
Histoire de la civilisation Française (Rambaud, Alfred, vol. 1, 1895)
Vol. 1. Depuis les origines jusqu’à la Fronde.
LIVRE II
LA FRANCE FÉODALE
CHAPITRE XV
DECADENCE DE LA SOCIÉTÉ FÉODALE
pages 296 – 307
IV. Institutions de la royauté
La royauté s’organise. — Ainsi toutes les puissances anciennes et nouvelles du moyen âge, Féodalité, Église, Communes, États généraux et provinciaux, Université, Parlement, avait dû fléchir sous la puissance du roi. Cette puissance, si singulièrement accrue de Philippe le Bel à Louis XI, devait, pour se maintenir, perfectionner sans cesse les institutions qui étaient ses organes et ses moyens d’action.
La justice. — Le premier de tous les services publics, la justice, reçoit une meilleure organisation. Le parlement de Paris et les parlements des provinces forment le suprême
degré de juridiction civile et criminelle. Celui de Paris ne se distingue des autres que par la vaste étendue de son ressort et par le droit qu’il a gardé, en appelant les pairs de France dans la grand’chambre, de se reconstituer en cour des pairs et de juger les grands feudataires du royaume.
Autrefois, le parlement de Paris était ambulatoire; il suivait le roi dans tous ses déplacements; maintenant, il est devenu fixe; depuis Charles V, il siège dans l’ancien palais de saint Louis. Autrefois, il ne se réunissait que deux fois par an; maintenant, il siège dix mois par année; il y a même une chambre des vacations pour instruire les causes pendant les mois de vacances. Autrefois, il se composait de barons, de prélats, assistés des légistes; maintenant, il ne se compose plus que de juges de profession. Autrefois, il était universel, en ce sens qu’il était unique dans le royaume; c’étaient des juges du parlement de Paris qui allaient tenir à Rouen les échiquiers de Normandie, à
Troyes les grands jours de Champagne et qui, dans leur « auditoire de droit écrit » à Paris, jugeaient les procès du midi ; maintenant, la création des parlements de province
ôte à celui de Paris son caractère universel.
De l’ancienne institution d’un parlement unique, il subsiste une trace curieuse; c’est que, en vertu d’une ordonnance de 1443, les membres du parlement de Toulouse, quand ils viennent à Paris, ont droit de siéger dans le parlement de cette ville.
Le parlement de Paris est aussi un tribunal de première instance; mais il ne juge en première instance que les causes des pairs, prélats, barons, communes, et les causes du domaine royal. Il est surtout, comme les autres parlements, une cour d’appel.
Une ordonnance de 1446 décide que les membres du Parlement seront élus par leurs collègues; à partir de 1454, ils sont nommés par le roi sur une liste présentée par les
membres du Parlement. Il leur est interdit d’accepter aucun office, aucune pension, sinon du roi. Ils ne doivent ni manger ni boire avec les parties, ni en recevoir aucun
cadeau. Ils doivent expédier les affaires promptement. L’ordonnance de 1454 statue que les audiences s’ouvriront à six heures du matin au printemps et en été, un peu plus tard dans les autres mois.
En 1454, une nouvelle chambre est ajoutée au parlement de Paris pour la juridiction criminelle; c’est celle de la Tournelle, ainsi nommée parce que les juges de la grand-chambre y doivent siéger tour à tour.
Dès le xiv° siècle, les conseillers au Parlement portent un costume spécial : la robe longue, fourrée d’hermine, et la toque. Les gens du roi siègent, comme on dit, en habits
royaux.
Au-dessous des parlements, il y a deux degrés de juridiction : 1° celle des prévôts et autres officiers du domaine royal; 2° celle des baillis et sénéchaux, auxquels on en appelle des jugements rendus par les prévôts. Les prévôts ne jugent que les sujets directs du roi, les autres restant soumis aux juridictions seigneuriales, épiscopales, abbatiales, communales ; mais les baillis et sénéchaux jugent en appel toutes les causes, celles des sujets des seigneuries comme celles des sujets du roi.
