du mot « français », comme désignation d’une certaine variété du langage roman, n’est cependant pas, même au XIIe siècle, strictement confine à ces limites: la langue de Chrétien de Troies est distinctement qualifiée de française, et il ne semble pas que champenois ait jamais été applique à l’idiome qu’on parlait en Champagne. Peu à peu, par l’effet d’influences littéraires, aidées de l’effort administratif, le français se répandit au delà de ses limites naturelles, et, à la fin du XVe siècle, il était devenu la langue commune, dans les choses de la littérature et du gouvernement, de toutes les provinces soumises à l’autorité du roi de France. Au XIIIe siècle il se répandait dans le nord de l’Italie, en un temps où son action commençait à peine à se manifester en Bourgogne, c’est-à-dire en un pays qui séparait précisément l’Italie septentrionale de la région proprement française. La langue de Chrétien de Troies et de Villehardouin avait franchi d’un bond une large zone de terrain.
2. Avant d’étudier le développement du français en Italie, sujet du présent mémoire, il est à propos de distinguer les conditions dans lesquelles un idiome peut se propager au détriment d’autres idiomes. Ces conditions peuvent se ramener à trois.
A. Transport de populations. C’est à la suite d’un transport de populations, d’une émigration, si l’on veut, que le breton s’est implanté, vers le milieu du V e siècle, dans l’extrémité occidentale de la Gaule. C’est par l’afflux des émigrants venus, non seulement de la Normandie, mais encore de diverses parties de la France, à partir de 1066, que le français a pris pied en Grande Bretagne au point d’y de venir, dès le XII° siècle, la langue de la littérature, la langue de la classe noble et même de la classe bourgeoise. Des émigrations encore ont transporté, à diverses époques du moyen-âge et des temps modernes, un dialecte allemand en certains districts du nord de l’Italie (les Sept communes et les Treize communes), le grec vulgaire et l’albanais dans le sud de l’Italie et en Sicile, et le catalan dans la Sardaigne occidentale. L’italien s’établit actuellement de la même manière en diverses parties de l’Amérique.
B. Propagation par voie littéraire ou administrative. C’est le mode le plus fréquent. L’usage littéraire précède ordinairement l’usage administratif. Le toscan a pris, dans la littérature de l’Italie, dès le XIV e siècle, une prépondérance marquée: il n’a été employé que bien plus tard dans les actes publics et privés, qu’on écrivait de préférence en latin; c’est seulement au XVI° siècle que, sans entente préalable, par suite d’une sorte d’accord tacite, il a commencé d’être employé comme langue de gouvernement par tous les états de la Péninsule.
C. Propagation par l’usage oral. Ce mode de propagation, qui est ordinairement tardif, ne s’observe guère que pour les idiomes qui ont accompli, dans l’usage littéraire et administratif, d’importants progrès. Cependant on le constate parfois à l’occasion d’idiomes qui n’ont qu’une faible culture littéraire et qui n’ont jamais eu d’existence officielle. C’est notamment le cas du piémontais de Turin qui s’est étendu jusque dans certaines vallées alpines, se substituant plus ou moins aux patois locaux.
Il ne faut pas perdre de vue que, jusque dans le courant du XIX e siècle, la propagation des idiomes s’est opérée, si l’on peut ainsi parler, par voie naturelle, sans intervention d’ordre gouvernemental. Le français progressait en France et dans certains états voisins (Belgique, Suisse, Savoie, Piémont) par le simple développement de l’instruction, pénétrant peu à peu les diverses couches de la population. De mème en Italie, et, en dehors des états italiens, au nord et à l’est de l’Adriatique : le toscan gagnait peu à peu non seulement sur les patois romans, mais même sur les idiomes slaves de l’Istrie et de la Dalmatie. La lutte des langues, qui fait rage en Belgique et sur la rive orientale de l’Adriatique, était inconnue. L’autorité administrative n’intervenait pas pour imposer une langue au détriment d’une autre. C’est seulement sous le second empire, aux environs de 1860, que l’on a commencé à considérer la langue comme étant le signe visible de la nationalité; c’est depuis cette époque que les gouvernements ont pris les mesures nécessaires pour faire prédominer une langue unique par tout le territoire sur lequel s’étendait leur autorité, en même temps que le service militaire et l’instruction primaire obligatoire répandaient dans toutes les classes la connaissance de l’idiome littéraire du pays.
