Histoire de la civilisation Française (Rambaud, Alfred, vol. 1, 1895)
Histoire de la civilisation française by Rambaud, Alfred, 1842-1905. Publication date 1895

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Histoire de la civilisation Française (Rambaud, Alfred, vol. 1, 1895)
Vol. 1. Depuis les origines jusqu’à la Fronde.

LIVRE II
LA FRANCE FÉODALE

CHAPITRE XV

DECADENCE DE LA SOCIÉTÉ FÉODALE

pages 288 – 292


II. La captivité d’Avignon et le grand schisme

La captivité d’Avignon et le grand schisme. — Une autre grande puissance du moyen âge cède aussi sous la main de la royauté. La papauté a dû renoncer aux grandes ambitions de Grégoire VII et d’Innocent III. Philippe le Bel est le dernier roi de France contre lequel un pape ait osé lancer l’excommunication, et il s’en est vengé cruellement.

La captivité des papes à Avignon, de 1308 à 1378, avait mis la papauté elle-même sous la main de nos rois.

En 1378, lorsque Grégoire XI mourut à Rome, le peuple de cette cité, mécontent de voir la papauté siéger loin d’elle, force les cardinaux à élire un pape qui s’engage à demeurer dans la ville éternelle; mais les cardinaux, réfugiés à Anagni, élisent un autre pape qui retourne à Avignon. Voilà donc la chrétienté divisée entre deux pontifes : c’est ce qu’on appelle le « grand schisme d’Occident ».

Les papes et les conciles. — La papauté divisée est encore plus faible que la papauté captive. Le clergé d’Europe s’enhardit jusqu’à porter la main sur cette ancienne dominatrice du monde. De même que, dans les défaillances de la royauté française, les États généraux s’étaient emparés du gouvernement : de même, dans cette grande défaillance du pontificat, des assemblées d’évêques et d’abbés entreprennent de gouverner et de réformer la chrétienté. La papauté toute-puissante du xiii° siècle s’était subordonné les conciles ; maintenant ce sont les conciles qui la tiennent en tutelle. Au principe de la papauté absolue, ils opposent la maxime que la souveraineté ecclésiastique réside dans la chrétienté assemblée. La monarchie spirituelle de Grégoire VII et d’Innocent III subit la même réaction que la monarchie temporelle de Philippe le Bel : les doctrines de liberté triomphent dans les conciles comme dans les États généraux.

Le concile de Pise, en 1409, s’arroge le droit de déposer les deux papes rivaux, d’en élire un troisième ; mais comme les deux premiers refusent de se démettre, on a trois papes au lieu de deux. Le concile de Constance, de 1414 à 1418, les dépose tous trois, et élit Martin V qui reste seul pape. En même temps l’assemblée proclame que « les conciles généraux sont supérieurs aux papes ». Cette doctrine est presque une doctrine française, à cause de la grande part que les théologiens français, les docteurs de l’Université de Paris, Jean Gerson et Pierre d’Ailly, ont prise dans les décisions de cette assemblée. Le concile de Bâle,de 1431 à 1449, formule, dans le même sens, vingt-trois propositions. Martin V et ses successeurs refusent d’admettre cette doctrine républicaine et cherchent à restaurer la monarchie spirituelle.

Toutefois ils renoncent à la direction suprême de l’Europe. A partir du xve siècle, le pape, rétabli à Rome, s’occupe à agrandir ses états romains. En matière spirituelle il reste le chef religieux de la chrétienté ; en matière temporelle, il n’est plus qu’un prince italien.

Pragmatique Sanction. — La royauté française n’est plus en lutte avec la papauté que pour des questions de finances. Le roi continue à exiger des églises des dons gracieux et des aides volontaires ; pendant la vacance des évêchés, il perçoit la régale. Le pape, de son côté, fait peser sur ces mêmes églises d’autres contributions : sous le nom d’annates, il s’adjuge la première année des revenus de chaque nouvel évêque; sous le nom de réserves, il s’attribue la nomination des titulaires dans un certain nombre d’évêchés. Un pape d’Avignon, Jean XXIII, déclare même se réserver tous les évêchés de la chrétienté. Or, pour obtenir la nomination aux évêchés réservés, les clercs accouraient en foule, soit à la cour d’Avignon, soit à la cour de Rome. Du pape français ou du pape italien ils sollicitaient tantôt leur nomination, tantôt la promesse d’être nommés, ce qu’on appelait grâces expectatives. Ils achetaient ces faveurs éventuelles argent comptant, ou en promettant au pape une partie de leurs futurs revenus. Les papes abusaient de leur prérogative pour distribuer les évêchés de France à des étrangers, à des Italiens, même à des Anglais, ennemis du roi de France. Enfin ils s’étaient réservé de statuer en premier et dernier ressort sur nombre de causes ecclésiastiques, dispenses de mariage, rémission des peines encourues par les pécheurs. Beaucoup d’argent par ces pratiques, passait de France en Italie. Nos rois résolurent de limiter ces abus.