Jusqu’alors, en la personne des baillis, sénéchaux, prévôts, etc., s’étaient confondues les attributions militaires, financières, judiciaires. Le progrès des temps amène la séparation des pouvoirs. Ces officiers cessent d’être chargés de lever l’impôt; les baillis et sénéchaux, qui sont des hommes d’épée, ne doivent plus juger en personne le procès; ils délèguent à leur place des lieutenants gradués en droit, qui sont des juges de profession. Dès lors, parmi les officiers du roi, on distingue les officiers de robe longue, qui sont des magistrats, et ceux de robe courte, qui sont des hommes d’épée et d’administration. A Paris, Louis XI institue un gouverneur pour les choses militaires, de sorte que le prévôt de Paris n’a plus à s’occuper que de la justice.
Louis XI, en 1467, promet de ne jamais reprendre un office du Parlement, sinon en cas de mort, de démission ou de forfaiture. C’était conférer à ces magistrats l’inamovibilité. Elle est une garantie à la fois pour les juges et pour les justiciables. Louis XI, à son lit de mort, fit jurer à son fils de maintenir l’inamovibilité et envoya au parlement acte de son serment.
Seulement, lorsqu’il s’agit de crimes contre la sûreté de sa personne ou la tranquillité de l’État, ce qu’on appelle crimes de lèse-majesté, le roi se réserve de soustraire les accusés à la justice ordinaire et de les faire juger par des commissions nommées par lui. Les accusés n’avaient alors plus aucune garantie contre l’arbitraire royal. C’est par des commissions de ce genre, aux membres desquelles on distribuait par avance les biens de l’accusé, que Jacques Cœur fut condamné sous Charles VII et le duc de Nemours sous Louis XI. Cet abus devait se perpétuer jusque dans les derniers jours de la monarchie.
Une loi odieuse, édictée par Louis XI, empruntée par lui au code des empereurs romains et qui devait être appliquée encore sous Richelieu, était celle qui punissait de mort ceux qui, ayant connaissance d’un complot contre la sûreté de l’État, ne le révélaient pas aux officiers du roi. C’était faire de la délation et de la dénonciation un devoir imposé à tous les sujets.
La législation. — La France, au point de vue de la législation, se partageait toujours en deux grandes régions : le midi, qui suivait le droit romain ou droit écrit, et le nord, qui se jugeait par le droit coutumier. Or, il y avait autant de coutumes différentes que de petites provinces. La plupart n’étaient même pas rédigées. Quand un juge ne savait pas exactement ce que prescrivait la coutume du pays sur un point de droit donné, il convoquait les plus vieux habitants et faisait appel à leur mémoire. Parfois on convoquait tous les habitants d’un village ou quantité d’habitants pris dans tous les villages d’un canton : c’est ce qu’on appelait une enquête par tourbe c’est-à-dire par foule.
Charles VII, suivant l’exemple donné au temps de saint Louis, donna des ordres pour que les coutumes du royaume fussent revisées et rédigées. Il voulait qu’on en formât un grand coutumier de France : ce qui eût été comme l’ébauche d’un code civil pour toute la France du Nord. Louis XI eut la même idée. « Toutes les coutumes, disait-il, seront mises
en français dans un beau livre ; cela coupera court aux ruses et aux pilleries des avocats; les procès en seront moins longs. » Il eût voulu établir l’unité de loi, ainsi que l’unité des poids et mesures. Le temps n’en était pas encore venu.
L’administration. — A la tête de la hiérarchie administrative, il y a toujours le Grand Conseil ou Conseil du roi. Ses attributions sont fixées par Charles VII, qui le partage en trois sections : justice, guerre et finances. En 1497, sous le chancelier Guy de Rochefort, on opère un démembrement dans cette institution. Toutes les affaires de justice qui lui
incombaient encore sont attribuées au Grand Conseil, qui n’est plus qu’un tribunal, chargé de résoudre les conflits entre les diverses juridictions; au contraire le Conseil du roi reste le principal corps de gouvernement et d’administration. Toutes les ordonnances rendues par le roi sont « faites en son Conseil ». Le Conseil du roi, ainsi restreint, est l’origine de notre conseil d’État.