Il ne semble pas qu’en aucun cas et à aucun moment la valeur, réelle ou supposée, de l’idiome soit entrée en ligne de compte. Certains idiomes ont pu être regardés comme plus parfaits que d’autres, mais cette opinion, fondée ou non, ne parait pas avoir eu d’influence sur leur progrès. Ç’a été l’erreur de Rivarol, en son célèbre discours sur l’universalité de la langue française (1784), erreur dont on trouve encore la trace chez certains écrivains, de croire que la grande extension de la langue française dans les derniers siècles était due à des qualités inhérentes à cette variété du langage roman. Ces qualités appartiennent aux écrivains plutôt qu’à l’idiome. Les écrivains contribuent certainement a augmenter la richesse du vocabulaire, à donner au style la clarté et l’élégance, mais il n’est pas douteux que tous les idiomes d’une mème famille sont susceptibles à un degré égal d’acquérir ces mérites.
3. Dans notre Europe occidentale tous les idiomes qui se sont propagés en dehors de leurs limites originaires ont eu à lutter contre d’autres idiomes dont la force de résistance a été très variable. Et d’abord contre le latin. A une époque où, par toute la France, la littérature vulgaire, surtout en sa forme poétique, était en pleine vigueur, le latin restait non seulement la langue de l’Église, et par conséquent celle de toute science, mais encore il était partout la langue des gouvernements, des corps administratifs comme des assemblées provinciales ou municipales. Là même où on délibérait en langue vulgaire, on rédigeait les délibérations en latin. Toute personne qui savait lire et écrire possédait nécessairement une certaine connaissance du latin, puisque c’était dans des livres latins qu’on apprenait à lire. La France est, de tous les pays romans, celui où la langue vulgaire arriva le plus tôt a se faire une place à coté du latin. Elle s’y fit une place à part, ne se substituant pas à la langue savante qui restait réservée aux études poursuivies dans les monastères, dans les écoles épiscopales, dans les universités, mais servant d’expression à une littérature d’agrément, d’édification, parfois d’enseignement élémentaire, à l’usage de ceux qui n’entendaient pas le latin. Elle fut la lumière nouvelle, le soleil nouveau de ceux pour qui, selon la forte expression de Dante, le soleil ancien (le latin) ne luisait pas.
4. Les idiomes qui ont franchi leurs limites propres, ont eu aussi à lutter contre ceux des pays où ils tendaient à se répandre. La résistance des idiomes locaux, ainsi envahis sur leur propre terrain, est plus ou moins forte, selon le degré de culture qu’ils ont atteint. C’est ainsi qui fallut plus de temps au langage du Latium pour conquérir l’Italie centrale et méridionale que pour s’implanter en Espagne, en Gaule, dans l’Afrique septentrionale. Sur le territoire de l’ancienne Gaule, le progrès du français de Paris et d’Orléans fut assez lent. C’est, naturellement, dans la littérature que ce progrès se manifeste d’abord, et dans ce domaine, il commence à acquérir une certaine supériorité dès la fin du XIIe siècle. Mais en Normandie, en Picardie, en Artois, en Lorraine, en Bourgogne, il y avait dès lors des foyers littéraires d’une certaine intensité, qui maintenaient l’usage des idiomes locaux, et il faut attendre au moins le milieu du XIII° siècle pour que la suprématie du français propre apparaisse clairement. Dans le midi, où, depuis l’onzième siècle, la poésie vulgaire jetait un vif éclat, l’admission du français, comme idiome littéraire et administratif, fut beaucoup plus tardive.
En Italie, la résistance du latin à l’emploi du roman comme langue écrite avait été très forte. Au XII° siècle, lorsque le français commença à s’introduire dans les pays subalpins, aucune partie de la péninsule n’avait de littérature vulgaire, et cette circonstance favorisa grandement la propagation, à l’est et au sud des Alpes, des idiomes venus de France. Le français et le provençal, importés par les jongleurs du nord et du midi, occupèrent un terrain vacant. Le provençal s’éteignit de lui-même, à la fin du XIII° siècle, à une époque où sa littérature était en pleine décadence dans son pays d’origine. La brillante poésie à laquelle il avait servi d’expression se continua et se développa sous forme italienne. Le français résista mieux, surtout en Lombardie, en Vénétie, en Emilie. Il ne fut détrôné qu’à la fin du XIV° siècle par la poussée de la littérature toscane. Il se maintint plus longtemps en Piémont où l’influence toscane fut tardive, et où la concurrence du dialecte local avait été nulle.