Charles VII, dans une réunion du clergé de France tenue à Bourges en 1438, lui fit adopter les propositions du concile de Bâle. Des délibérations de cette assemblée sortit l’ordonnance royale connue sous le nom de « Pragmatique Sanction de Bourges ».

1° L’autorité des conciles œcuméniques était déclarée supérieure à celle du pape ; 2″ pour enlever au pape la disposition des évêchés et des abbayes, on décida qu’ils ne seraient conférés qu’après une élection régulière, les évêques étant élus par les chapitres, les abbés par leurs religieux; mais le droit des patrons des églises à intervenir dans ces élections était reconnu; 3° les annates, réserves, grâces expectatives étaient supprimées ; tout ecclésiastique qui aurait sollicité du pape sa nomination devait être puni parle bras séculier; 4° les causes ecclésiastiques ne pourraient être portées en appel à Rome qu’après avoir passé par toute la filière des juridictions ecclésiastiques de France.

L’ensemble de ces dispositions constituait les libertés de l’Église gallicane vis-à-vis du pouvoir pontifical.

La « Pragmatique » de Charles VII, en rétablissant la liberté des élections, avait eu pour but d’enlever au pape la disposition des bénéfices ecclésiastiques. Mais ces élections elles-mêmes étaient une gêne pour l’autorité royale, qui se trouvait réduite à son droit de patronage et de présentation aux bénéfices. Aussi Louis XI, en 1463, abolit la « pragmatique », espérant qu’il s’entendrait plus facilement avec le pape qu’avec les électeurs ecclésiastiques et les seigneurs patrons. Au fond, Charles VII et Louis XI visaient
le même but : mettre les nominations ecclésiastiques à leur discrétion. En décrétant la Pragmatique, on supprimait les entraves apportées par la cour de Rome ; en abolissant la Pragmatique, on supprimait les entraves apportées par la liberté des électeurs et par le patronage des seigneurs.

Louis XI conclut en 1470 une espèce d’accord, un concordat, avec le pape. Celui-ci s’engageait à ne nommer que des Français et à tenir compte de la recommandation du roi. Le but que se propose la royauté ne sera réellement atteint que par le concordat signé en 1516 par François Ier avec le pape Léon X.

Appel comme d’abus. — D’autres mesures avaient été prises pour assurer une dépendance plus complète des églises de France à l’égard du roi. On ne toucha pas à la juridiction des évêques en matière purement spirituelle; mais on ôta aux juges d’Église la connaissance des procès civils et criminels. Les ecclésiastiques eux-mêmes furent, pour ces sortes de causes, justiciables des tribunaux du roi. Comme la juridiction ecclésiastique empiétait souvent sur les juridictions laïques et s’attribuait la connaissance d’affaires purement temporelles, Philippe VI, en 1329, institua « l’appel comme d’abus ». Toutes les fois que le juge ecclésiastique avait excédé son pouvoir, empiété sur la juridiction civile, ou même porté atteinte aux « libertés de l’Église gallicane », on appelait de sa sentence, soit au Conseil du roi, soit au Parlement, qui la cassait en déclarant qu’il y avait « abus ».

A partir du xv° siècle, le Parlement retire à l’inquisition la connaissance des procès d’hérésie et ne permet pas à d’autres qu’aux juges royaux de prononcer des peines capitales. Dès 1460, le Parlement sauve de l’inquisition les vaudois d’Arras, et dès lors cette institution disparaît du sol français.

Enfin Louis XI avait ordonné de dresser une liste exacte des terres possédées par l’Église, d’inventorier les rentes et autres redevances qu’elle en retirait ; il exigea la production de ses titres de propriété, afin d’empêcher qu’elle n’empiétât sur les biens du roi et des laïques.

Ainsi la royauté avait brisé la suprématie temporelle du saint-siège; empêché que la papauté ne disposât de la nomination aux bénéfices, et ne s’attribuât une part trop importante dans les revenus des églises; limité la juridiction ecclésiastique par les appels ordinaires, par les cas royaux et les appels comme d’abus; réduit l’inquisition à n’être plus qu’un souvenir; mis un frein à l’extension des propriétés ecclésiastiques.

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