L’importance administrative et gouvernementale du nouveau Conseil du roi devient si grande que les anciens officiers de la couronne sont rejetés au second plan. Le connétable ne s’occupe plus que du commandement des troupes ; le grand maître du palais, le grand chambrier, le grand panetier, à partir de la fin du xv° siècle, cessent de prendre part à l’Administration; le grand bouteiller devient un président de la Chambre des comptes.
Au-dessus des prévôts, châtelains, viguiers, baillis, sénéchaux, commencent à s’élever, çà et là, des gouverneurs de province, investis de l’autorité administrative et militaire, mais qui n’ont plus rien de féodal et qui sont des fonctionnaires révocables.
Les finances. — Les finances royales prennent plus d’importance. Les rois ne vivent plus seulement des revenus féodaux de leur domaine, bien que ces revenus comptent pour beaucoup dans le budget, comme le prouve la sollicitude constante des États généraux à empêcher les aliénations de domaines et à faire révoquer les anciennes.
Les rois, aux xiv° et xv° siècles, lèvent des impôts sur toute l’étendue de leur royaume, d’abord avec le consentement des seigneurs, puis avec le consentement des États généraux, puis sans le consentement de personne. Charles V rend les impôts indirects permanents en fait, puisqu’il lève la gabelle sur le sel, les aides sur les ventes, les impôts de consommation, sans réunir les États. Charles VII rend permanent l’impôt foncier à partir de 1439 : il prend le nom de « taille perpétuelle ».
Les aides devaient être perçues par des officiers élus par les États généraux, et qu’on appelait commissaires généraux ou simplement généraux; ceux-ci élisaient à leur tour des délégués qu’on appelait les élus. Charles V conserve les fonctions et supprime l’élection; les généraux et les élus sont désormais nommés par le roi. Le royaume, au point de vue financier, se divise en généralités subdivisées elles-mêmes en élections. Les pays qui ont conservé, avec leurs États provinciaux, le droit de voter l’impôt et de le répartir s’appellent pays d’États; ils forment aussi des généralités, mais celles-ci se divisent en recettes. Les mots d’élus et d’élections ne sont plus employés que dans les pays où il n’y a pas d’élections. La taille perpétuelle se perçoit de la même manière.
Il y a désormais trois principales sources de revenus : les revenus du domaine; les aides ou impôts indirects, auxquels il faut rattacher les douanes ; et enfin la taille qui est le plus important des impôts directs et qui s’élève à 1 800 000 livres sous Charles VII et à quatre millions sous Louis XI.
Il y a désormais trois degrés dans la perception de l’impôt : dans chaque paroisse, les « collecteurs » ; dans chaque élection ou recette, les « élus » du roi ou les « receveurs » des États ; dans chaque généralité, un « général des finances ».
Il y a désormais trois grands services constitués au sommet de la hiérarchie financière : 1» la chambre des comptes, qui examine la gestion de tous les comptables du royaume; 2» la cour des aides, fondée en 1355, composée d’abord des neuf généraux nommés par les États, et qui juge tous les procès relatifs à la perception des impôts; 30 les trésoriers de France, chargés de concentrer l’argent perçu par les receveurs des divers ordres, et qui ne doivent délivrer les fonds que sur un ordre signé du roi. Louis XI instituera des « cours des aides » et des « chambres des comptes » provinciales.
L’armée se transforme. — L’armée allait cesser d’être féodale, comme au temps des premiers Capétiens, ou demi-féodale, comme au temps de Philippe le Bel. La chevalerie
noble montra tant d’indiscipline aux batailles de Crécy, de Poitiers, d’Azincourt, que les rois commencèrent à ne plus compter que sur les troupes soldées.