5. Cherchons maintenant à déterminer les voies par lesquelles le français et sa littérature pénétrèrent en Italie. Il n’est pas douteux que les Normands, établis en Sicile et dans l’Italie méridionale au XI° siècle, y introduisirent une certaine connaissance de la poésie française. C’est a eux que l’on doit rapporter les souvenirs de l’épopée Carolingienne et même du cycle breton que l’on trouve localisés en diverses parties de la région qu’ils ont habitée. Mais il ne s’agit ici que d’une influence passagère dont les traces n’apparaissent à nos yeux que bien effacées.
Il faut attribuer une action plus puissante et plus durable à l’affluence des pèlerins venant de France, et se rendant en Italie, soit par la vallée de l’Isère, le Petit Saint-Bernard et le Val d’Aoste, soit par la vallée de l’Are, le Mont Cenis et la vallée de la Dora riparia. Les voyageurs originaires des parties méridionales passaient plus au sud par le mont Genèvre, par le col de Larche, par le col de Tende, par la rive de mer (Menton et Vintimille). Les jongleurs accompagnaient volontiers les pèlerins. Ils abondaient dans tous les lieux consacrés : au Puy-Notre-Dame, à Saint-Gilles, à Saint-Jacques de Galice. Ils fréquentaient la voie de Rome et y faisaient de nombreuses stations. C’est par eux que les héros carolingiens et arthuriens devinrent populaires en Italie, dès la première moitié du XII° siècle, et c’est d’Italie, en compensation, qu’ils rapportèrent les notions géographiques plus ou moins exactes qu’ils firent entrer en divers poèmes, par exemple dans Ogier et dans le Couronnement de Louis. A l’année 1131 ou environ remonte la célèbre charte lapidaire de Nepi, qui menace du sort de Ganelon ceux qui manqueraient au serment par lequel sont liés les nobles et les consuls de la cité. Il n’y a pas lieu d’insister sur ce précieux document, signalé à l’attention depuis trois quarts de siècle et si richement commenté de nos jours par M. Rajna, qui, à l’explication du monument, a joint des recherches approfondies sur les chemins que les pèlerins suivaient pour se rendre à Rome.
Au XII° siècle encore, et, selon toute apparence, à une période ancienne de ce siècle, appartient le portail septentrional de la cathédrale de Modène sur lequel se voient, en bas reliefs, des personnages appartenant à l’épopée bretonne: Isdernus (Ider), Artus de Bretania, Durmaltus (Durmart), Winloge (Guenloie). Mardoc, Carrado (Caradoc), Galoagiìius (Gauvain), Galivarium, Che (Kai, le sénéchal).
Il est à peine besoin de rappeler les statues de Roland et d’Olivier, à la cathédrale de Vérone, qui sont du XII° siècle. D’autres témoignages, figurés ou écrits, sur l’épopée carolingienne en Italie, ont été recueillis par Eug. Muntz et par MM. d’Ancona et Monaci). Dans le même ordre de recherches M. Rajna a montré combien étaient fréquents en Italie, dès le XII e siècle, les noms empruntés aux romans bretons. On conçoit que les romans du cycle carolingien ont dû aussi fournir leur contingent de noms à l’onomastique italienne, encore bien, comme l’a justement remarqué M. Rajna, qu’ici la part de l’influence française soit difficile à faire, puisque beaucoup des noms qui ont pu être portés au sud des Alpes par les jongleurs français existaient déjà en Italie. Diverses localités aussi ont reçu des noms qui rappellent des souvenirs de l’épopée française.
6. Mais, dira-t-on, tous ces faits prouvent que des créations de l’imagination française circulaient en Italie. Prouvent-ils au mème degré que la langue dans laquelle ces créations avaient trouvé leur expression était comprise par le peuple, ou au moins par certaines classes de la société? Non pas absolument. Il est possible que, dès le XII° siècle, des cantastorie italiens, ayant une certaine connaissance du français, aient répandu parmi leurs compatriotes, en se servant de leur dialecte propre, les gestes des héros carolingiens ou bretons. Il n’est peut-être pas téméraire de supposer l’existence d’une période en quelque sorte préhistorique de la littérature italienne où ces fabuleux récits, plus ou moins admis comme réels, auraient circulé en italien par voie orale.