Dès Charles V, la royauté n’a plus recours à l’armée féodale. Par l’ordonnance de Vincennes, en 1374, ce prince essaie d’organiser une force permanente. Dans la
noblesse pauvre et parmi les brigands des grandes compagnies, Duguesclin recrute des mercenaires qui se battent bien, et qui, tant qu’on les paie, obéissent docilement. Il est vrai que ce sont les mêmes bandes qui, sous Duguesclin, renversent Pierre le Cruel, puis, sous le prince Noir, battent Duguesclin et rétablissent Pierre le Cruel, et enfin, sous Duguesclin, renversent définitivement Pierre le Cruel. La solde était essentiellement la condition de leur service, et peu leur importait pour qui elles se battaient pourvu qu’elles fussent payées. En outre le butin et le pillage leur semblaient un complément indispensable de la solde.
Les compagnies d’ordonnance. — Charles VII régularise le recrutement de ces troupes soldées; par l’ordonnance d’Orléans, en 1439, il interdit de lever des gens de guerre à quiconque n’est pas commissionné par le roi et se réserve le droit exclusif de nommer des capitaines et de fixer le nombre de leurs soldats. D’abord, il use les grandes compagnies dans son expédition en Lorraine et dans l’expédition du Dauphin en Suisse (1444). Après ces larges saignées, il peut se débarrasser des plus turbulents et astreindre les autres à un commencement de discipline. Enfin il choisit parmi ceux-ci, en mai 1445, quinze « compagnies d’ordonnance «. Chaque compagnie est commandée par un capitaine et se compose de cent lances garnies. Par « lance garnie », on entend un groupe de six cavaliers : l’homme d’armes armé de la lance, son varlet, son page, deux archers et un coutillier armé d’un coutelas. Les quinze compagnies forment un total de 1 500 lances, c’est-à-dire de 9 000 cavaliers. Les routiers qui ne purent être compris dans ces cadres furent renvoyés; les récalcitrants furent pendus.
Charles VII exigea que les capitaines tinssent leur compagnie au grand complet et que les « gens d’armes » observassent une discipline exacte. Pour qu’ils ne fussent pas tentés d’abuser de leur force contre les bourgeois, on ne plaçait dans chaque garnison que vingt-cinq à trente « lances ». Les délits étaient réprimés par les juges du roi.
Chaque « lance garnie » recevait par mois deux moutons, la moitié d’un bœuf, et quatre porcs par an; en outre, du vin, du blé, du fourrage; enfin, elle touchait en argent vingt écus d’or (environ 1000 francs), par an. Elle était logée chez les particuliers : mais ceux-ci pouvaient se racheter de cet « hostelage » moyennant une somme d’argent.
Les compagnies d’ordonnance ne devaient plus être encombrées, comme l’avaient été les grandes compagnies, d’une suite de valets, de vagabonds, de femmes perdues, de bagage inutile.
Louis XI prescrivit de fréquentes revues : par l’ordonnance de 1467, il ordonna que les « passe-volants », soldats fictifs que les capitaines présentaient parfois afin de pouvoir toucher la solde pour les soldats qu’ils n’avaient pas, fussent pendus; les capitaines, coupables de cette fraude, perdraient leur emploi. 11 décida que chaque lance, logée chez les particuliers, aurait droit à une chambre, trois lits, douze écuelles, etc. Il institua une « petite paye » pour les soldats devenus invalides.
Ces compagnies d’ordonnance furent bientôt en grande faveur. Les gentilshommes pauvres, aussi bien que les anciens routiers, sollicitaient comme une faveur d’y être enrôlés, ou même simplement d’être inscrits à la suite, pour remplir les vides qui se produiraient dans l’effectif. Les nobles ne dédaignaient même pas, à défaut de l’emploi d’homme d’armes, ceux d’archer et de coutillier. On possède un contrat de 1474 portant échange d’une terre importante contre une place d’archer dans les compagnies.