Attendons le XIII° siècle. Alors, sinon plus tôt, nous trouvons des preuves évidentes d’une connaissance réelle du langage (ou des langages) de France en diverses parties de l’Italie. Il ne s’agit plus seulement de troupes de pèlerins ou de jongleurs français parcourant a petites journées le « chemin romain » et faisant des stations plus ou moins prolongées dans les villes de la route. Dès la fin du XII° siècle il s’était formé en Ligurie, en Lombardie, en Vénétie, dans les cours seigneuriales, dans certaines cités, des centres favorables au développement de la poésie et de la littérature de passe-temps. Les cours de Montferrat et d’Este, et toute la Marche Trevisane devinrent un pays d’élection pour les troubadours, surtout à partir de l’époque où les conditions politiques qui résultèrent de la croisade albigeoise forcèrent un grand nombre d’entre eux à s’expatrier. Pendant le XIII° siècle la poésie provençale, cultivée non seulement par les troubadours fugitifs mais aussi par les Italiens, fut plus florissante dans l’Italie septentrionale que dans son pays d’origine. C’est dans cette région, probablement dans la Marche Trévisane, que, aux environs de 1250, fut composée la grammaire connue sous le nom de Donat proensal à la demande de deux seigneurs italiens. Plus tard, peu avant 1300, Terramagnino de Pise paraphrasait en vers provençaux les Razos de trobar de Raimon Yidal de Besaudun, et nous savons que, vers le mème temps ou peu après, Dante non seulement lisait les troubadours, mais pouvait écrire en leur langue. Enfin, et c’est l’une des plus fortes preuves que l’on puisse apporter du succès de la poésie provençale en Italie, la majeure partie des anthologies qui nous ont conservé ce qui nous est parvenu des compositions des troubadours a été écrite par des copistes italiens.
Mais on ne se propose pas ici d’étudier le mouvement provençal en Italie, sujet sur lequel il existe déjà de nombreux travaux : c’est de l’expansion du français que nous avons à nous occuper.
7. Le développement de la littérature française en Italie est parallèle à celui de la littérature provençale. Toutefois il paraît commencer un peu plus tard et se poursuit assurément plus longtemps : jusqu’au début du XV e siècle. Une autre différence est qui ne se manifeste pas dans les mèmes genres littéraires. L’emploi du provençal est à peu près limite à la poésie lyrique, chansons, sirventés, ballades ; les compositions destinées à être lues ou récitées, comme le Tesaur de Sordel, sont assez rares, et plus rares encore les écrits en prose. La langue française pénètre en Italie avec des poèmes variés : chansons de geste, romans d’aventure, légendes de saints, et avec des écrits en prose de divers genres. C’est une littérature moins limitée dans son objet, plus généralement accessible par son caractère, et capable de se répandre en dehors d’un petit cercle de lettrés.
Il y a lieu ici de passer en revue trois ordres de preuves, qui nous sont fournies: 1° par les témoignages des contemporains sur la connaissance du français et de sa littérature ; 2° par les transcriptions d’œuvres françaises faites en Italie; 3° par les œuvres françaises qui ont pour auteurs des Italiens.
Le plus précieux des témoignages sur l’usage du français en Italie serait assurément, si on pouvait lui accorder une entière confiance, celui que le premier biographe de François d’Assise, Thomas de Celano, nous a laissé sur son héros, qui, nous dit-il, chantait les louanges du Seigneur « lingua francigena ». Bien que cette assertion ait été répétée par d’anciens biographes et qu’elle paraisse acceptée par les modernes, j’avoue qu’elle m’inspire des doutes. Car, dans la partie de l’Italie où vivait saint François, la langue française n’a jamais été fort répandue, surtout à la fin du XIIe siècle et dans les premières années du XIIIe, et d’autre part le fait que le père de François voyageait souvent en France ne prouve pas que le fils ait su rimer en français. Si Francis avait vécu dans l’Italie septentrionale on pourrait se montrer moins défiant à l’égard de biographes dont la véracité n’est nullement au- dessus de toute contestation.