Les francs-archers. — La royauté trouvait les milices communales aussi incommodes que la cavalerie féodale. De même qu’elle avait remplacé les chevaliers par des « gens
d’armes », elle essaya de remplacer les milices par une infanterie régulière.
Charles VU, dans l’ordonnance de Montil-lès-Tours (28 avril 1448), disposait que chacune des paroisses du royaume devrait fournir un homme qui, autant que possible, eût déjà fait la guerre. Il serait choisi par les ‘< élus » et prêterait serment au roi. Il serait armé d’une « salade » ou casque léger, d’une « brigandine « ou casaque de buffle plaquée de fer, d’une arbalète, d’une épée, d’une dague. Il devait s’exercer à l’arbalète les dimanches et jours de fêtes. Il serait équipé par la paroisse et, en cas d’expédition, toucherait une solde du roi. Il serait, pour le reste du temps, exempt de la taille : d’où son nom de « franc-archer », ou encore « franc-taupin ». Il y avait en France environ 16 000 paroisses; il y eut donc 16 000 « francs-archers ». En 1460, Charles VII les divisa en quatre corps de 4000 hommes, placés sous les ordres de quatre capitaines généraux : le bailli de Mantes, le bailli de Melun, le seigneur de L’Isle, le sénéchal de Beaucaire. Chaque corps se divisait en huit compagnies de 500 hommes chacune. Les capitaines généraux devaient s’assurer, par de fréquentes revues, de l’exacte discipline et du bon entretien des armes. Des « prévôts » étaient chargés de punir les délits.
Malheureusement les francs-archers, vivant isolément dans leurs paroisses et ne s’exerçant pas ensemble, ne formaient pas une armée, ne prenaient pas l’esprit militaire. Le poète Villon raillait leur poltronnerie dans son « Franc-archer de Bagnolet ». En 1465, les francs-archers ne peuvent défendre contre les seigneurs de la Ligue du bien pubhc le pont de Charenton.
Louis XI, par l’ordonnance de 1469, essaya de leur donner une meilleure organisation. Il remplaça la brigandine par une jaquette ou jaque de cuir. Suivant les armes qu’il leur
attribua, il les divisa en lanciers, archers, arbalétriers et « voulgiers », armés de « voulges » ou demi-piques. Il fît rédiger pour eux une sorte de théorie ou d’instruction militaire par Aimar Cadorat. Ils furent encore battus à Guinegate, à Nesle, à Roye. Alors Louis XI cessa de les réunir. D’ailleurs, plus soupçonneux que son père, il n’aimait pas à voir les armes aux mains des paysans.
Les mercenaires étrangers. — Louis XI en revint à l’emploi des mercenaires étrangers. Ses prédécesseurs avaient enrôlé des Anglais, des Écossais, des Italiens, des Flamands, des Belges. Philippe VI, à la bataille de Crécy, avait eu des archers génois. Les routiers, cotereaux, brabançons, écorcheurs, retondeurs, tard-venus, qui avaient formé l’infanterie de Charles V, étaient des gens de toute» nations. Charles VII et Louis XI prirent à leur solde des Écossais; ils en formèrent leur garde particulière.
II recruta des Suisses, au nombre de six mille, pour constituer le noyau de son infanterie. Ses successeurs adjoignirent aux Suisses des mercenaires allemands, appelés « lansquenets » quand ils servaient à pied et « reitres » quand ils servaient à cheval. On forma une cavalerie légère appelée les « argoulets » ou les « estradiots » (d’un mot grec qui veut dire soldats) avec des aventuriers italiens, grecs, albanais, dalmates.
L’emploi de troupes mercenaires, mieux encore que l’emploi de troupes permanentes, caractérise le progrès qu’avait fait la royauté dans le sens de le monarchie absolue. Ces étrangers, ignorant souvent la langue du pays, n’avaient aucun souci des libertés nationales ou des privilèges des corporations ; ils ne discutaient pas les ordres du roi comme auraient fait la chevalerie féodale, les milices communales ou même les francs-archers; ils accomplissaient aveuglément toutes ses volontés, ne demandant qu’à être payés à peu près régulièrement. Ils étaient un redoutable instrument de despotisme.
L’artillerie. — L’introduction de l’artillerie assurait à la royauté une prépondérance énorme dans les guerres civile de l’époque. Les féodaux n’étaient pas assez riches, en-
général, pour se procurer un train d’artillerie. On distingua dès lors deux espèces de seigneurs : ceux qui avaient des canons et ceux qui n’en avaient pas. Les seconds se trouvèrent à la merci des premiers, qui pouvaient raser leurs châteaux. Cela donna une grande supériorité au roi de France sur la plupart des grands : il n’eut plus à compter
qu’avec les plus puissants d’entre eux, comme le roi d’Angleterre ou le duc de Bourgogne. Or Charles VII et Louis XI, grâce aux frères Bureau de la Rivière, possédèrent une artillerie si bien organisée qu’ils n’avaient plus de rivaux à craindre. Louis XI a déjà un « maître général de l’artillerie », Gaspard Bureau.
La marine. — Comme la Normandie, la Bretagne, la Guyenne, la Provence, qui devaient un jour recruter la flotte nationale, ne furent réunies qu’assez tard au domaine royal, ni les Capétiens directs, ni les Valois, n’eurent vraiment une marine. C’est avec une flotte composée de vaisseaux génois que Philippe VI perdit la bataille de l’Écluse en 1340; c’est avec une flotte composée de vaisseaux espagnols que Charles V fit porter le ravage sur les côtes d’Angleterre. Cependant dès Charles V, on achète en Italie ou l’on construit dans les ports de France de lourds vaisseaux que commencent à monter des matelots français.
Le roi a bien des amiraux, comme Jean de Vienne, qui combattit à Nicopolis contre les Turcs (1396), mais ils guerroyaient sur terre plus volontiers que sur mer.
Ainsi la royauté du xv° siècle a déjà une garde royale, une cavalerie soldée, forte de 9 000 hommes, une infanterie composée de francs-archers, des mercenaires suisses et écossais, une puissante artillerie, une marine naissante. Elle a toujours la ressource d’appeler l’ancienne armée c’est-à-dire la cavalerie féodale, qui accourt à l’appel du ban et de l’ arrière-ban, et les milices communales. Les rois utilisent peu cette ressource ; ils aiment mieux vendre l’exemption du service.
Quand Charles VIII marchera en 1494 à la conquête du royaume de Naples, il emmènera 3 500 lances, 6000 arbalétriers, 6 000 archers bretons, 8 000 arquebusiers gascons, 8 000 piquiers suisses, et 140 canons.
Les postes. — Enfin, pour assurer la rapide transmission de ses ordres, Louis XI, reprenant une ancienne institution de l’empire romain, créa en 1464 le service des « postes ». Sur tous les grands chemins du royaume, de quatre lieues en quatre lieues, il disposa des relais de chevaux. Les courriers à cheval, partis de Paris, pouvaient transporter ses lettres à toutes les extrémités du royaume. Il mit à la tète de ce service un « grand-maître des coureurs de France ». La poste du roi ne servait qu’à lui : elle ne se chargeait pas encore des messages des particuliers; mais l’Université avait ses « messagers », qui entretenaient les communications des écohers et de leurs familles et qui servirent aussi le public. En 1506, Louis XII autorisera les particuliers à user de ses relais de poste.
Résumé. — La royauté, qui a brisé les anciennes puissances du moyen âge, maintient l’unité nouvelle de ses États par une hiérarchie de magistrats jugeant au nom du roi, par une hiérarchie de fonctionnaires n’obéissant qu’à ses ordres, par un système d’impôts permanents, par une force militaire également permanente. Toujours absolue dans son principe, elle est devenue presque absolue en fait. Pour la première fois l’idéal romain, entrevu par les Mérovingiens, par les premiers Capétiens, se trouve réalisé. Le Roi est enfin un « souverain » et il a des « sujets ».