A Bologne le jurisconsulte Odofredo († 1265), qui professait au milieu du XIIIe siècle, nous offre un témoignage plus sûr, quoique moins précis. Ce maitre se plaisait — on l’a remarqué depuis longtemps — à introduire dans ses commentaires sur le Code et sur le Digeste, l’expression de ses sentiments personnels sur les hommes et sur les choses de son temps. Il nous parie des joculatores qui ludunt in publico causa mercedis, des orbi qui vadunt in curia communis Bononie et cantant de domino Rolando et Oliverio. Il n’est pas dit que ces jongleurs, aveugles ou non, fussent français, mais il n’est pas téméraire de le supposer, si on considère que vingt-cinq ou trente ans plus tard les magistrats de Bologne furent obligés d’intervenir par un bando célèbre pour défendre les attroupements causés par les jongleurs français.
En certains cas il se peut que les circonstances politiques soient venues en aide à l’influence littéraire. Nous verrons qu’il y eut à Naples, à la fin du XIIIe siècle, un faible mouvement littéraire dans le sens français, qui, assurément, ne se serait pas produit sans l’occupation du pays par Charles d’Anjou. A Florence toutefois, l’occupation française, qui fut, à la vérité, très courte (1267), n’eut pas un effet appréciable sur la propagation du français.
8. Le fait que nous possédons encore maintenant de nombreux manuscrits français qui ont été exécutés en Italie pour le public italien conduit à des conclusions plus précises et plus sûres. Quand, dans un pays, on recherche les livres composés en une langue étrangère, quand on s’applique à en multiplier les copies, on peut affirmer que cette langue y est répandue, au moins dans une certaine classe de la société. Si d’ailleurs l’idiome local ne s’écrit point ou s’écrit peu, on peut induire de cette circonstance que c’est l’idiome étranger qui tend à prendre le rang de langue littéraire. Au XIIIe siècle, bien des couvres françaises ont été goûtées, imitées, traduites en Espagne ou sur les bords du Rhin. Il ne parait pas que dans les mêmes pays on en ait fait des copies. La littérature française y avait pénétré dans une mesure variable : elle ne s’y était pas implantée. Au contraire, l’Angleterre tout d’abord, l’Italie septentrionale et les pays de langue flamande à un moindre degré, ont été, pendant une période plus ou moins longue, au point de vue de la littérature, comme an prolongement de la terre française.
Il est impossible, dans l’état actuel de nos connaissances, de dresser une liste tant soit peu complète des livres français qui ont été écrits par la main de copistes italiens. Non qui soit difficile à un paléographe expérimenté de reconnaitre le pays d’origine d’un manuscrit : la forme des lettres et des abréviations, le caractère de l’ornementation fournissent des indices auxquels on ne peut se méprendre; mais il est rare que ces indices aient été relevés dans les catalogues, et les manuscrits eux-mêmes, dispersés par toute l’Europe, échappent facilement aux investigations. Toutefois, une liste, même imparfaite, peut être de quelque utilité en nous montrant quels sont les ouvrages qui ont été le plus goûtés au sud des Alpes. Nous placerons en premier lieu les poèmes et ensuite les écrits en prose.
Les chansons de geste, principalement celles du cycle de Charlemagne, ont été particulièrement appréciées, ce que pouvaient d’ailleurs faire présumer les témoignages rappelés plus haut. Plusieurs des manuscrits que nous aurons à mentionner proviennent de la célèbre bibliothèque des Gonzagues, dont le catalogue, pour la partie française, a été publié. Nous ne donnerons pas le dépouillement de ce catalogue, non plus que des anciens inventaires de la bibliothèque des d’Este, où sont enregistrés beaucoup de livres français : nous nous bornerons à mentionner les livres qui existent encore et dont il a été, par suite, possible de vérifier l’origine italienne.
Roland. Le plus ancien et le plus célèbre de nos poèmes épiques parait avoir été copie fréquemment en Italie. Trois de ces copies nous sont parvenues. Toutes trois viennent des Gonzagues : 1° Venise, San Marco, fr. IV, c’est, pour une partie, la rédaction ancienne ; 2° San Marco, VIII ; 3° Bibl. de Châteauroux.
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